La Commission européenne
a annoncé le mois dernier qu'elle s'apprêtait à entamer des
pourparlers avec Reykjavík sur les termes de l'adhésion de
l'Islande à l'UE. La proposition a été faite en dépit du
conflit diplomatique en cours entre l'Islande, le Royaume Uni et
les Pays-Bas au sujet des compensations pour l'argent perdu suite
à l'effondrement de la banque en ligne IceSave. Ceci a été
aggravé début mars après le rejet massif par référendum du
remboursement de près de quatre milliards d'euros.
Lors de son sommet ce
jeudi et vendredi, le Conseil de l'Union européenne décidera
s'il poursuivra ou non les négociations de l'adhésion qui
pourrait se faire d'ici 2011. Il suffit toutefois d'un seul vote
des 27 membres de l'UE pour retarder le début des négociations,
ce qui pourrait être le cas des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne
si le conflit concernant Icesave n'était pas résolu de sitôt.
L'adhésion à l'UE
qui est présentée à la population comme un moyen pour l'Islande
d'atteindre une stabilité économique n'ouvrirait la voie qu'à
une intensification de l'assaut contre la population laborieuse.
Au moment où l'UE
proposait l'ouverture de négociations, un nouveau sondage a
révélé l'opposition populaire grandissante contre Bruxelles,
avec 56 pour cent des Islandais rejetant une adhésion. Alors que
l'opposition à l'UE a toujours été forte, celle-ci représente
une hausse par rapport à celle qui avait immédiatement suivi
l'effondrement financier de 2008 lorsque ceux soutenant l'adhésion
et ceux étant contre étaient presque à égalité. Les
commentateurs attribuent l'opposition grandissante à la question
d'IceSave, parce que l'UE s'était largement solidarisée avec
Londres et Amsterdam. Mais il est clair que l'expérience des pays
tels la Grèce, le Portugal et l'Espagne où l'UE exige des
mesures d'austérité, a un impact sur la conscience publique de
par le continent.
De tels sentiments sont
tout à fait justifiés. L'UE tient à assister l'élite
dirigeante islandaise en imposant la totalité du fardeau de la
crise économique à la population laborieuse. Ceci avait été
montré clairement dans les recommandations publiées par la
Commission. En remarquant qu'une « stratégie fiscale
crédible » pour assurer la « consolidation fiscale »
était un défi clé, la Commission a déclaré, « L'Islande
devrait être en mesure de faire face aux pressions compétitives et
aux forces du marché au sein de l'Union à moyen terme à la
condition qu'elle applique rapidement les mesures politiques et
les réformes structurelles nécessaires. »
Le contenu de telles
« mesures politiques » sont actuellement visibles en
Grèce où le gouvernement de Georges Papandreou collabore
pleinement à l'application des dictats de Bruxelles. Avec un
déficit budgétaire de 12 pour cent du PIB, l'UE a exigé qu'il
soit réduit à 3 pour cent d'ici les prochaines années. A cette
fin, Papandreou a adopté en trois mois trois plans d'austérité
aux effets dévastateurs.
Le montant total de la
dette publique continue de s'accroître à Reykjavík et, selon
l'issue du conflit IceSave, il pourrait s'élever à 300 pour
cent du PIB. Le FMI avait dans un rapport précédent, mis en garde
qu'un tel ratio de la dette serait « intenable ». Les
promesses déjà faites par la coalition gouvernementale de Johanna
Sigurðardóttir de réduire de 50 milliards de kronur les dépenses
publiques ont déjà été attaquées par des groupes industriels
comme étant insuffisantes. Bruxelles exigera plus d'austérité.
La question reste ouverte
de savoir si l'actuelle coalition est en mesure d'appliquer de
telles mesures surtout après le rejet de la loi IceSave par
référendum qu'elle avait organisé. Avant le vote du 6 mars, des
rumeurs avaient circulé au sujet de tensions grandissantes au sein
de la coalition et l'éventualité de la chute du gouvernement si
une solution au problème IceSave n'était pas rapidement trouvée.
