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Les travailleurs du Journal de Montréal s'opposent à la capitulation des syndicats

Par Laurent Lafrance
12 novembre 2010

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En lock-out depuis les 21 derniers mois, les journalistes et la rédaction du Journal de Montréal ont voté à la mi-octobre à 89,3 pour cent contre la proposition d'un « règlement » qui exigeait l'élimination de quatre emplois sur cinq et de nombreuses autres concessions draconiennes.

Le règlement, qui a été négocié sous les auspices d'un médiateur provincial durant cinq semaines de pourparlers à huis clos, a été tacitement appuyé par la Confédération des syndicats nationaux (CSN). C'est la CSN qui avait pressé le gouvernement libéral du Québec de nommer un médiateur, affirmant que l'intervention du gouvernement était la clé à la résolution du conflit acerbe. Et lorsque le patron milliardaire de Quebecor, Pierre-Karl Péladeau, a indiqué qu'il était prêt à reprendre les négociations, la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau, a rapidement annoncé qu'elle avait bon espoir qu'une entente allait être conclue.

Le syndicat local affilié à la CSN, le Syndicat des travailleurs de l'information du Journal de Montréal (STIJM), ne s'est pas opposé à ce que leurs membres sacrifient leurs emplois, leurs salaires et leurs droits, présentant le règlement aux travailleurs sans faire de recommandation.

Devant cette trahison, les travailleurs du Journal de Montréal, en piquet de grève depuis le 24 janvier 2009, ont voté courageusement pour la poursuite de leur lutte contre Quebecor, l'une des plus importantes sociétés de médias et télécommunications du Canada.

Le rejet de l'entente met en évidence la volonté des travailleurs à lutter pour leurs droits et leurs besoins. Mais pour que cette lutte ne soit pas vaincue, les travailleurs du Journal de Montréal doivent en prendre le contrôle, qui appartient actuellement à la CSN, et en faire le fer de lance d'une offensive politique et syndicale de la classe ouvrière contre la volonté de la grande entreprise de faire payer les ouvriers pour la crise économique par des suppressions d'emplois, des baisses de salaires et le démantèlement des services sociaux.

Provocation est le terme qui convient pour décrire ce règlement.

Il exigeait que la main-d'oeuvre syndiquée passe de 253 à 52 postes. Seulement 17 des postes de journalistes devaient être conservés et tous les emplois de révision éliminés.

Quebecor aurait eu tous les pouvoirs pour décider quels travailleurs en particulier auraient conservé leur emploi et quels sont ceux qui auraient été congédiés.

Les salaires auraient été sabrés par l'augmentation de 25 pour cent de la durée de la semaine de travail, sans compensation, et les avantages sociaux réduits de 20 pour cent.

Quebecor aurait de plus obtenu le droit d'utiliser tous les articles et photos produits par les travailleurs du Journal de Montréal dans l'ensemble de ses autres publications web et imprimées, sans que les travailleurs n'obtiennent la moindre compensation supplémentaire.

L’entente proposée incluait une clause forçant la fermeture immédiate de RueFrontenac.com, une publication web lancée par les lock-outés. Afin de recevoir leur indemnité de départ, les 200 travailleurs perdant leur emploi auraient dû signer une entente de non-concurrence les empêchant de travailler pour les principaux compétiteurs du Journal de Montréal ou de participer à la mise sur pied d’un autre journal francophone dans la région de Montréal pour une période de six mois. Pour les travailleurs de longue date, la clause de non-concurrence aurait duré beaucoup plus longtemps.

Un travailleur a souligné que Quebecor a financé les indemnités de licenciement proposées (une moyenne de 100.000 dollars par travailleur, pour un total d’environ 20 millions de dollars) avec le lock-out. « Les millions qu'il avait mis sur la table, il faut quand même considérer qu'il a sauvé cette somme-là, il ne l'a pas dépensée. Ce sont nos salaires, finalement, de la première année de lock-out. »

Exploitant le refus catégorique de la CSN de faire le moindre geste pour mobiliser la classe ouvrière en soutien aux travailleurs du Journal de Montréal, Quebecor a demandé encore plus de concessions que lorsqu’il a jeté les travailleurs à la rue il y a de cela plus de 600 jours. Initialement, la direction du Journal de Montréal voulait couper 75 postes, soit 30 pour cent de la main-d’œuvre. Selon la dernière offre patronale, 80 pour cent des effectifs devaient être éliminés. Le quotidien, qui est un des plus rentables au Canada, a commencé en demandant 233 changements dans la convention. Au cours de la médiation, Quebecor en voulait plus de 700.

