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France: Des manifestations de masse secouent le gouvernement

Par Alex Lantier
15 octobre 2010

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Plus de trois millions de travailleurs ont participé à la journée de mobilisation de mardi contre les coupes dans les retraites mises en place par le président Nicolas Sarkozy et les travailleurs de plusieurs secteurs industriels ont voté pour la reconduction de la grève.

Dans un contexte où la presse fait état de craintes d'une « radicalisation », c'est à dire de grèves échappant au contrôle des syndicats et des partis de « gauche » bourgeois, une confrontation se prépare entre la classe ouvrière et l'ensemble de l'establishment politique.

Cette journée d'action était appelée par les syndicats contre une mesure visant à reporter l'âge de départ à la retraite sans décote de 65 à 67 ans. L'attaque contre les retraites fait aussi passer l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. Alors que ces deux dispositions clé ont déjà été votées, le Sénat doit encore voter les parties restantes de la législation cette semaine.

Sarkozy insiste pour dire que le gouvernement ne reculera pas sur les réformes qui ne sont que le premier pas de projets de mesures massives d'austérité.

Les exigences du gouvernement ont révélé au grand jour la justice de classe flagrante de la politique gouvernementale. Les travailleurs sont confrontés à des coupes tandis que les banques et les ultra riches sont renfloués. Pour exemple notamment, le ministre du Travail Eric Woerth, chargé de la réforme des retraites, a entretenu des relations de corruption avec la milliardaire Liliane Bettencourt, l'aidant à récupérer plusieurs millions d'euros d'abattements fiscaux.

Une majorité écrasante de la population soutient les grèves et est opposée aux réformes de Sarkozy. Un sondage CSA pour Le Parisien révèle que 69 pour cent de la population soutiennent la grève et 61 pour cent soutiennent la reconduction de la grève. Un autre sondage révèle que 68 pour cent désapprouvent Sarkozy.

Les efforts du gouvernement pour minimiser l'envergure des manifestations ont échoué. Tout comme lors des journées d'action précédentes, où ils avaient donné des chiffres de participation très bas, la police a dit que 1,2 million de personnes a défilé dans les rues. Même le syndicat de la police à Marseille a dénoncé cette estimation l'accusant de « travestir» la réalité à des fins politiques, ce qui « ridiculise la police. » Des syndicats de policiers ont rejoint la manifestation parisienne.

Toutes les sources sont d'accord pour dire que la participation était supérieure à celle des journées d'action précédentes. Selon les syndicats, 330 000 personnes ont défilé à Paris, 230 000 à Marseille, 145 000 à Toulouse, 130 000 à Bordeaux, 95 000 à Nantes, plus de 70 000 à Rouen, ainsi qu'à Montpellier et Grenoble.

Sur de nombreux lieux de travail, les travailleurs vont se réunir en assemblées générales ce matin pour voter la reconduction ou non de la grève. Dans les raffineries de pétrole Total, à la SNCF (réseau ferroviaire) et à la RATP (métro et bus parisiens) des travailleurs ont voté la nuit dernière pour la reconduction de la grève. Avec la grève déjà en cours sur le port de Marseille bloquant le réapprovisionnement des raffineries de pétrole et des reportages faisant état d'automobilistes prenant d'assaut les stations service, une grève durable dans les transport en commun risquerait de paralyser de larges secteurs de l'économie.

Des lycéens étaient aussi en grand nombre dans les cortèges et plus de 300 lycées étaient en grève et bloqués.

La classe dirigeante espère que les syndicats seront capables de contenir l'opposition de masse de façon à ce que le gouvernement puisse maintenir cette législation. Le premier ministre François Fillon a dit hier aux législateurs conservateurs qu'il n'y avait « pour l'instant » plus de « marge de manoeuvre » pour modifier la loi. En conséquence, a-t-il expliqué, « maintenant, ce qu'il faut c'est du sang-froid et pas de provocation. »

Néanmoins, le Financial Times écrit que des sources à l'Elysée « craignent le risque d'une radicalisation et même de violences sporadiques. »

La classe dirigeante sait bien qu'elle est confrontée à une menace politique majeure. Le quotidien L'Est Républicain écrit, « Tous les ingrédients d'une révolte sociale sont réunis: un pouvoir très impopulaire, une réforme jugée injuste, une opinion désorientée par la crise, un chômage chronique, des lycéens tentés par la rue. » Citant « la crainte de la violence, » le journal dit que les travailleurs «luttent pour conserver les acquis de leur modèle social, sans ignorer qu’une époque s’achève. »

Le Financial Times n'hésite pas à écrire que l'establishment politique français est « toujours traumatisé » par la grève générale et les manifestations étudiantes de mai-juin 1968. »

Les syndicats ont été forcés de préparer cette grève du fait de la frustration qui enfle dans la classe ouvrière. Les journées de protestation à répétition n'ont rien fait pour arrêter les coupes de Sarkozy. Jean-Pierre Delannoy, dirigeant CGT métallurgie du Nord Pas-de-Calais, a expliqué que les travailleurs « en ont assez de se contenter de battre le pavé. »

Les travailleurs sont confrontés à des questions politiques fondamentales au moment où ils entrent dans une lutte contre la politique d'austérité de l'aristocratie financière. Objectivement la classe ouvrière a le pouvoir social de vaincre cette aristocratie et doit lancer des luttes politiques déterminées avec grèves contre elle. Mais la principale difficulté à laquelle doivent faire face les travailleurs est la faillite des syndicats et partis existants qui affichent une opposition qui n'est que de façade.

