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WSWS : Nouvelles et analyses : Asie

Les leçons politiques du mouvement de protestation thaïlandais

Par Peter Symonds
5 juin 2010

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La répression militaire de la semaine passée a peut-être écrasé les protestations anti gouvernementales dans les rues de Bangkok mais les tensions sociales et les questions politiques qui les sous-tendent demeurent et tôt ou tard elles éclateront à nouveau, inévitablement et sous des formes nouvelles.

Après quatre années de querelles virulentes au sein de la classe dirigeante thaïlandaise, les partisans de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra avaient appelé à des protestations à la mi-mars contre leurs adversaires factionnels et le gouvernement du premier ministre Abhisit Vejjajiva. Les sévères divisions au sein de l’establishment politique ont toutefois ouvert la porte à un mouvement plus vaste, dominé par des manifestants issus des zones rurales du Nord et du Nord-Est du pays.

Au fur et à mesure que les manifestations se poursuivirent, les agriculteurs, les marchands et les petits commerçants commencèrent à trouver leur propre voix. Les « chemises rouges » montrèrent du doigt le gouffre existant entre leur vie et celle des riches qui travaillaient et qui faisaient leurs emplettes dans le quartier commerçant de Bangkok. Ils exprimèrent leur hostilité envers les élites traditionnelles thaïlandaises — l’armée, la bureaucratie étatique et la monarchie – qui avaient évincé Thaksin, pour lequel ils avaient voté, le considérant à tort comme leur défenseur.

Ces manifestants ont fait preuve d’un courage et d’une détermination considérables. En recourant tout juste à des lance-pierre et des cocktails Molotov, ils ont repoussé les soldats qui avaient essayé de faire évacuer les manifestants le 10 avril. En pleine hécatombe, des milliers restèrent sur place même lorsque l’armée coupa les vivres et alignèrent troupes et véhicules blindés pour un dernier coup de force. Alors que l’armée donnait l’assaut, des groupes de manifestants ont dénoncé les dirigeants « chemises rouges » qui s’étaient rendus, incendiant des bâtiments considérés comme des symboles de richesse et de privilèges. Le saccage n’a cependant révélé que la faiblesse cruciale du mouvement – son manque de programme et de perspective pour faire valoir ses intérêts.

Les événements de Bangkok apportent une confirmation frappante de l’essence de la théorie de la révolution permanente élaborée il y a plus d’un siècle par Léon Trotsky. S’inspirant de  l'expérience de la révolution de 1905 en Russie, Trotsky avait tiré des conclusions d'une portée considérable : premièrement que la bourgeoisie, dans les pays capitalistes arriérés, était organiquement incapable de mener une lutte authentique en faveur des droits démocratiques ou de satisfaire les besoins de la paysannerie ; deuxièmement, que la paysannerie ne pouvait assumer un rôle politique indépendant et suivait inévitablement soit la bourgeoisie soit la classe ouvrière ; et troisièmement que le prolétariat était la seule force sociale capable de mener la paysannerie dans une lutte contre le Tsar. Après avoir pris le pouvoir, la classe ouvrière serait obligée d’empiéter sur la propriété privée comme partie intégrante de la révolution socialiste mondiale. La théorie a réussi son premier test, le plus décisif, durant l’année 1917 qui produisit en Russie la Révolution d’octobre et le premier Etat ouvrier au monde.

Bien des choses ont changé durant ce dernier siècle, mais la dynamique élémentaire de classe, au sein d'un système de profit dépassé, reste la même. En l’absence d'un mouvement politiquement conscient de la classe ouvrière, les agriculteurs, les petits propriétaires et les ruraux pauvres ont migré vers Bangkok sous la bannière de Thaksin et de son Front uni pour la démocratie et contre la dictature (UDD). Malgré toute sa démagogie à propos de la « démocratie », l’objectif de Thaksin se limitait à la tenue d’élections anticipées et à un gouvernement plus favorable à ses intérêts. Lorsqu’il était au pouvoir, Thaksin avait à maintes reprises fait preuve de mépris à l’égard des droits démocratiques – journalistes menacés, centaines de meurtres extrajudiciaires commis au cours de sa « guerre contre la drogue » et opérations militaires intensifiées contre les séparatistes islamiques dans le Sud.

De plus, Thaksin, le multi milliardaire ayant fait fortune dans les télécoms, n’est pas plus en mesure qu’Abhisit, le diplômé d’Oxford, de résoudre la crise sociale grandissante à laquelle sont confrontées les masses rurales thaïlandaises. Les subventions limitées octroyées par Thaksin et l’accès aux soins de santé bon marché faisaient partie des efforts de son gouvernement de stimuler l’économie thaïlandaise après la crise financière asiatique dévastatrice des années 1997-98. Thaksin et les dirigeants de l’UDD sont d’ardents défenseurs du système capitaliste qui est à l’origine de l’insécurité financière et de l’endettement auxquels ont à faire les agriculteurs et les petits commerçants. Comme il fallait s’y attendre, plutôt que d’étendre le mouvement de protestation, l’UDD a limité et finalement abandonné les manifestations au moment où s’intensifiait la confrontation avec l’appareil d’Etat.

