A l’ouverture de la nouvelle session parlementaire
qui a débuté le 21 septembre, le gouvernement du Parti libéral du Québec (PLQ)
de Jean Charest a annoncé qu’il allait de l’avant avec le projet de
loi 94, un projet de loi à caractère chauvin et anti-démocratique.
La loi 94, si elle entre en vigueur, interdirait aux femmes
portant le voile intégral, c’est-à-dire la burqa ou le niqab, de recevoir
des services des institutions publiques et parapubliques, de juridiction
provinciale. Il leur serait aussi interdit de travailler dans ces mêmes
institutions si elle portait le voile intégrale.
Le premier ministre Jean Charest a décrit le projet de loi en
ces termes : « Le principe ne pourrait pas être plus clair que ça. Il
y a deux mots dans le projet de loi : visage découvert. La personne qui
donne un service et la personne qui reçoit un service doivent avoir le visage
découvert. » Une exception « humanitaire » serait prévue pour
les soins médicaux d’urgence.
Le projet de loi 94, généralement bien accueillie par les
grands médias et l’élite politique, a été tout d’abord déposé en
mars dernier suite à une campagne anti-immigrés dans la presse.
Ces discussions sur la question du voile intégral au Québec
venaient à la suite d’une longue campagne contre les immigrants et les
minorités religieuses qui prétendument ne se conformaient assez aux valeurs de
la majorité.
Cette campagne a été utilisée pour tenter de trouver une
base de soutien politique dans la population pour les politiques de droite
impopulaires. Depuis des années, les porte-parole de la bourgeoisie se
lamentent du manque d’appui populaire pour les politiques néo-libérales,
surtout le démantèlement des services publics et des programmes sociaux.
La campagne anti-immigrés a atteint un pic
d’intensité vers l’automne 2006, soit un peu avant la campagne
électorale des élections provinciales québécoises de mars 2007. Presque
quotidiennement, les journaux faisaient la une avec des questions de
différences culturelles qu’ils montaient en épingle, quand ils
n’imprimaient pas carrément des mensonges.
Au cours de la campagne 2007, l’élite dirigeante et
les médias québécois s’étaient servis de la question des accommodements
raisonnables afin de promouvoir l’Action démocratique du Québec (ADQ), un
parti populiste de droite. Elle a contribué au développement d’un climat
chauvin dans la population qui a pour but de pousser l’ensemble de la politique
québécoise davantage vers la droite.
Le Parti libéral et le Parti québécois (PQ), un parti
nationaliste qui a fortement évolué vers la droite au cours des dernières
années et qui forme aujourd’hui l’opposition officielle,
s’étaient adaptés à la campagne de l’ADQ, notamment en exigeant du
Directeur général des élections du Québec qu’il déclare que les
musulmanes doivent se dévoiler pour voter. (voir article de novembre 2007, La
commission sur les accommodements raisonnables et la montée du chauvinisme
anti-musulman) L’ADQ,
qui avait formé l’opposition officielle après les élections de 2007, est
aujourd’hui un parti moribond qui n’a plus qu’une poignée de
députés suite aux dernières élections de 2008.
Après la campagne électorale de 2007, pour reprendre le
titre de champion de la question « identitaire » à l’ADQ, le PQ
avait aussi proposé l’adoption d’une loi sur la « citoyenneté
québécoise ». Cette loi aurait privé les nouveaux arrivants au Québec de
droits politiques importants s’ils échouaient un test d’aptitude en
français ou s’ils n’avaient pas juré d’adopter les valeurs
québécoises. Les droits politiques qui auraient pu être enlevés sont, entre
autres, l’éligibilité de se présenter à des élections pour
l’Assemblée nationale, des conseils municipaux ainsi que des comités
scolaires.
Le projet de loi 94 sur le port du voile intégral du
gouvernement Charest fait partie d’un phénomène se développant
mondialement. Les élites dirigeantes de chaque pays, largement discréditées par
la crise économique et un militarisme grandissant, ont de plus en plus recours
à des attaques sur les droits démocratiques contre les minorités ethniques et
religieuses afin de détourner la colère des travailleurs contre leurs
politiques impopulaires.
La France, au même moment où le
projet de loi 94 était annoncé au Québec, connaissait le même genre de débat
sur l’interdiction du voile intégral. Le Parlement français a maintenant
officiellement banni le voile intégral des lieux publics. Loin de défendre la
laïcité de l’État et l’égalité homme-femme, deux justificatifs
souvent amenés pour promouvoir ces nouvelles lois, celles-ci représentent
plutôt une tentative de la part des élites dirigeantes pour se servir des
immigrants comme boucs émissaires pour la crise économique. Aux États-Unis, des
lois réactionnaires concernant l’immigration des travailleurs
latino-américains ont aussi été votées.
