Le président du Venezuela Hugo Chavez a rompu jeudi les relations
diplomatiques avec la Colombie, pays voisin, après que Caracas a été accusé
par le gouvernement de ce dernier de servir de refuge à des guérilléros
colombiens.
Dans une présentation théâtrale donnée devant l'Organisation des Etats
américains (OEA) à Washington DC, l'ambassadeur de la Colombie a accusé le
gouvernement Chavez de « tolérer de façon continue et permanente » la
présence de guérilléros des FARC (Forces armées révolutionnaires de
Colombie) en territoire vénézuélien.
L'ambassadeur colombien à l'OEA, Luis Hoyos, a soutenu que quelque 1500
membres des FARC se trouvaient dans une dizaine de camps du côté vénézuélien
de la frontière séparant les deux pays. Il a insisté sur la nécessité de la
création d'une commission internationale qui irait dans la région pour
enquêter sur les accusations portées par la Colombie et il a accusé Chavez
de refuser de « collaborer à la lutte antiterroriste ».
Le dossier colombien, constitué de coordonnées provenant de satellites,
de vidéocassettes et de photographies de présumées victimes d'attaques des
guérilléros, rappelle la présentation sur les « armes de destruction
massive » donnée aux Nations unies par le secrétaire d'Etat américain Colin
Powell pour justifier la guerre en Irak.
L'ambassadeur du Venezuela à l'OEA, Roy Chaderton, a accusé le
gouvernement colombien de tenter de créer « un climat propice à une
intervention armée au Venezuela », et il a rejeté les supposées preuves
fournies par Bogota, disant qu'il n'y avait aucun moyen de savoir d'où
provenaient les vidéos et les photos présentées à l'organisation
interaméricaine.
Chaderton a comparé la véracité des allégations du gouvernement colombien
aux fameux « faux-positifs » – le terme employé pour désigner les
civils innocents tués délibérément par l'armée de la Colombie pour faire
grimper le nombre de guérilléros supposément tués au combat.
Les accusations ont été portées à une séance spéciale de l'OEA convoquée
à la demande de la Colombie. Bien que la majorité des 32 Etats membres du
pays aient proposé de repousser la tenue de la présentation, le gouvernement
du président colombien Alvaro Uribe a réussi à tenir la séance grâce au
soutien ferme de l'administration Obama à Washington.
Le caractère exceptionnel de la session a été souligné par la démission
de l'ambassadeur équatorien à l'OEA, Francisco Proaño, l'actuel président du
conseil permanent de l'organisme. Le gouvernement équatorien lui avait
demandé de ne pas fixer de date pour que l’organisme entende l'acte
d'accusation de la Colombie envers le Venezuela afin de « donner une chance
au dialogue ».
Il n’y a rien de nouveau aux accusations de la Colombie. En 2003, par
exemple, il y a eu le cas sensationnel de Moises Boyer, qui avait approché
une agence du renseignement colombienne et donné une entrevue au quotidien
de droite El Espectador à Bogota affirmant qu’il avait
personnellement suivi un commandant des FARC jusqu’à Caracas afin de
recevoir de l’argent du vice-président du pays. Il est vite apparu que
l’histoire était une entière fabrication, forçant le journal à publier une
rétraction.
Plus récemment, la Colombie accusait que les armes anti-chars trouvées
dans un camp de la guérilla avaient été fournies par le gouvernement
vénézuélien, lorsqu’en fait elles avaient été volées dans une des
installations militaires du pays dans les années 1990, un fait qui était
bien connu des autorités colombiennes.
La frontière de 1400 miles entre les deux pays est en plusieurs régions
sous-développées et mal définie, avec le gouvernement colombien incapable
d’assurer son contrôle dans nombreuses régions non seulement contre les FARC,
mais aussi contre les groupes paramilitaires de droite et les
narcotrafiquants.
Une des raisons expliquant la précipitation de la convocation à la
session de l’OEA est qu’Uribe quitte ses fonctions au début du mois
prochain, ayant échoué dans sa tentative de changer la constitution
colombienne et d’obtenir un troisième mandat comme président. Son
successeur, Juan Manuel Santos sera inauguré le 7 août.