Dans le contexte de la
pire crise économique depuis des décennies, la décision de l'UE
d'encourager l'adhésion de l'Islande est également étayée
par des considérations stratégiques. La principale considération
est la situation géopolitique dans la zone arctique où les
tensions continuent de s'accentuer entre les nations au sujet du
contrôle de vastes ressources naturelles. Le commissaire européen
à l'élargissement, Stefan Füle, a exposé ce fait avec une
franchise étonnante. Füle a précisé, « Il y [a eu]
beaucoup de discussion dernièrement sur l'importance stratégique
de la zone arctique. C'est là que l'Islande pourrait être très
utile. »
Le ministre suédois des
Affaires étrangères, Carl Bildt, était d'accord et a ajouté,
« L'UE est pratiquement absente dans ce grand jeu. L'Islande
nous introduira davantage dans les questions arctiques qui seront de
taille. »
En plus des ressources
naturelles trouvées dans la zone arctique - qui avaient été
évaluées en 2008 selon une étude de l'US Geological Survey
(USGS) à 90 milliards de barils de pétrole, potentiellement un
tiers du gaz naturel non exploité et 20 pour cent de gaz naturel
liquide - la région renferme d'importantes voies de navigation
qui sont en train d'être ouvertes par le réchauffement
climatique.
Le fait de se procurer une
position dominante dans la région se révèlerait très lucratif,
quelque chose qui est très bien compris à Bruxelles. A l'heure
actuelle, la course pour le contrôle des ressources naturelles dans
la zone arctique et les voies commerciales se jouent entre la
Russie, le Canada, la Norvège, le Danemark et, de plus en plus, les
Etats-Unis. Moscou avait revendiqué une vaste portion de l'Océan
arctique en 2007 en plantant un drapeau russe dans les fonds marins
lors d'une expédition scientifique sous-marine. Le Canada a
augmenté sa présence militaire dans l'Arctique et des projets
d'un port en eaux profondes ont été avancés. Une base
d'entraînement militaire à Resolute Bay a également été
développée. Les deux pays, disposant de grandes longueurs de côtes
sur l'Océan Arctique sont présumés contrôler des eaux jusqu'à
200 milles nautiques (370 kilomètres) de leurs côtes en vertu de
la convention sur le droit de la mer.
Le Danemark qui revendique
de grandes parties de la zone Arctique en raison de son contrôle du
Groenland a annoncé l'été dernier qu'il allait créer un
commandement militaire sur l'île. Copenhague est engagé dans un
long conflit diplomatique avec le Canada sur le contrôle d'une
petite île située entre le Groenland et le Canada, et dont la
propriété pourrait se révéler être décisive pour déterminer
quel Etat détiendra une voie maritime clé libérée en raison de
la fonte des glaces polaires.
Bien que le Danemark soit
un membre de l'UE, Bruxelles espère étendre son influence dans
la région grâce à une présence en Islande également.
De telles démarches ne se
font pas sans opposition. Washington, conscient de risquer d'être
perdant au profit de ses rivaux dans la région, a considérablement
intensifié ses activités arctiques au cours de l'année écoulée.
En mai et juin de l'année dernière, l'OTAN avait effectué
deux exercices militaires dans le grand nord. L'alliance dominée
par les Etats-Unis a mené des manouvres navales dans la mer
Baltique et en mer du Nord tandis que des forces finlandaises et
suédoises participaient à une simulation d'opérations aériennes
et terrestres dans la région arctique de la Suède.
Stratégiquement,
l'Islande peut fournir une influence supplémentaire à l'UE.
Située en plein milieu de l'Atlantique nord, l'île avait été
considérée comme significative pour des raisons géopolitiques
durant la Guerre froide. L'Islande avait été un membre fondateur
de l'OTAN en 1949 et les Etats-Unis avaient construit et opéré
une base navale et aérienne à Keflavik (NASKEF, Naval Air Station
Keflavik) d'où ils réalisaient des missions de l'OTAN, y
compris la surveillance des activités soviétiques en Europe du
nord. La présence américaine avait été codifiée par l'accord
relatif à la présence de forces de défenses en Islande signé au
moment où Reykjavík avait rejoint l'OTAN. Durant la Guerre
froide, il avait été estimé que les avions américains avaient
intercepté à partir de la base de Keflavik plus d'un millier de
vols soviétiques.
Avec l'effondrement de
l'Union soviétique, Washington a progressivement réduit son
implication en Islande et le personnel militaire américain restant
ne l'a quitté qu'en 2006. Comme l'ont déjà montré les
exercices militaires de l'année dernière, Washington ne restera
pas sans réagir quand ses rivaux prendront pied à ses dépens dans
l'Arctique.