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Québec : l'élite dirigeante veut tripler les frais de scolarité

Par Louis Girard
17 mars 2010

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Vers la fin février, une quinzaine d'individus provenant du domaine des affaires, de la politique et de l'éducation ont publié dans les médias une lettre ouverte contenant le Pacte pour le financement concurrentiel de nos universités visant à faire augmenter significativement les frais de scolarité au Québec. Les signataires de ce pacte de droite proviennent autant de l'aile souverainiste que fédéraliste de la bourgeoisie québécoise. Dans une province où le débat politique est constamment centré sur le fédéralisme et le souverainisme, cela est significatif et montre que sur les questions essentielles, comme les coupes dans les programmes sociaux et les attaques sur le niveau de vie des travailleurs, les différentes sections de la bourgeoisie s'entendent.

Un des signataires du pacte est Lucien Bouchard, l'ancien premier ministre et chef du Parti québécois (PQ), un parti nationaliste de droite. Au pouvoir dans la deuxième moitié des années 1990, Bouchard, avec l'appui des syndicats, avait insisté pour dire que la question primordiale était d'éliminer le déficit provincial annuel (la campagne du déficit zéro). C'est dans le but d'atteindre cet objectif que le gouvernement péquiste avait fait des coupes massives dans le budget et avaient envoyé des milliers d'infirmières et d'autres professionnels de la santé, de l'éducation et des services sociaux à la retraite. Cela avait augmenté les tâches des autres travailleurs et avait réduit significativement la qualité des services.

Selon la formule proposée par Bouchard et les autres auteurs du pacte, 85 pour cent des étudiants verraient leurs frais de scolarité bondir de 2000 dollars par an sur trois ans à partir de 2010. Les frais de scolarité augmentent déjà de 50 dollars par semestre depuis 2007, alors que le gouvernement Charest avait commencé à dégeler les frais. Cette hausse se poursuivra jusqu'en 2012. Pour un semestre universitaire moyen, il en coûte présentement environ entre 1000 et 1500 dollars pour un étudiant universitaire pour ses droits de scolarité. La mise en application de ce « pacte », ferait donc tripler les frais de scolarité. Pour des étudiants en médecine, les hausses iraient jusqu'à 10.000 ou 12.000 dollars par an.

Ce pacte fait clairement partie de la campagne orchestrée par l'élite dirigeante du Québec depuis plusieurs années pour réduire les services offerts par l'État et redistribuer la richesse vers les mieux nantis en réduisant l’impôt sur les grandes sociétés, les gains de capital et le revenu. Il y a cependant une forte opposition populaire à cette poussée vers la droite et l'élite dirigeante cherche à créer les conditions pour imposer ces mesures.

Le « manifeste pour un Québec lucide » signé en 2005 par des politiciens et des personnalités du monde des affaires, les rapports Castonguay et Montmarquette, un sur le système de santé et l'autre sur la tarification et tous les deux commandés par le gouvernement Charest, ainsi que de nombreuses études publiées par des banques ou d'autres institutions de la grande entreprise ont régulièrement été applaudis par les médias de la province pour avoir insisté que les programmes sociaux du Québec sont « trop généreux » et coûteux. Ces publications cherchent toutes à créer un climat idéologique favorable à des attaques sur les conditions de vie de la classe ouvrière comme des coupes budgétaires dans la santé, l'éducation et les services sociaux ou bien des hausses de tarifs.

La crise économique ayant replongé la province dans des déficits budgétaires, l'élite dirigeante québécoise sent l'urgence d'aller de l'avant avec ces mesures et faire payer la crise à la classe ouvrière et aux étudiants. Comme dans les années 1990, elle utilise les déficits pour dire qu'il n'y a pas d'argent et que tout le monde, incluant les travailleurs du secteur public et les étudiants, doit payer.

Les médias de la province ont d'ailleurs réagi favorablement à l’intervention de Bouchard et cie. André Pratte, l'éditorialiste en chef du quotidien La Presse, un journal de la grande entreprise, a déclaré, au lendemain de la parution du pacte : « Jamais les astres n'ont été alignés aussi favorablement pour un imposant investissement dans le secteur universitaire et pour une contribution plus substantielle des principaux bénéficiaires de la formation supérieure, les étudiants. »

The Gazette, un autre quotidien important, commençait ses commentaires sur le pacte en affirmant : « Lorsque les politiciens prennent leur retraite, ils commencent parfois à voir les choses plus clairement. » Les auteurs de l'article argumentent ensuite en faveur du pacte.

Le principal argument qui est amené par l'élite dirigeante pour justifier les hausses de frais de scolarité est que les universités du Québec manquent de ressources et ne sont pas concurrentielles par rapport aux autres provinces où les frais de scolarité sont beaucoup plus élevés. Selon les signataires du pacte, l'argent payé par les étudiants servirait à combler ce manque. En fait, ce dont s'insurge l'élite dirigeante québécoise, c'est que les frais de scolarité au Québec sont significativement plus bas que dans les autres provinces, en raison de mouvements étudiants qui ont pu partiellement freiner les efforts des différents gouvernements pour hausser les frais.

Les étudiants du Québec paient moins de la moitié de ce que paient les étudiants des autres provinces pour leurs frais universitaires. Cependant, le manque de ressources dans les universités québécoises n'a pas été causé par des frais de scolarité plus bas, mais par d'importantes coupes budgétaires tant au niveau fédéral que provincial et tant par le Parti libéral que le Parti conservateur ou le Parti québécois. Ces coupes ont aussi affecté les autres provinces et elles viennent plus qu'annuler les revenus que les universités peuvent acquérir par une hausse de frais.

