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Québec : Le gouvernement Charest veut bannir le voile intégral des services publics

Par Louis Girard
5 octobre 2010

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A l’ouverture de la nouvelle session parlementaire qui a débuté le 21 septembre, le gouvernement du Parti libéral du Québec (PLQ) de Jean Charest a annoncé qu’il allait de l’avant avec le projet de loi 94, un projet de loi à caractère chauvin et anti-démocratique.

La loi 94, si elle entre en vigueur, interdirait aux femmes portant le voile intégral, c’est-à-dire la burqa ou le niqab, de recevoir des services des institutions publiques et parapubliques, de juridiction provinciale. Il leur serait aussi interdit de travailler dans ces mêmes institutions si elle portait le voile intégrale.

Le premier ministre Jean Charest a décrit le projet de loi en ces termes : « Le principe ne pourrait pas être plus clair que ça. Il y a deux mots dans le projet de loi : visage découvert. La personne qui donne un service et la personne qui reçoit un service doivent avoir le visage découvert. » Une exception « humanitaire » serait prévue pour les soins médicaux d’urgence.

Le projet de loi 94, généralement bien accueillie par les grands médias et l’élite politique, a été tout d’abord déposé en mars dernier suite à une campagne anti-immigrés dans la presse.

Ces discussions sur la question du voile intégral au Québec venaient à la suite d’une longue campagne contre les immigrants et les minorités religieuses qui prétendument ne se conformaient assez aux valeurs de la majorité.

Cette campagne a été utilisée pour tenter de trouver une base de soutien politique dans la population pour les politiques de droite impopulaires. Depuis des années, les porte-parole de la bourgeoisie se lamentent du manque d’appui populaire pour les politiques néo-libérales, surtout le démantèlement des services publics et des programmes sociaux.

La campagne anti-immigrés a atteint un pic d’intensité vers l’automne 2006, soit un peu avant la campagne électorale des élections provinciales québécoises de mars 2007. Presque quotidiennement, les journaux faisaient la une avec des questions de différences culturelles qu’ils montaient en épingle, quand ils n’imprimaient pas carrément des mensonges.

Au cours de la campagne 2007, l’élite dirigeante et les médias québécois s’étaient servis de la question des accommodements raisonnables afin de promouvoir l’Action démocratique du Québec (ADQ), un parti populiste de droite. Elle a contribué au développement d’un climat chauvin dans la population qui a pour but de pousser l’ensemble de la politique québécoise davantage vers la droite.

Le Parti libéral et le Parti québécois (PQ), un parti nationaliste qui a fortement évolué vers la droite au cours des dernières années et qui forme aujourd’hui l’opposition officielle, s’étaient adaptés à la campagne de l’ADQ, notamment en exigeant du Directeur général des élections du Québec qu’il déclare que les musulmanes doivent se dévoiler pour voter. (voir article de novembre 2007, La commission sur les accommodements raisonnables et la montée du chauvinisme anti-musulman) L’ADQ, qui avait formé l’opposition officielle après les élections de 2007, est aujourd’hui un parti moribond qui n’a plus qu’une poignée de députés suite aux dernières élections de 2008.

Après la campagne électorale de 2007, pour reprendre le titre de champion de la question « identitaire » à l’ADQ, le PQ avait aussi proposé l’adoption d’une loi sur la « citoyenneté québécoise ». Cette loi aurait privé les nouveaux arrivants au Québec de droits politiques importants s’ils échouaient un test d’aptitude en français ou s’ils n’avaient pas juré d’adopter les valeurs québécoises. Les droits politiques qui auraient pu être enlevés sont, entre autres, l’éligibilité de se présenter à des élections pour l’Assemblée nationale, des conseils municipaux ainsi que des comités scolaires.

Le projet de loi 94 sur le port du voile intégral du gouvernement Charest fait partie d’un phénomène se développant mondialement. Les élites dirigeantes de chaque pays, largement discréditées par la crise économique et un militarisme grandissant, ont de plus en plus recours à des attaques sur les droits démocratiques contre les minorités ethniques et religieuses afin de détourner la colère des travailleurs contre leurs politiques impopulaires.

La France, au même moment où le projet de loi 94 était annoncé au Québec, connaissait le même genre de débat sur l’interdiction du voile intégral. Le Parlement français a maintenant officiellement banni le voile intégral des lieux publics. Loin de défendre la laïcité de l’État et l’égalité homme-femme, deux justificatifs souvent amenés pour promouvoir ces nouvelles lois, celles-ci représentent plutôt une tentative de la part des élites dirigeantes pour se servir des immigrants comme boucs émissaires pour la crise économique. Aux États-Unis, des lois réactionnaires concernant l’immigration des travailleurs latino-américains ont aussi été votées.