La CSN a cherché à justifier le fait qu’elle garde les travailleurs du Journal de Montréal isolés en affirmant que leur conflit est un conflit local contre un employeur parmi les pires.

En fait, dans son offensive contre ses travailleurs, Quebecor jouit du soutien de l’État — les cours, la police et le gouvernement — et de l’establishment politique.

Les tribunaux ont émis une série d’injonction ne faisant du piquet de grève qu’un geste symbolique. Plus tôt dans le conflit, les tribunaux ont approuvé l’utilisation de briseurs de grève par Quebecor lorsqu’ils ont décidé que la loi anti- briseurs de grève ne s’applique qu’au bureau du Journal de Montréal. Cela signifie que l’entreprise a carte blanche pour embaucher des briseurs de grève à l’extérieur de l’édifice pour l’écriture d’articles et autres fonctions normalement exécutées par les travailleurs du Journal de Montréal.

Et les tribunaux ont imposé de sauvages amendes aux travailleurs qui avaient participé à une brève et non violente occupation des locaux du Journal. Quebecor avait ensuite utilisé ces pénalités afin de justifier le renvoi de neuf lock-outés.

Par la Caisse de dépôt et placement (qui gère les fonds de retraite publics du Québec), le gouvernement est un actionnaire majeur dans l’aile des médias et des télécommunications de l’empire Quebecor Media de Péladeau. La Caisse détient plus de 45 pour cent des actions de Quebecor Media. Comme le chroniqueur de la section affaires du journal La Presse, Michel Girard, le fait remarquer : « Pour la haute direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec, l'éventuelle rentabilité de son investissement de 3,2 milliards dans Quebecor Media est manifestement mille fois plus importante que la méthode dure utilisée par Pierre Karl Péladeau pour y parvenir. »

Il est nécessaire de mettre l’accent sur le fait que la Caisse de dépôt a été utilisée autant par le Parti libéral que le Parti québécois pendant des décennies afin de promouvoir des grandes entreprises détenues par des Québécois. Loin d’être une compagnie voyou ou une « pomme pourrie », Quebecor est un des fleurons de Québec Inc.

La signification de la lutte des travailleurs du Journal de Montréal et le potentiel ainsi que la nécessité de mobiliser l’appui de la classe ouvrière au Québec et à travers le Canada est mis en lumière par le rôle de Péladeau et de Quebecor Media dans la politique québécoise et canadienne.

Le Journal de Montréal et Péladeau ont été parmi les plus fervents promoteurs des lucides — un groupe de journalistes, d’académiciens et d’anciens politiciens libéraux et péquistes mené par l’ex-premier ministre péquiste Lucien Bouchard qui, depuis 2005, ont fait pression sur le gouvernement Charest pour qu’il tourne significativement vers la droite en coupant dans les services publics, en adhérant à la privatisation et en augmentant dramatiquement les frais d’électricité et les frais de scolarité universitaires.

Dans son budget de mars dernier, le gouvernement libéral provincial de Jean Charest, tout comme plusieurs membres importants des lucides s’en sont vantés, a commencé à implanter plusieurs de leurs demandes clés. Mais, le Journal de Montréal a dénoncé le budget comme étant inadéquat.

Le Journal de Montréal a aussi été à l’avant-garde de la campagne pour alimenter les préjugés envers les immigrants et les minorités religieuses, sautant sur une série d’incidents mineurs en les déformant afin de prétendre que les « valeurs québécoises » sont menacées.

Dans les derniers mois, Péladeau, bénéficiant du soutien des conservateurs de Stephen Harper dans les coulisses, a cherché à obtenir le permis de télédiffusion pour lancer une chaîne de télévision canadienne sous le modèle de Fox News. Détenue par Rupert Murdoch, la chaîne Fox News est célèbre pour vomir des mensonges de droite et promouvoir le militarisme et la réaction sur les ondes américaines.