À une époque précédente, le plafonnement des frais de scolarité était présenté par l’élite dirigeante comme un moyen d’élargir l’accès à l’éducation post-secondaire et de favoriser une plus grande égalité sociale. Aujourd’hui, la grande entreprise et ses représentants politiques ont renoncé à ces conceptions libérales-réformistes et exigent que l’éducation post-secondaire soit plus subordonnée que jamais aux « principes du marché » et aux besoins de la grande entreprise.

Incapable de nier que la hausse des frais de scolarité à l’université favorise les mieux nantis et réduit l’accès des jeunes de la classe ouvrière à l’éducation post-secondaire, les auteurs du pacte proposent de recycler une mince portion de l’argent obtenu par l’augmentation des frais de scolarité – moins d’un tiers – pour aider les étudiants à faibles revenus.

Même si l'élite dirigeante sent que le moment est venu pour passer à l'offensive, elle est aussi consciente de la forte opposition qu'il y a dans la population, particulièrement chez les étudiants, à des mesures de droite comme la hausse des frais de scolarité.

Quelques semaines avant la parution du pacte, la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, avait dit qu'il y avait un « consensus » dans la population québécoise au sujet de la hausse des droits de scolarité et que le gouvernement était en train d'étudier « très sérieusement » la hausse des frais de scolarité. Mais, Courchesne a dû rajouter que ce prétendu consensus n'inclut pas les étudiants.

En fait, ceux-ci sont parmi les plus touchés par la crise économique et les mesures de droite implantées dans les dernières décennies. En juillet 2009, le chômage chez les jeunes de 15 à 24 ans au Canada avait augmenté de 6,7 points de pourcentage par rapport à juillet 2008, pour atteindre 17 pour cent. Le chômage chez les jeunes a augmenté plus vite que n'importe quelle autre couche de la population. Aux prises avec le chômage et une nouvelle hausse des frais de scolarité, les étudiants seront poussés à s'endetter encore davantage pour leurs études et pourraient se voir contraints de renoncer carrément à celles-ci, particulièrement ceux provenant de milieux défavorisés.

Les représentants les plus conscients de la bourgeoisie québécoise, comme André Pratte, cherchent à renforcer la détermination du gouvernement à imposer une hausse des frais de scolarité malgré l’opposition populaire.

Pratte écrit que « Tout gouvernement qui adopte un changement aussi radical par rapport aux pratiques passées court un risque politique. » Quant au quotidien The Gazette, après avoir dit que plusieurs personnes « ne veulent pas entendre » les politiciens parler de « finances publiques gérées plus sainement », il écrit: « Pour mettre en place de véritables réformes dans les dépenses, ce qui est nécessaire est une entente entre nos deux principaux partis politiques, partageant la responsabilité pour des décisions difficiles. »

L'élite dirigeante a sûrement en tête le mouvement de la classe ouvrière qui avait suivi l'élection du premier ministre libéral Jean Charest en 2003. Déclarant avoir un « mandat fort » de la population pour sa « réingénierie de l'État », qui était en fait une série de mesures de droite allant de la privatisation à des hausses de frais, le gouvernement Charest a rapidement fait face à un important mouvement de la classe ouvrière. Les bureaucraties syndicales, dépassées par l'ampleur du mouvement et craignant que celui-ci ne sorte de son contrôle, avaient dû promettre une grève générale. Au même moment, ils avaient appelé à une trêve en disant que les vacances de Noël approchaient. Ils ont profité de ce répit pour mettre fin au mouvement.

Ensuite, au printemps 2005, la plus grande grève étudiante de l'histoire du Québec avait entraîné la plupart des étudiants des cégeps et des universités en grève. Ceux-ci protestaient alors contre les coupes de 103 millions de dollars dans le système de prêts et bourses. Encore une fois, le gouvernement Charest avait dû compter sur l'aide précieuse de la bureaucratie syndicale. Alors que les 500.000 travailleurs du secteur public étaient en train de négocier leur convention collective, la bureaucratie syndicale avait cherché à mettre fin au mouvement des étudiants et à empêcher qu'il ne s'étende aux travailleurs. Henri Massé, alors le président de la plus grande centrale syndicale du Québec (Fédération des travailleurs du Québec, FTQ), avait déclaré que les étudiants devaient faire des compromis dans leurs demandes et les bureaucraties syndicales avaient mis de la pression sur les associations étudiantes pour que celles-ci mettent fin à la grève. Ces demandes étaient somme toute modestes, les étudiants ne demandant officiellement que l'annulation de cette coupe de 103 millions de dollars.

L’Internationale étudiante pour l'égalité sociale (IEES) appelle les étudiants qui veulent repousser l’assaut sur l’éducation à se tourner vers la classe ouvrière dans son ensemble, dont le niveau de vie est aussi attaqué de toutes parts par l'élite dirigeante. Seule la mobilisation politique indépendante des travailleurs peut préserver les programmes sociaux vitaux comme l’éducation. Les étudiants doivent aider les travailleurs à rompre avec la bureaucratie syndicale pro-capitaliste, qui cherche constamment à les subordonner aux partis de la grande entreprise, plus particulièrement le Parti québécois et le Bloc québécois.

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