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WSWS : Nouvelles et analyses : Canada

Le lock-out au Journal de Montréal se poursuit : les enjeux pour la classe ouvrière

Par Laurent Lafrance
1er mai 2010

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Cela a fait 450 jours, le 19 avril 2010, que les 253 employés du Journal de Montréal ont été mis en lock-out par la direction du quotidien. Cela a fait 450 jours que les travailleurs s’essoufflent dans une lutte contre les concessions drastiques exigées par la direction de Quebecor Media Inc (QMI), l’un des plus importants conglomérats médiatiques au Canada et qui exigent notamment :

* la liberté de publier les articles des journalistes et chroniqueurs dans tout l’éventail de publications du conglomérat, y comprit ses magazines, ses autres quotidiens et ses sites Internet et ce, sans compensation additionnelle pour les auteurs ;

* la possibilité de recourir à la sous-traitance dans toutes les tâches ;

* la suppression de quelque 75 postes ;

* l’augmentation de 25 pour cent du nombre d’heures travaillées sans aucune compensation salariale ;

* la réduction de 20 pour cent des avantages sociaux ;

* l’abolition des définitions de tâches et l’imposition de nouvelles tâches et nouvelles rémunérations sans préavis.

Le conflit qui sévit au Journal de Montréal augmente à 14 le nombre de lock-out imposés par Quebecor ces 15 dernières années. Les coupures exigées par la direction toucheraient les quelque 250 employés, dont une centaine dans les bureaux (comptables, des téléphonistes-vendeuses, des adjointes, des réceptionnistes) ainsi que les réviseurs, archivistes et journalistes.

Dans le cas présent, Quebecor mentionne que son intention n’est pas de négocier une nouvelle convention collective pour ses employées, mais plutôt de réécrire au complet la convention pour s’adapter au « modèle d’affaires actuel ».

D’autres journaux appartenant à Quebecor ont récemment subi des coupures drastiques dans la main-d’œuvre et dans les conditions de travail. À titre d’exemple, les employés du Journal de Québec ont été mis en lock-out pendant 16 mois de 2007 à 2008, résultant à l’acceptation d’une entente de principe qui, entre autres, augmentait le nombre d’heures de travail de 32 à 37,5 sans compensation.

Le syndicat a accepté de faire ces concessions mentionnant que « C'est le compromis qu'on a dû faire pour conserver la semaine de quatre jours ». Malgré la signature de la convention collective, la direction a enfreint les règles à plusieurs reprises. 42 griefs ont été déposés en 15 mois.

Suivant les recommandations de leur syndicat, les travailleurs du journal Le Réveil, publié à Saguenay et possédé par QMI, ont accepté la dernière offre patronale sous la menace de fermeture du journal. Le nombre d’employés est passé de 23 à 5, soit 3 journalistes et deux commis.

Le lock-out du Journal de Montréal s’inscrit donc dans une série de mesures entreprises afin de restructurer l’organisation de Quebecor dans son ensemble. Quebecor réussit ainsi à augmenter ses revenus en réduisant ses effectifs et en produisant autant, sinon plus de matériel, entre autres par la convergence de l’information. Un processus inévitable et bien établi, dans la guerre pour le profit, davantage apparent dans les entreprises monopolistiques comme Quebecor.

QMI, dirigé par Pierre-Karl Péladeau — un des hommes d’affaires les plus riches du Québec — a terminé son exercice financier 2009 avec des revenus totalisant 3,7 milliards et un bénéfice net de 277,7 millions de dollars, comparativement à 188 millions pour l’année précédente. La hausse des revenus de l’entreprise est principalement due à l’augmentation du nombre d’abonnés du câblodistributeur Vidéotron et des hausses tarifaires mensuelles ayant passé en un an de 81,17 $ à 88,21 $.

Du côté des médias d’information uniquement, le bénéfice d’exploitation a reculé de 27,6 millions. Or, la direction affirme que la diminution de la profitabilité est liée à la baisse des revenus, mais a été contrebalancée par « la baisse de 77,5 millions de dollars des coûts d’exploitation surtout attribuable aux mesures de restructuration et de réduction de coûts ». Cette réduction des coûts est en partie le résultat de « la baisse des coûts de main-d’œuvre liée au conflit de travail au Journal de Montréal ».

Mais Quebecor est loin d’être la seule entreprise dans le domaine de l’information à effectuer des coupes majeures dans ses dépenses. Le 3 septembre dernier, le journal La Presse, un autre quotidien majeur au Québec, menaçait ses employés d’arrêter de publier le quotidien le 1er décembre si ces derniers n’acceptaient pas une coupe de 13 millions dans leurs acquis avant la fin novembre.

Cette filiale de Power Corporation appartenant à la richissime famille Desmarais justifiait ses demandes de concessions en disant que les banques étaient prêtes à lui prêter l'argent nécessaire pour combler le déficit du régime de retraite, mais seulement à condition qu'elle parvienne à réduire ses coûts de 26 millions de dollars.

Après trois mois de négociations, les nouvelles conventions collectives, d'une durée de cinq ans, ont été entérinées. Elles prévoient dorénavant des semaines de travail de cinq jours au lieu de quatre (de 32 à 35 heures sans compensation) et un gel des salaires jusqu'en 2012. Les journalistes ont aussi accepté d'importants changements au régime de retraite. Enfin, une trentaine d’emplois dans la distribution ont été supprimés.

