WSWS :
Nouvelles et
analyses :
AsieL'armée thaïlandaise se prépare à la
contre-attaque
Par John Roberts
22 mai 2010
Imprimez cet
article |
Ecrivez à
l'auteur
L'armée thaïlandaise est prête à se lancer contre les milliers de
manifestants anti-gouvernementaux retranchés dans le secteur commercial de
Ratchaprasong à Bangkok, ce qui entraînera probablement un bain de sang. Sur
ordre du gouvernement, les approvisionnements en nourriture, en eau et en
électricité, ainsi que les communications des téléphones portables, ont été
coupés sur le site des manifestations. L'armée a désigné deux zones de la
capitale comme « zones de tir à balles réelles ».
Au moins 31 personnes ont été tuées et 230 blessées au cours des quatre
derniers jours de combats de rue alors que l'armée resserre con étau. Tous
les morts sont des manifestants, ce qui démontre le caractère inégal de la
confrontation. Les « chemises rouges » qui manifestent sont armés de
lance-pierres, de bombes à l'essence, de tuyaux d'acier et de feux
d'artifices et opèrent derrière des barricades de fortune, ils font face à
des troupes lourdement armées soutenues par des véhicules blindés.
Le New York Times de samedi a annoncé qu'un technicien médical
d'une équipe d'urgence était au nombre des victimes des combats. Il a
également annoncé qu'un photographe avait vu deux victimes, mortes ou
blessées, allongé sur le sol durant une longue période avant d'être prises
en charge. L'armée n'aurait pas permis à une ambulance de franchir un
barrage, obligeant les secouristes à risquer leur vie en courant accroupis
avec un brancard pour emporter les victimes.
Alors que le Premier ministre Abhisit Vejjajiva et les porte-parole de
l'armée affirment que celle-ci ne tire qu'en cas de légitime défense, il est
de plus en plus évident que les troupes, y compris des tireurs d'élite
entraînés, tirent délibérément sur les manifestants à balles réelles.
Mercredi dernier, l'ex-général Khattiya Sawasdiphol, qui se décrivait
lui-même comme un conseiller en sécurité pour les manifestants, a été blessé
par un tir à la tête lors d'une déclaration devant des journalistes.
Le meurtre de Khattiya a aggravé les tensions après l'échec d'un
compromis entre le gouvernement et le parti d'opposition, le Front uni pour
la démocratie et contre la dictature (UDD), la veille. Abhisit a retiré sa
proposition de tenir des élections nationales anticipées en novembre après
que les dirigeants de l'UDD ont fait des revendications supplémentaires et
que les manifestations se sont poursuivies.
Lors d'une déclaration télévisée samedi, Abhisit a justifié les meurtres
en déclarant : « Nous ne pouvons pas permettre à des éléments illégaux de
prendre Bangkok en otage… Il n'y aura aucun retour en arrière dans nos
efforts pour maintenir un Etat de droit. Des pertes devront être subies.
C'est la voie de la droiture. » Il a déclaré que l'intervention militaire
était la seule voie pour mettre fin aux manifestations et que les troupes
iraient « plus loin », mais il n'a pas donné de délais.
Le dirigeant de l'UDD Nattawatt Saikua a appelé hier l'armée à se retirer
et à la tenue de négociations sous l'égide des Nations unies avec le
gouvernement pour éviter que des vies supplémentaires soient perdues.
Cependant, le gouvernement a immédiatement rejeté cette offre. Le secrétaire
d'Abhisit, Korbsak Sabhavasu a déclaré aux médias : « Nous ne pouvons pas
nous retirer maintenant ». Il a répété à nouveau ses affirmations sans
fondement selon lesquelles il y aurait des « terroristes » parmi les
manifestants – un prétexte transparent pour tirer dans la foule.
Environs 5000 manifestants, dont près de 1000 femmes et enfants, sont
maintenant cernés un peu partout. Aujourd'hui et demain ont été déclarés
fériés. Toutes les écoles de Bangkok ont été fermées pour une semaine. Des
plans ont été annoncés pour un couvre feu dans des sections de Bangkok à
partir de la nuit dernière, mais ont été annulés. Le gouvernement a appelé
les femmes et les enfants à quitter le camp des manifestants à partir de
l'après-midi.