La ministre québécoise responsable du statut de la femme, Christine St-Pierre, a fait des commentaires qui montrent que la campagne qui prend place contre les femmes portant le voile intégral au Québec fait aussi partie de la tentative de toute la bourgeoisie canadienne pour créer une base d’appui populaire pour la guerre néo-coloniale en Afghanistan. Alors que la campagne chauvine précédant l’annonce du projet de loi 94 battait son plein, elle a déclaré : « Il y a des gens au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde qui sont allés en Afghanistan et qui ont payé de leur sang pour que ces choses ne soient pas tolérées. Ici, nous ne pouvons tolérer ce genre de chose. »

Le prétexte plus immédiat à la campagne anti-immigrés au Québec et au projet de loi 94 est apparu au début mars dans une autre campagne chauvine du journal La Presse, lorsqu’il a été révélé qu’une immigrante d’origine égyptienne, Naema Ahmed, suivant des cours de francisation avait été expulsée parce qu’elle refusait d’enlever son niqab. La décision d’expulser la femme était venu des bureaux de la ministre de l’Immigration, Yolande James.

Les médias et l’élite politique sont intervenus en faveur de cette expulsion et ont demandé au Parti libéral d’adopter des mesures concernant le port du voile intégral. Le PQ a appelé le gouvernement Charest à adopter des « directives claires » visant l’interdiction du port du voile intégral dans les établissements scolaires.

Lorsque Charest a déposé le projet de loi, Pauline Marois, la chef de ce parti, l’a tout de suite dénoncé en disant qu’il n’allait pas assez loin. Elle a dit que l’hijab (foulard islamique qui recouvre la tête et laisse le visage découvert) devrait aussi être proscrit et que le projet de loi « laisse en plan toute la question du port de signes religieux ostensibles ». Elle a déclaré : « Est-ce qu'on va pouvoir entrer avec un kirpan grand comme ça à l'Assemblée nationale ? » (Le kirpan est une arme symbolique proche du poignard portée par les Sikhs. Il est permis de le porter dans les écoles au Canada s’il est enveloppé dans un étui cousu, l'étui étant lui-même porté sous les vêtements de façon à ce qu’il ne puisse être saisi par une autre personne.)

Au Canada anglais, la réaction des médias face à toute cette campagne a été davantage mitigée qu’au Québec. Toutefois, les plus importants dirigeants politiques fédéraux, le premier ministre Stephen Harper, du Parti conservateur, ainsi que le chef de l’opposition officielle et du Parti libéral du Canada, Michael Ignatieff, ont appuyé le projet de loi sans réserve. Le porte-parole du premier ministre, Dimitri Soudas, a déclaré que le projet de loi « fait du sens » alors qu’Ignatieff a déclaré qu’il pense que le gouvernement Charest a trouvé un « bon équilibre. » Dans les derniers mois, le gouvernement Harper a monté sa propre campagne contre les immigrants, faisant saisir par l’armée canadienne un navire rempli de réfugiés tamouls sur la côte ouest du Canada.

Quant à Amir Khadir, l’unique député de Québec solidaire, un parti de juridiction provinciale qui se présente comme étant indépendantiste de gauche, il a déclaré, après l’expulsion d’Ahmed du cours de français, que ce serait « barrer la route à quelques-unes de ces femmes voilées qui veulent s'en sortir » si le port du voile intégral était interdit dans les cours de français pour immigrants.

Mais, Québec solidaire s’est rapidement adapté à la campagne anti-immigrés, Khadir contribuant à donner de la légitimité à toute cette campagne. Au lieu de la dénoncer comme étant réactionnaire, Khadir et Québec solidaire prennent comme point de départ que le projet de loi 94 est vraiment un effort pour défendre la laïcité de l’État québécois et l’égalité homme-femme. Ils ne font que critiquer certaines facettes de la loi, en demandant de l’élargir encore plus, comme l’ont fait d’autres partis.

Concernant le projet de loi, Khadir a déclaré : « Il manque à ces balises certaines restrictions pour mieux affirmer le caractère laïque de l'État québécois et pour assurer la protection de l'égalité hommes-femmes au Québec. Afin de préserver l'image de neutralité de l'État en matière religieuse, il est raisonnable par exemple, d'interdire le port de signes religieux aux détenteurs de postes d'autorité, tels les policiers, juges ou autres agents de la paix»

Le Conseil du statut de la femme, un organisme gouvernemental qui a participé à la rédaction de la loi, a déclaré : « Enfin, comme nous le réclamons depuis longtemps, le gouvernement établit des balises, notamment pour respecter l'égalité entre les femmes et les hommes. »

Or, personne ne daigne ni ne peut expliquer en quoi le fait de priver l’accès à des emplois et à des services publics pour une minorité de femmes, sur la base de leur croyance religieuse, fait la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes.