Face à ces résultats dramatiques pour les employés de La Presse, les syndicats ont affirmé que cela représentait une victoire pour les travailleurs. À cet égard, le président syndical des distributeurs expose clairement la nature de son organisation, disant que : « nous ne pouvions pas aller plus loin. Nous ne pouvions pas déclencher un conflit de travail et y engager tous les autres employés et leurs familles. »

Bien que le syndicat du Journal de Montréal, qui est affilié à la Confédération des syndicats nationaux (CSN), demande à la population de boycotter ce dernier, la CSN pour sa part, n’a fait aucun appel du genre, laissant la lutte des employés du Journal de Montréal perdurer dans l’isolement le plus complet. Au lieu de faire appel aux autres travailleurs de Quebecor et à d’autres sections de la classe ouvrière pour entreprendre des actions militantes pour stopper  l’opération scab de Quebecor, la CSN demande plutôt aux travailleurs de faire pression sur les politiciens, principalement sur le gouvernement anti-ouvrier de Jean Charest. Selon les dirigeants de la CSN, il faudrait leur demander qu’ils exigent de Péladeau qu’il négocie de bonne foi dans le conflit du Journal de Montréal.

Le conflit qui sévit au Journal de Montréal est loin d’être le seul conflit de travail au Québec, mais son ampleur, et tout le contexte qui l’entoure, fait de ce conflit une fenêtre sur les relations de classe au Québec, exposant le vrai visage de la bourgeoisie et la nature des appareils syndicaux.

En effet, le Journal de Montréal, ainsi que La Presse, jouent un rôle idéologique et politique d’avant-plan au Québec et au Canada. D’un côté, ils sont des entreprises importantes et cherchent à faire du profit, mais ils sont aussi un outil de propagande de la bourgeoisie et cherche à influencer la conscience populaire par le contenu des informations et les commentaires qu’elles publient.

Alliés de l’élite dirigeante et d’anciens politiciens péquistes et libéraux du groupe « des lucides », ces grands médias servent de porte-voix dans la campagne acharnée contre l’« immobilisme québécois », le nom qu’ils donnent au consensus largement répandu dans la population en faveur des services publics et d’autres politiques bénéficiant aux travailleurs et aux pauvres et favorisant une plus grande égalité sociale.

Le budget 2010-2011 du gouvernement libéral de Jean Charest, un budget très à droite, a d’ailleurs été accueilli avec enthousiasme par les médias. La Presse avait accueilli le budget en le qualifiant « d’historique ». Elle accueillait en particulier le plan du gouvernement d’introduire un ticket modérateur en santé, reconnaissant cela comme un pas important pour transférer à la classe ouvrière les coûts du système de santé et pour le privatiser encore plus.  Quant au Journal de Montréal, il a critiqué le budget par la droite, en disant qu’il n’allait pas assez loin dans ses réductions dans les dépenses publiques. De façon hypocrite et réactionnaire, il a critiqué les diverses taxes régressives et frais aux usagers annoncés dans le budget dans le but d’attiser un mouvement anti-taxes qui pourra sera utile à la campagne de la grande entreprise pour démanteler les services sociaux publics.

En menaçant d’imposer un lock-out, dans le cas de La Presse, ou en imposant un, dans le cas du Journal de Montréal,  et en exigeant des coupes drastiques dans le nombre des emplois, les salaires et les conditions de travail, La Presse et le Journal de Montréal veulent indiquer à la classe dirigeante quelle voie il faut suivre pour que le fardeau de la crise capitaliste mondiale retombe sur les épaules des travailleurs.

Le rôle que jouent ces quotidiens et les milliardaires qui les possèdent démontrent la nécessité aussi bien que la possibilité pour que la lutte des travailleurs du Journal de Montréal devienne le fer de lance d’une contre-offensive de la classe ouvrière.

Mais pour cela, il faut absolument rompre avec la politique de la bureaucratie syndicale.

Bien que les syndicats dénoncent les attaques de la direction du Journal de Montréal et critiquent ouvertement Péladeau pour être ce qu’il est, un réactionnaire antisyndical, ils ne souhaitent en aucun cas que le conflit mine la place de choix qu’ils ont dans les rapports de classe au Québec. En effet, depuis les années 70, les syndicats québécois se sont intégrés dans la gestion du capitalisme québécois. On a vu le développement d’un système d’organisations tripartites syndicat-patronat-gouvernement qui servent à subordonner les intérêts des travailleurs aux profits des entreprises et aux partis de l’establishment, surtout le Parti québécois. Dans les années 90 notamment, les syndicats ont travaillé main dans la main avec le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard et de Bernard Landry pour imposer toute une série de coupes massives dans le cadre de la soi-disant campagne pour le déficit zéro.

C’est cette place — et les privilèges en découlant, par exemple ceux du Fonds de solidarité — que la bureaucratie syndicale a peur de perdre s’ils s’opposaient à l’assaut qui prend place au Journal de Montréal. De plus, les syndicats craignent qu’un appel plus large aux travailleurs n’ait un effet radicalisant sur ceux-ci.

Les gains obtenus dans le passé par les travailleurs ne découlaient pas d’un acte de générosité de la classe dirigeante. Ils s’inscrivaient dans une époque explosive où la résistance de la classe ouvrière, ainsi qu’une certaine prospérité économique, avaient poussé la classe dirigeante à faire des concessions. La direction de QMI a depuis longtemps envoyés ces gains à un passé lointain et ouvre maintenant la voie vers de plus grandes attaques.

Les travailleurs du Journal de Montréal se trouvent à un point tournant de leur lutte. La seule façon de briser leur isolement est de rompre avec la bureaucratie syndicale et de s’unir à l’ensemble des travailleurs sur la base d’une nouvelle perspective politique : la réorganisation de l’économie pour satisfaire les besoins sociaux de tous, et non les profits d’une minorité. A la tentative de la direction de QMI pour montrer l’exemple au grand patronat dans les attaques qu’il faut mener sur la classe ouvrière, les travailleurs doivent répondre en se ralliant derrière la lutte des travailleurs du Journal de Montréal.

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