L’offensive de Péladeau contre les travailleurs du Journal de Montréal vise à imposer un modèle de « convergence » des médias dont le but est d’intégrer toutes les opérations médias de Québecor pour tirer encore plus de profits d’une main-d’œuvre fortement réduite. Mais cette campagne est interliée avec la campagne que mène Péladeau pour un virage politique abrupt vers la droite. Il faudrait éliminer ce qui reste des services publics et des services sociaux associés à « l’État-providence » et réduire encore plus les impôts et les taxes pour la grande entreprise et les riches.

Péladeau s’est fréquemment plaint publiquement que les syndicats ont trop de pouvoir au Québec. En fait, comme la situation au Journal de Montréal le démontre, les syndicats sont opposés à toute mobilisation de la classe ouvrière contre la grande entreprise. Au cours des trente dernières années, ils ont bloqué toute expression de la lutte des classes. Fois après fois, les syndicats ont imposé des réductions d’emplois et des diminutions de salaire, alors qu’ils développaient au même moment des liens plus étroits avec le patronat et le gouvernement au sein d’une myriade d’organismes tripartites institutionnalisés. ils sont devenus des actionnaires importants dans d’innombrables entreprises par les acquisitions de fonds mutuels gérés par les syndicats comme le Fonds de solidarité de la Fédération des travailleurs du Québec et Fondaction de la CSN.

Lorsque Péladeau s’élève contre les syndicats, sa véritable cible consiste en fait dans les acquis de la classe ouvrière lors des luttes militantes des années 1960 et 1970 et le soutien qui demeure fort dans la population pour l’assurance-maladie et les autres programmes sociaux.

La CSN, quant à elle, espère convaincre la grande entreprise de ne pas se joindre à Péladeau pour demander au gouvernement du Québec qu’il mette fin aux relations corporatistes étroites qu’il a développées avec les syndicats depuis la fin des années 1970. La bureaucratie syndicale veut que l’on continue à compter sur elle pour contrôler la classe ouvrière, même si cela signifie accepter une campagne avec briseurs de grève appuyée par l’État.

Pendant 21 mois, la CSN a dit aux travailleurs du Journal de Montréal qu’ils doivent lutter seuls et se soumettre aux ordres de la cour en faveur des employeurs. On ne peut pas faire appel, par exemple, aux travailleurs syndiqués qui travaillent aux presses du Journal parce que toute action syndicale qu’ils entreprendraient serait illégale.

Après le rejet du vote de la semaine dernière, le syndicat a clairement indiqué qu’il était prêt à accepter presque toutes les demandes de Péladeau. mentionne que la continuité de RueFrontenac.com aurait permis de « sauver 50, 60 jobs de plus » chez les journalistes. « Sans cette clause de non-concurrence, je crois sincèrement que cette offre-là aurait été acceptée ».

Pendant ce temps, tout ce que la CSN entreprend, c’est d’appeler pour un boycott, une tactique anémique vers laquelle les syndicats se tournent lorsqu’ils veulent administrer les derniers sacrements aux luttes ouvrières. La CSN demande aussi aux travailleurs de faire pression sur les politiciens des partis de la grande entreprise, le Parti libéral et le Parti québécois, pour qu’ils amendent la loi anti-scab.

La réalité est que la loi actuelle très inadéquate n’a été adoptée en 1977 qu’après une décennie de luttes de classe explosives, y compris la grève d’United Aircraft. Elle était une pièce importante dans la tentative du PQ (qui a été un succès du point de vue de la bourgeoisie dans son ensemble) de faire la promotion de la collaboration corporatiste entre les syndicats, le patronat et l’État.

Les travailleurs du Journal doivent rejeter la perspective pro-capitaliste des syndicats et se tourner vers la classe ouvrière. Ils peuvent obtenir un appui de masse s’ils transforment leur lutte en un catalyseur pour une contre-offensive de la classe ouvrière contre l’assaut que connaissent les travailleurs sur leurs emplois, les salaires et leurs droits.

(Article original anglais paru le 16 octobre 2010)

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