Dans tous les débats qui ont lieu sur le voile intégral, les problèmes réels que vivent les immigrants en arrivant au Canada ne sont pratiquement jamais discutés. La situation de l’emploi des immigrants, question essentielle s’il en est une, est parlante à cet effet. Selon un rapport de Statistique Canada publié en 2008, les immigrants récents, c’est-à-dire ceux qui sont arrivés au Canada dans les cinq dernières années, gagnent nettement moins que leurs homologues canadiens, avec ou sans grade universitaire. Cette situation n’a fait que se détériorer depuis les années 80. Le rapport déclare : « En 1980, les immigrants récents de sexe masculin qui avaient un revenu d'emploi touchaient environ 85 cents pour chaque dollar gagné par leurs homologues nés au Canada. En 2005, le ratio avait chuté à 63 cents. Les chiffres correspondants pour les femmes immigrantes récentes étaient 85 cents et 56 cents, respectivement. »

Pour ce qui est de la défense du « caractère laïque de l’État québécois », l’autre argument amené pour justifier l’interdiction partielle du voile intégral, on ne peut le qualifier que d’hypocrisie et de manipulation crasse de l’opinion publique.

Alors que le PLQ et le PQ se font les porte-parole des bigots anti-musulmans et du chauvinisme, ils veulent donner une place privilégiée à la religion catholique, affirmant qu’elle fait partie de l’héritage historique du Québec et que l’on ne peut pas « renier nos ancêtres ».

Par exemple, en réponse aux affirmations de Pauline Marois, selon lesquelles le projet de loi devrait aussi bannir le hijab, Charest a répondu que « Mme Marois va trop loin… Car les religieuses aussi se couvrent la tête, et une loi plus sévère encadrerait donc également leurs pratiques»

En 2008, une motion déposée par le gouvernement Charest afin de laisser à sa place le crucifix qui se trouve à l’Assemblée nationale québécoise avait obtenu l’unanimité. Cette motion avait été le premier geste du gouvernement Charest suite aux recommandations de la commission Bouchard-Taylor, une commission créée en 2007 pour répondre à la crise fabriquée sur les accommodements raisonnables. Le crucifix se trouve à l’Assemblée nationale depuis 1936 seulement alors que Maurice Duplessis voulait indiquer que son gouvernement respecterait les « valeurs catholiques » contrairement aux libéraux qu’il remplaçait au pouvoir.

Et nos défenseurs de la laïcité ne disent rien sur le drapeau du Québec, une croix blanche sur fond bleu orné de quatre fleurs de lys blanches représentant la pureté de Marie la vierge.

Dans le débat sur les accommodements raisonnables, le gouvernement libéral a tenté de se présenter comme plus modéré et raisonnable que ses adversaires péquistes et adéquistes. Toutefois, comme l’atteste la loi 94, ils mettent en œuvre leurs revendications réactionnaires.

Plus fondamentalement, ses coupes dans les services publics, ses hausses de frais et ses baisses d’impôts pour les entreprises ont contribué fortement à la hausse des inégalités sociales. Et c’est ce qui forme le terreau fertile pour alimenter le chauvinisme dans la population, même si une majorité claire de Québécois ne perçoit pas l’immigration comme ayant une influence négative sur la province.

La classe ouvrière doit voir la signification plus profonde du projet de loi 94. Ceux qui élaborent de tels projets de loi anti-démocratiques, tout comme ceux dans les médias et dans l’establishment politique qui en font la promotion, sont les mêmes qui attaquent le niveau de vie des travailleurs et qui lancent des guerres impopulaires.

Tout juste après l’annonce du projet de loi 94, le gouvernement Charest a déposé le budget le plus à droite de son mandat.

Les travailleurs doivent implacablement s’opposer à cette loi et défendre le droit de tous, peu importe le sexe et l’appartenance religieuse ou ethnique de la personne, à avoir un emploi décent et à avoir accès à des services publics de qualité.  

A la bourgeoisie qui cherche à imposer son programme réactionnaire en semant le racisme et le chauvinisme, les travailleurs et les travailleuses de toutes les origines et religions doivent s’unir dans une lutte de classe contre le système capitaliste.

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