Dans le même temps, les injustices sociales exprimées par divers manifestants ne furent jamais formulées dans un programme politique – et n'auraient d’ailleurs pas pu l’être. Comme l’avait souligné Trotsky, la paysannerie n’est pas une classe homogène – ses couches supérieures ont des liens avec la bourgeoisie tandis que ses rangs inférieurs se fondent avec le prolétariat rural. Contrairement à la classe ouvrière qui s’accroît avec le développement du capitalisme, cette classe de petits propriétaires est condamnée à long terme du fait du développement économique. En Thaïlande, le pourcentage de la population agricole a chuté de 70 pour cent de la population active totale avant 1980 à 40 pour cent de nos jours.

Seule la classe ouvrière peut aider les masses rurales en abolissant le système de profit qui est la source de leur oppression et en leur offrant une aide financière et technique. Au cours des derniers événements en Thaïlande, la classe ouvrière n’a pas joué un rôle indépendant. Dans la mesure où les travailleurs ont participé aux événements, ce fut en tant qu’individus sous la bannière de l’UDD. Les adversaires du marxisme citeront sans aucun doute ce fait comme une preuve supplémentaire que le prolétariat n’est pas une classe révolutionnaire. Mais la transformation de la classe ouvrière d’une masse exploitée en une force sociale révolutionnaire requiert avant tout une conscience de ses intérêts de classe ce qui est impossible sans un parti qui l’éduque, la mobilise et la mène au combat. Le manque d’un tel parti en Thaïlande est l’héritage de vastes trahisons de la part du Stalinisme et de ses défenseurs et qui doit à présent être surmonté.

La bureaucratie stalinienne qui a usurpé le pouvoir de la classe ouvrière en Union soviétique a promu le programme réactionnaire de « socialisme dans un seul pays », dénonçant Trotsky et le socialisme internationaliste. En Asie, Staline avait ressuscité la théorie discréditée des deux étapes qui attribuait un rôle progressiste à la bourgeoisie nationale et qui eut des conséquences désastreuses lors de la révolution chinoise de 1925-27. Alors que la révolution permanente de Trotsky fut enterrée sous une montagne de calomnies et de mensonges, le radicalisme paysan banal de Mao Zedong fut présenté comme du marxisme et la guerre de guérilla comme une voie en avant pour des pays tels que la Thaïlande.

La faillite du maoïsme est prouvée avant tout par son « succès » en Chine où la politique des successeurs de Mao a transformé le pays en usine à sueur du capitalisme mondial. Le naufrage politique du projet de guérilla maoïste est évident partout dans la région. En Thaïlande, le Parti communiste, à présent défunt, avait recouru dans les années 1960 à la guérilla. Les étudiants radicalisés par les troubles politiques des années 1970, qui avaient abouti au massacre brutal de 1976 à l’université Thammasat, n’étaient pas orientés vers la classe ouvrière mais vers la campagne. Nombreux furent ceux qui en sortirent désenchantés. Les maoïstes d’hier sont intégrés aujourd’hui à l’establishment politique thaïlandais, en tant que les conseillers politiques de « gauche » à la fois de l’UDD et de ses adversaires.

La Thaïlande, tout comme le reste du monde, est plongée par la crise du capitalisme mondial dans une nouvelle période d’agitation révolutionnaire. Les protestations de Bangkok sont un signe avant-coureur d’événements qui lanceront la classe ouvrière en Thaïlande et internationalement dans la lutte. Comme dans le reste de l’Asie, le prolétariat, qui en était à ses débuts au tournant du vingtième siècle, a considérablement grandi en taille en s’intégrant dans le processus de production mondial. Le capital mondial a transformé la Thaïlande en dixième plus gros exportateur automobile du monde, avec quelque 400.000 travailleurs de l’automobile.

Le défi auquel sont confrontés les travailleurs et les jeunes en Thaïlande est la construction d’un parti politique basé sur le programme de l’internationalisme socialiste capable de mener la classe ouvrière dans les luttes à venir. Ceci requiert avant tout l’assimilation de la théorie de la révolution permanente de Trotsky et des leçons des expériences stratégiques clé de la classe ouvrière en Thaïlande et internationalement durant le vingtième siècle. Ceci n’est possible qu’en tant que partie intégrante du mouvement trotskyste mondial – le Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article original paru le 27 mai 2010)

 

Voir aussi :

La lutte des classes en Thaïlande [20 avril 2010]

La tragédie de la Révolution chinoise de 1925-1927
Première partie
[16 avril 2009]
Deuxième partie [17 avril 2009]
Troisième partie [20 avril 2009]

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