Face à l'hostilité de masse envers Sarkozy, les syndicats et les partis de l'establishment dissimulent le fait qu'ils soutiennent ces coupes, en organisant des journées d'action épisodiques et inefficaces. Ceci souligne le principal avantage de la bourgeoisie sur la classe ouvrière dans les luttes à venir: son contrôle politique sur les grèves grâce aux partis existants. La bourgeoisie a bien l'intention de d'étouffer ces grèves et de les empêcher de se transformer en une lutte politique avec le gouvernement, en semant l'illusion que l'on peut « améliorer » la législation en poursuivant la négociation.

L'exemple le plus clair est la position trompeuse du Parti socialiste (PS.) Sa secrétaire Martine Aubry critique Sarkozy à présent et met en garde contre une « risque d'affrontement. » Elle appelle à davantage de négociation entre Sarkozy et les syndicats sur ces coupes. Mais durant la crise de la dette grecque au printemps, Aubry avait clairement appelé à un rallongement de deux ans de l'âge de départ à la retraite, une position qui correspond au bilan droitier de son parti lorsqu'il était au pouvoir.

En effet, le candidat probable du PS pour l'élection présidentielle de 2012, Dominique Strauss Kahn, est ctuellement président du Fonds monétaire international (FMI) qui a publié la semaine dernière un rapport soutenant les coupes de Sarkozy. Le rapport fait l'éloge des coupes qui réduisent les dépenses de retraite de 15 pour cent, limitant ainsi le déficit budgétaire de l'Etat et augmentant la profitabilité et la compétitivité des entreprises françaises sur la scène mondiale. Strauss Kahn et le FMI ont joué un rôle majeur dans l'imposition de coupes toujours plus draconiennes à la Grèce durant la crise de la dette européenne du printemps.

Cette même défense de l'austérité sociale sous-tend le refus public des syndicats de mener une lutte déterminée contre l'austérité. Dans une interview accordée au quotidien Libération la semaine dernière, le secrétaire de la CGT Bernard Thibault a expliqué qu'un appel à la grève générale était «un slogan pour moi qui est tout à fait abstrait, abscons. ... ça ne correspond pas à la pratique par laquelle on parvient à élever un niveau de rapport de forces. »

Thibault a ajouté que les mobilisations actuelles ont permis à « des dizaines de millions de salariés de participer déjà, d’une manière ou d’une autre, depuis le mois de mai, à des initiatives de protestation à l’égard du gouvernement. »

Mais Thibault n'a pu que proposer « une remise à plat » de la réforme, c'est à dire le retour à la table des négociations avec Sarkozy, d'où était sortie cette série de coupes. Son opposition aux appels à la grève générale est très révélatrice de sa position: ayant contribué à l'élaboration de ces attaques, il s'oppose à une grève prolongée contre elles.

Ainsi Le Monde écrit: «Il y a un piège que Bernard Thibault veut à tout prix contourner, c’est celui de la radicalisation. Une radicalisation, par nature incontrôlable, qui conduirait les salariés, auprès desquels la CGT veut reconquérir crédibilité et légitimité, dans une impasse en leur faisant croire qu’elle pourrait venir à bout de l’inflexibilité du chef de l’Etat. »

Ceci place objectivement la CGT en opposition politique avec la classe ouvrière. Les travailleurs se mobilisent contre la loi après qu'elle a été votée par le Sénat, précisément parce qu'ils ne se satisfont pas de participer à des journées d'action qui ont manifestement échoué.

Ce mécontentement d'une telle envergure sous-tend la colère et la détermination montantes de larges sections de la classe ouvrière. La logique de cette opposition met les travailleurs en conflit direct avec Sarkozy et tous les défenseurs du système capitaliste, y compris le PS, les syndicats et leurs appuis de « gauche. »

L'éruption de l'opposition de la classe ouvrière en France fait partie d'une radicalisation plus large des travailleurs dans le monde entier. Mais pour que cette opposition soit victorieuse, elle doit prendre une forme politique indépendante qui soit ouvertement dirigée contre la subordination de toute l'économie mondiale aux intérêts de profit des banques et des grandes transnationales.

Le fossé social entre les travailleurs et l'ensemble de l'establishment politique montre à la fois la nécessité et la possibilité de construire un nouveau parti fondé sur la lutte pour le socialisme. Le World Socialist Web Site encourage les travailleurs de France et du monde à contribuer à la construction du Comité international de la Quatrième Internationale, comme parti révolutionnaire de la classe ouvrière.

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