La ministre québécoise responsable du statut de la femme,
Christine St-Pierre, a fait des commentaires qui montrent que la campagne qui
prend place contre les femmes portant le voile intégral au Québec fait aussi
partie de la tentative de toute la bourgeoisie canadienne pour créer une base
d’appui populaire pour la guerre néo-coloniale en Afghanistan. Alors que
la campagne chauvine précédant l’annonce du projet de loi 94 battait son
plein, elle a déclaré : « Il y a des gens au Québec, au Canada et
ailleurs dans le monde qui sont allés en Afghanistan et qui ont payé de leur sang
pour que ces choses ne soient pas tolérées. Ici, nous ne pouvons tolérer ce
genre de chose. »
Le prétexte plus immédiat à la campagne anti-immigrés au
Québec et au projet de loi 94 est apparu au début mars dans une autre campagne
chauvine du journal La Presse, lorsqu’il a été révélé
qu’une immigrante d’origine égyptienne, Naema Ahmed, suivant des
cours de francisation avait été expulsée parce qu’elle refusait
d’enlever son niqab. La décision d’expulser la femme était venu des
bureaux de la ministre de l’Immigration, Yolande James.
Les médias et l’élite politique sont intervenus en
faveur de cette expulsion et ont demandé au Parti libéral d’adopter des
mesures concernant le port du voile intégral. Le PQ a appelé le gouvernement
Charest à adopter des « directives claires » visant
l’interdiction du port du voile intégral dans les établissements
scolaires.
Lorsque Charest a déposé le projet de loi, Pauline Marois,
la chef de ce parti, l’a tout de suite dénoncé en disant qu’il
n’allait pas assez loin. Elle a dit que l’hijab (foulard islamique
qui recouvre la tête et laisse le visage découvert) devrait aussi être proscrit
et que le projet de loi « laisse en plan toute la question du port de
signes religieux ostensibles ». Elle a déclaré : « Est-ce qu'on va
pouvoir entrer avec un kirpan grand comme ça à l'Assemblée nationale? » (Le
kirpan est une arme symbolique proche du poignard portée par les Sikhs. Il est
permis de le porter dans les écoles au Canada s’il est enveloppé
dans un étui cousu, l'étui étant lui-même porté sous les vêtements de façon à ce
qu’il ne puisse être saisi par une autre personne.)
Au Canada anglais, la réaction des médias face à toute
cette campagne a été davantage mitigée qu’au Québec. Toutefois, les plus
importants dirigeants politiques fédéraux, le premier ministre Stephen Harper,
du Parti conservateur, ainsi que le chef de l’opposition officielle et du
Parti libéral du Canada, Michael Ignatieff, ont appuyé le projet de loi sans
réserve. Le porte-parole du premier ministre, Dimitri Soudas, a déclaré que le
projet de loi « fait du sens » alors qu’Ignatieff a déclaré
qu’il pense que le gouvernement Charest a trouvé un « bon
équilibre. » Dans les derniers mois, le gouvernement Harper a monté sa
propre campagne contre les immigrants, faisant saisir par l’armée
canadienne un navire rempli de réfugiés tamouls sur la côte ouest du Canada.
Quant à Amir Khadir, l’unique député de Québec solidaire,
un parti de juridiction provinciale qui se présente comme étant indépendantiste
de gauche, il a déclaré, après l’expulsion d’Ahmed du cours de
français, que ce serait « barrer la route à quelques-unes de ces femmes
voilées qui veulent s'en sortir » si le port du voile intégral était
interdit dans les cours de français pour immigrants.
Mais, Québec solidaire s’est rapidement adapté à la
campagne anti-immigrés, Khadir contribuant à donner de la légitimité à toute
cette campagne. Au lieu de la dénoncer comme étant réactionnaire, Khadir et
Québec solidaire prennent comme point de départ que le projet de loi 94 est
vraiment un effort pour défendre la laïcité de l’État québécois et
l’égalité homme-femme. Ils ne font que critiquer certaines facettes de la
loi, en demandant de l’élargir encore plus, comme l’ont fait
d’autres partis.
Concernant le projet de loi, Khadir a déclaré : « Il manque
à ces balises certaines restrictions pour mieux affirmer le caractère laïque de
l'État québécois et pour assurer la protection de l'égalité hommes-femmes au
Québec. Afin de préserver l'image de neutralité de l'État en matière
religieuse, il est raisonnable par exemple, d'interdire le port de signes
religieux aux détenteurs de postes d'autorité, tels les policiers, juges ou
autres agents de la paix. »
Le Conseil du statut de la femme, un organisme
gouvernemental qui a participé à la rédaction de la loi, a déclaré :
« Enfin, comme nous le réclamons depuis longtemps, le gouvernement établit
des balises, notamment pour respecter l'égalité entre les femmes et les
hommes. »
Or, personne ne daigne ni ne peut expliquer en quoi le fait
de priver l’accès à des emplois et à des services publics pour une
minorité de femmes, sur la base de leur croyance religieuse, fait la promotion
de l’égalité entre les hommes et les femmes.
