Plus de 75.000 travailleurs du secteur public, infirmières, enseignants,
fonctionnaires et ceux qui les appuient dans leur lutte ont manifesté samedi
dernier à Montréal
Plus de 75.000 travailleurs québécois du secteur public ont marché au
centre-ville de Montréal samedi dernier pour manifester contre les demandes
de concessions du gouvernement libéral provincial.
Venant de tous les coins du Québec, y compris de régions éloignées comme
la Gaspésie et le lac St-Jean, des travailleurs d'hôpitaux, des infirmières
et d'autres travailleurs de la santé, des fonctionnaires, des enseignants du
primaire, du secondaire et du CÉGEP ainsi que du personnel de soutien ont
participé à la manifestation.
En 2005, le gouvernement libéral de Jean Charest avait, par décret,
retiré au demi-million de travailleurs du secteur public de la province
leurs droits de négociation collective et de grève et leur avait imposé un
contrat d'une durée de six ans et demi avec trois ans de gel salarial.
Dans les négociations actuelles, qui doivent mener au remplacement des
contrats imposés par décision du gouvernement en 2005, les libéraux
cherchent à imposer un contrat de cinq ans, d'autres diminutions du salaire
en termes réels et la diminution des conditions en milieu de travail. La
hausse du nombre maximum d'étudiants par classe et l'obligation pour les
infirmières ayant de l'ancienneté de faire des quarts de nuit en sont des
exemples.
Récemment, le gouvernement a indiqué qu'il s'apprêtait à nouveau à
recourir à une loi spéciale pour imposer une « entente ». Vendredi dernier,
à la veille de la manifestation inter-syndicale (Front commun), la
présidente du Conseil du trésor, Monique Gagnon-Tremblay, a dit qu'elle
était prête à laisser les négociations se poursuivre quelques jours après
l'échéance du contrat actuel le 31 mars, mais qu'elle n'allait pas permettre
qu'elles « s'éternisent ». Tremblay a ainsi affirmé qu'il était question
dorénavant d'un « blitz de négociations ».
La taille de la manifestation de samedi était une indication de la colère
qui gronde dans la classe ouvrière face à la baisse du niveau de vie et la
détérioration des services publics et des programmes sociaux. Mais pour les
dirigeants syndicaux, la manifestation était un stratagème : une manoeuvre
visant à diminuer la pression venant de la base et non un moyen pour
préparer une contre-offensive de la classe ouvrière contre le gouvernement
libéral et la classe dirigeante. Cette dernière presse Charest d'utiliser le
retour du déficit dans la province et le vieillissement de la population
comme prétextes pour étendre la privatisation du système de santé, augmenter
entre autres les frais universitaires et de garderies ainsi que les tarifs
d'électricité et sabrer les services offerts par l'Etat.
Les brefs discours prononcés à la manifestation par la chef de la
Confédération des syndicats nationaux (CSN), Claudette Carbonneau, le
président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), Michel
Arsenault, et Dominique Verreault du Secrétariat intersyndical des services
publics (SISP) étaient insipides et d'esprit de clocher. Les chefs syndicaux
ont appelé au gouvernement Charest de droite à négocier de bonne foi. Ils
n'ont fait aucune référence à l'assaut contre les services publics et les
emplois de la fonction publique par le gouvernement conservateur fédéral et
les gouvernements provinciaux à travers le Canada. Ils n'ont évidemment pas
plus mentionné les luttes qui ont émergé en Grèce et ailleurs au moment où
les travailleurs résistent aux tentatives de la grande entreprise de les
faire payer pour la crise du système capitaliste.
Dans une entrevue publiée dans le quotidien La Presse le jour de
la manifestation, le premier ministre Charest n’a laissé aucun doute qu’il
considérait que les syndicats organisaient une lutte pour la forme. « Nous
sommes généralement satisfaits de l’approche prise par les dirigeants
syndicaux », a dit Charest. « Ils font leurs manifestations… Je ne dirais
pas que c’est du théâtre, ils font leurs représentations pour avoir leur
part du gâteau. » [retraduit de l’anglais]
Même si le gouvernement a signalé à plusieurs reprises qu’il était prêt à
imposer des concessions au moyen d’une loi spéciale décrétant le contrat
collectif, les syndicats ne considèrent même pas de grèves avant le mois de
septembre. Et les dirigeants syndicaux n’ont pas dit un mot sur la réponse
des travailleurs si jamais les conditions de travail étaient décrêtés encore
une fois par le gouvernement, ce qui signale qu’ils vont affirmer qu’ils ont
les mains liées et que rien ne peut être fait sauf attendre la prochaine
élection et remplacer les libéraux par l’autre parti de la grande entreprise
rival, le Parti québécois (PQ).
Depuis que le PQ de René Lévesque, bénéficiant de l’appui des
organisations syndicales, a imposé de très importantes concessions aux
travailleurs du secteur public en 1982-83, les syndicats ont capitulé une
fois après l’autre devant les lois interdisant les grèves et l’imposition de
contrats par décret gouvernemental. En 1996, ils ont donné leur plein appui
à la campagne du gouvernement péquiste pour éliminer les déficits du budget
provincial. Ils s’étaient joints au gouvernement pour imposer des coupes
massives des dépenses sociales et ont développé un programme de départ
anticipé à la retraite qui a facilité l’élimination de dizaines de milliers
d’emplois du secteur public.
Dans les négociations actuelles, le PQ s’est solidarisé sans surprise
avec le gouvernement Charest. En janvier, la dirigeante du PQ Pauline Marois
a caractérisé les demandes salariales des travailleurs du secteur public
comme « exagérées ».
Des partisans du Parti de l’égalité socialiste au Canada ont distribué
une déclaration lors aux manifestants de samedi dernier qui insistait sur la
nécessité pour les travailleurs du secteur public de faire de leur lutte le
fer de lance d’une mobilisation militante et politique de toute la classe
ouvrière en défense des services publics, des emplois et des droits des
travailleurs.
On pouvait y lire que cette lutte « exige avant tout des travailleurs une
rupture avec la bureaucratie privilégiée qui contrôle les syndicats. Une
longue expérience historique mondiale avec la forme d’organisation syndicale
a démontré que celle-ci est inadéquate pour défendre les conquêtes sociales
obtenues dans les luttes passées, encore moins pour en arracher de
nouvelles. Depuis la fin des années 1970, en réponse au tournant de l’élite
dirigeante d’une politique de compromis social vers une stratégie de guerre
de classe, les syndicats se sont transformés en instruments pour imposer
l’austérité capitaliste. Ce faisant, ils se sont pleinement intégrés aux
instances patronales et gouvernementales (comités tripartites, Fonds de
solidarité, etc).
« En opposition à ces défenseurs endurcis du capitalisme, les
travailleurs doivent faire renaître leurs traditions de luttes militantes,
et surtout se tourner vers une nouvelle perspective politique : la lutte
pour un gouvernement ouvrier qui utiliserait les vastes ressources
disponibles pour satisfaire les besoins sociaux de tous, et non la soif de
profits d’une minorité. »