Santos, un membre de la riche oligarchie colombienne, a servi en tant que
ministre de la Défense sous Uribe et est profondément impliqué dans les
crimes militaires contre les droits de l’homme. Durant la campagne
électorale, cependant, il s’est engagé à améliorer les relations entre la
Colombie et le Venezuela, lesquelles avaient été officiellement « gelées »
avant d’être complètement rompues cette semaine. Santos a gardé le silence
sur la présente confrontation.
« Le pathétique spectacle médiatique de jeudi était une tentative
désespérée de nuire à une éventuelle normalisation des relations
bilatérales. En ceci, l’ambassade américaine à Bogota, dont l’ambassadeur a
été consulté par le ministre de la Défense avant de donner sa conférence de
presse, a été impliquée », a dit le ministère vénézuélien des Affaires
étrangères vendredi.
Il est difficile de ne pas voir derrière la décision d’Uribe d’organiser
cette provocation, au moment même où il se prépare à quitter le palais
présidentiel, le désir de Washington de provoquer une nouvelle crise en
Amérique du Sud pour mieux défendre ses intérêts dans la région. Le
président colombien a été la marionnette en chef des Américains dans
l’hémisphère, la Colombie recevant le plus important montant d’aide
américaine dans cette région du monde, quelque 7,3 milliards depuis 2000
dont la part du lion est allé aux forces de sécurité du pays.
L’administration Obama s’est rapidement ralliée aux accusations douteuses
du gouvernement Uribe. « Il devrait y avoir une enquête », a déclaré le
porte-parole du département d’État américain P. J. Crowley. « Nous croyons
que le Venezuela a la responsabilité d’être ouvert à répondre aux
informations importantes présentées par la Colombie. » Les accusations du
gouvernement Uribe, a-t-il ajouté, « doivent être prises très
sérieusement ».
Crowley a ajouté que le département d’Etat n’était pas surpris ces
accusations, puisque c’est depuis 2006, sous l’administration Bush, que le
Venezuela est « considéré ne pas être entièrement coopératif sur la question
de la lutte contre le terrorisme ».
Utilisant le prétexte de la lutte au « terrorisme » et aux drogues,
l’administration Obama a adopté une politique encore plus agressive que
celle de Bush pour l’Amérique du Sud. La Colombie a été un élément clé de
cette stratégie, alors que Washington a négocié secrètement une entente qui
lui donne le contrôle sur sept bases militaires du pays ainsi que l’accès à
plusieurs autres installations.
Alors que l’administration Obama a affirmé que les bases serviraient à
lutter contre le trafic de la drogue, cette entente a été critiquée par de
nombreux gouvernements de la région, y compris par le président brésilien
Luiz Inacio Lula da Silva, qui est un allié proche de Washington, mais qui
considère que les bases sont une menace à ses propres visées expansionnistes
dans la région.
Continuant son escalade d’intervention militaire américaine,
l’administration Obama a obtenu une entente avec la nouvelle présidente du
Costa Rica, Laura Chinchilla, qui permet l’envoi dans ce pays de 7000
soldats américains, de 50 navires de guerre, d’avions et d’hélicoptères de
combat, tout ceci prétendument pour lutter contre le trafic de la drogue.
Il y a aussi des ententes avec le Panama et le Pérou pour de nouvelles
bases américaines, tout comme avec le Honduras, où un coup d’Etat de droite
soutenu par les Etats-Unis a chassé le président Manuel Zelaya du pouvoir.
Finalement, Obama a confirmé la décision de George W. Bush de ressusciter
la quatrième flottille de la marine américaine, démantelée à la fin de la
Deuxième Guerre mondiale. Ceci donnera aux États-Unis la possibilité d’une
intensification importante de ses opérations militaires dans la région.
Dans un tel contexte, les tensions entre la Colombie et le Venezuela
représentent des dangers sérieux. Alors que sa puissance économique et
politique est de plus en plus défiée par ces rivaux en Chine, en Europe et
en Amérique du Sud elle-même, l’impérialisme américain cherche à obtenir les
moyens et les prétextes pour faire usage de sa supériorité militaire.
(Article original anglais paru le 24 juillet 2010)