Dans tous les débats qui ont lieu sur le voile intégral,
les problèmes réels que vivent les immigrants en arrivant au Canada ne sont
pratiquement jamais discutés. La situation de l’emploi des immigrants,
question essentielle s’il en est une, est parlante à cet effet. Selon un
rapport de Statistique Canada publié en 2008, les immigrants récents,
c’est-à-dire ceux qui sont arrivés au Canada dans les cinq dernières
années, gagnent nettement moins que leurs homologues canadiens, avec ou sans
grade universitaire. Cette situation n’a fait que se détériorer depuis
les années 80. Le rapport déclare : « En 1980, les immigrants récents
de sexe masculin qui avaient un revenu d'emploi touchaient environ 85 cents
pour chaque dollar gagné par leurs homologues nés au Canada. En 2005, le ratio
avait chuté à 63 cents. Les chiffres correspondants pour les femmes immigrantes
récentes étaient 85 cents et 56 cents, respectivement. »
Pour ce qui est de la défense du « caractère laïque de
l’État québécois », l’autre argument amené pour justifier
l’interdiction partielle du voile intégral, on ne peut le qualifier
que d’hypocrisie et de manipulation crasse de l’opinion publique.
Alors que le PLQ et le PQ se font les porte-parole des
bigots anti-musulmans et du chauvinisme, ils veulent donner une place
privilégiée à la religion catholique, affirmant qu’elle fait partie de
l’héritage historique du Québec et que l’on ne peut pas
« renier nos ancêtres ».
Par exemple, en réponse aux affirmations de Pauline Marois,
selon lesquelles le projet de loi devrait aussi bannir le hijab, Charest a
répondu que « Mme Marois va trop loin… Car les religieuses aussi se
couvrent la tête, et une loi plus sévère encadrerait donc également leurs
pratiques. »
En 2008, une motion déposée par le gouvernement Charest
afin de laisser à sa place le crucifix qui se trouve à l’Assemblée
nationale québécoise avait obtenu l’unanimité. Cette motion avait été le
premier geste du gouvernement Charest suite aux recommandations de la
commission Bouchard-Taylor, une commission créée en 2007 pour répondre à la
crise fabriquée sur les accommodements raisonnables. Le crucifix se trouve à
l’Assemblée nationale depuis 1936 seulement alors que Maurice Duplessis
voulait indiquer que son gouvernement respecterait les « valeurs
catholiques » contrairement aux libéraux qu’il remplaçait au
pouvoir.
Et nos défenseurs de la laïcité ne disent rien sur le
drapeau du Québec, une croix blanche sur fond bleu orné de quatre fleurs de lys
blanches représentant la pureté de Marie la vierge.
Dans le débat sur les accommodements raisonnables, le
gouvernement libéral a tenté de se présenter comme plus modéré et raisonnable
que ses adversaires péquistes et adéquistes. Toutefois, comme l’atteste
la loi 94, ils mettent en œuvre leurs revendications réactionnaires.
Plus fondamentalement, ses coupes dans les services
publics, ses hausses de frais et ses baisses d’impôts pour les
entreprises ont contribué fortement à la hausse des inégalités sociales. Et
c’est ce qui forme le terreau fertile pour alimenter le chauvinisme dans
la population, même si une majorité claire de Québécois ne perçoit pas
l’immigration comme ayant une influence négative sur la province.
La classe ouvrière doit voir la signification plus profonde
du projet de loi 94. Ceux qui élaborent de tels projets de loi
anti-démocratiques, tout comme ceux dans les médias et dans
l’establishment politique qui en font la promotion, sont les mêmes qui
attaquent le niveau de vie des travailleurs et qui lancent des guerres
impopulaires.
Tout juste après l’annonce du projet de loi 94, le
gouvernement Charest a déposé le budget le plus à droite de son mandat.
Les travailleurs doivent implacablement s’opposer à
cette loi et défendre le droit de tous, peu importe le sexe et
l’appartenance religieuse ou ethnique de la personne, à avoir un emploi
décent et à avoir accès à des services publics de qualité.
A la bourgeoisie qui cherche à imposer son programme
réactionnaire en semant le racisme et le chauvinisme, les travailleurs et les
travailleuses de toutes les origines et religions doivent s’unir dans une
lutte de classe contre le système capitaliste.