Le Premier ministre Abhisit semble maintenant déterminé à frapper quel
que soit le coût en vies humaines. Une tentative précédente le 10 avril par
l'armée de vider le site de manifestation près du pont Phan Fah au centre de
Bangkok a résulté en d'intenses batailles de rues qui ont tué 25 personnes,
dont 5 soldats, et blessé plus de 850. Jusqu'à maintenant, le gouvernement
et l'armée ont été inquiets de ce que toute offensive supplémentaire puisse
renouveler des troubles plus grands à Bangkok et dans d'autres zones du
pays.
L'UDD, qui soutient le Premier ministre Thaksin Shinawatra, tire
l'essentiel de son soutien du Nord et du Nord-Est du pays, régions pauvres
et rurales. Thaksin, un milliardaire magnat des télécoms, est arrivé au
pouvoir en 2001 en promettant de défendre les entreprises Thaï et d'aider
les pauvres face aux conséquences de la crise financière asiatique de
1997-98. Parmi ses mesures de relance économiques, il a accordé une série de
gains limités – aides aux villages, prêts à faible taux et assurance maladie
abordable.
Les élites Thaï traditionnelles – l'armée, la monarchie et la
bureaucratie de l'État – ont initialement soutenu Thaksin, mais se sont
retournées contre lui lorsqu'il a amplifié les politiques libérales tout en
concentrant le pouvoir entre ses mains, car cela court-circuitait des
réseaux d'influence bien établis. L'armée, avec le soutien de la monarchie,
a déposé Thaksin en 2006, mais lorsque des élections se sont à nouveau
tenues en 2007, le Parti du pouvoir populaire (PPP) de Thaksin l'a emporté.
Après des mois de manifestations de la part de l'Alliance des peuples pour
la démocratie (PAD) anti-Thaksin et deux décisions de justice annulant le
mandat de Premier ministre du PPP, Abhisit a été installé au pouvoir avec
l'aide de l'armée en décembre 2008.
Quatre ans de luttes fractionnelles âpres au sein de l'establishment
politique Thaï entrent maintenant en collision avec les tensions de classe
approfondies alimentées par la crise économique mondiale. Les manifestants
de l'UDD, qui ont conduit deux mois de manifestations continues, ont
également commencé à présenter leurs propres exigences au sujet de la
pauvreté massive, du chômage et de la fracture entre riches et pauvres. Leur
détermination à demander une élection s'est également révélée être un
obstacle pour les dirigeants de l'UDD qui étaient plus que prêts à signer un
compromis avec Abhisit la semaine dernière.
Toutes les sections de la bourgeoisie, y compris celles représentées par
l'UDD, sont terrifiées par la perspective d'un mouvement social plus large
des travailleurs et des pauvres. Les manifestants de l'UDD ont déjà été
rejoints par une partie des pauvres des villes, lesquels s'étaient également
opposés aux forces de sécurité le week-end dernier.
En préparation d'une attaque militaire, Abhisit a étendu la semaine
dernière l'état d'urgence existant à Bangkok à 15 provinces au Nord et au
Nord-Est qui sont considérés comme des bastions de l'UDD. Hier cinq
provinces de plus ont été placées sous décret d'urgence.
En dépit des mesures d'urgence, les partisans de l'UDD au Nord et au
Nord-Est ont organisé des manifestations et se sont opposés aux forces de
l'ordre. Dans la province d'Ubon Ratchathani, les manifestants ont brûlé des
pneus sur plusieurs routes et un groupe a tenté d'entrer dans une base
militaire mais a reculé quand les soldats ont tiré en l'air. ABC News
a rapporté qu'un bus militaire a été brûlé dans la ville de Chiang Mai au
Nord, et que des manifestants se sont rassemblés dans les villes du Nord-Est
de Nongkai et Udon Thani.
Les États-Unis et d'autres grandes puissances, qui ont soutenu le
compromis signé la semaine dernière, craignent que les troubles persistants
en Thaïlande ne déclenchent des troubles sociaux dans d'autres pays de la
région. Des avertissements ont été donnés sur les risques d'une guerre
civile plus large en Thaïlande. Reuters a cité l'académicien établi à
Singapour Federico Ferrafa qui aurait dit : « Le potentiel pour un conflit
civil plus étendu est élevé. Il est envisageable qu'ils aient un problème
encore pire à régler après avoir "nettoyé" Bangkok des chemises rouges – en
particulier s'ils doivent massacrer des centaines de gens au passage. »
Ceci, pourtant, est précisément ce que le gouvernement Abhisit se prépare
à faire.
(Article original paru le 17 mai 2010)