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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

La vie et la carrière de l'acteur Corin Redgrave

Par David Walsh et David North
22 octobre 2010

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L'acteur britannique Corin Redgrave est décédé le 6 avril dans un hôpital du sud de Londres, il aurait eu 71 ans trois mois plus tard. Un cancer de la prostate lui avait été diagnostiqué en 2000 et il avait subi une grave attaque cardiaque en 2005. Cependant, il avait suffisamment récupéré pour pouvoir retourner sur scène en 2009 et il était apparemment en discussion concernant de futurs projets au théâtre.

Selon les médias, il était tombé malade à nouveau récemment et serait mort entouré de membres de sa famille, dont sa femme, Kika Markham.

Marche pour l'emploi de la SLL de Glasgow à Londres en 1972, le réalisateur Ken Loach à gauche, Redgrave à droite

Redgrave, et sa sœur Vanessa, faisait partie des membres les plus en vue de la génération d'artistes et d'intellectuels britanniques attirés parle mouvement trotskyste de la Ligue des travailleurs socialistes dirigée par Gerry Healy (Socialist Labour League – SLL – plus tard rebaptisée Workers Revolutionnary Party) dans les années 1960 et au début des années 1970. Beaucoup ont sacrifié leur carrière et leur célébrité au service de ce qu'ils considéraient comme le futur du socialisme.

L'engagement de ces artistes dans le mouvement marxiste a été le point culminant en Grande-Bretagne d'une période de fermentation intellectuelle et culturelle extraordinaire. L'impérialisme britannique émergea de la seconde Guerre Mondiale en faillite économique. L'Empire partait en lambeaux. La classe ouvrière entrait en action — et son dégoût de l'aristocratie décrépie et de l'élite au pouvoir dans son ensemble, a trouvé une expression chez ces artistes.

Le vide de la vie bourgeoise et l'hypocrisie des institutions britanniques sont devenus les cibles d'une critique culturelle sans relâche — en colère, sarcastique, iconoclaste et rebelle. Les « jeunes gens en colère » des années 1950, un groupe d'écrivains issus de la classe ouvrière et du bas de la classe moyenne, dont faisaient partie John Osborne, Kingsley Amis, John Braine et Alan Silitoe, ont exprimé l'amertume et la désillusion engendrées par la société britannique. Richard Burton fut l'un des acteurs les plus en vue et les plus talentueux assimilés à ce courant.

Vanessa Redgrave faisait campagne sous l'étiquette WRP en 1974

La « nouvelle vague britannique » du début des années 1960 développa une bonne partie de ces thèmes au cinéma et à la télévision, généralement sous une forme plus distinctement de gauche, dans des œuvres telles que This Sporting Life de Lindsay Anderson [sorti en France sous le titre « Le prix d'un homme », ndt], Saturday Night and Sunday Morning [Samedi soir, dimanche matin] de Karel Reisz, The Loneliness of the Long Distance Runner [La solitude du coureur de fond] de Tony Richardson (ces deux derniers films étant basés sur des œuvres de Silitoe). De nouvelles figures du cinéma étaient associées à ce « néo-réalisme », dont Albert Finney, Tom Courtenay, Alan Bates, Rita Tushingham et Richard Harris.

Les œuvres de cette période étaient artistiquement inégales, mais généralement audacieuses et provocantes. Même avec tous leurs défauts, la plupart restent mémorables, et certaines images sont assez fascinantes. Dans cet environnement, le cinéma britannique et le théâtre se sont penchés sur la vie de la classe ouvrière d'une manière qui était, à son mieux, réaliste et sans sentimentalisme. À tout le moins, ces qualités étaient bien plus présentes en Grande-Bretagne qu'aux États-Unis.

Ce fut une période rare, exprimant un état de troubles de plus en plus révolutionnaires.

Dans ce contexte, il est nécessaire d'insister sur le rôle extraordinaire de la SLL et de Healy en particulier. Ce n'était pas un hasard si autant d'artistes ont gravité autour de la SLL. C'était le seul parti révolutionnaire en Grande-Bretagne — c'était aussi le seul parti honnête. Le mouvement trotskyste britannique, dans lequel Healy a joué le rôle décisif, était sorti de décennies de lutte contre le Parti travailliste et le stalinisme. De plus, cela a introduit dans le milieu des artistes, des auteurs et des intellectuels quelque chose qui en était absent autrement : une perspective historique.

De nombreuses années durant, Healy, dont le rôle a été commémoré en fiction par Trevor Griffiths dans sa pièce de 1973, The Party, a brandi une perspective socialiste révolutionnaire contre vents et marées.

Corin Redgrave venait, bien sûr, d'une longue lignée d'acteurs. Son grand-père paternel, Roy Redgrave, était un comédien de théâtre et acteur du cinéma muet, il mourut en Australie en 1922. Sa grand-mère paternelle, Margaret Scudamore, jouait également.

Le père de Corin, Michael Redgrave (1908-1985), était l'un des acteurs les plus distingués à la scène et à l'écran d'une génération remarquable (Laurence Olivier, John Gieglud, Ralph Richardson, Alec Guiness). La femme de Michael, Rachel Kempson (1910-2003), était également une actrice célèbre au théâtre comme au cinéma.

Les sœurs de Corin Redgrave, Vanessa (née en 1937) et Lynn (née en 1943), sont toutes les deux des actrices très connues, et la prochaine génération a produit Joely et Natasha Richardson (filles de Vanessa et du réalisateur Tony Richardson) — la dernière étant décédée dans un tragique accident de ski l'année dernière — et Jemma Redgrave, la fille de Corin et de sa première femme.

Il semble raisonnable de penser que Corin Redgrave a vécu (et joué) dans l'ombre de son père et de sa sœur aînée plus célèbre durant une bonne partie de sa vie, ou, en tout cas, que c'était la perception publique à laquelle il devait se confronter.

Après avoir obtenu son diplôme au King's College de Cambridge, Redgrave a entamé une carrière d'acteur au Royal Court Theater en 1961, à l'age de 22 ans, dans une mise en scène du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare. Sa première apparition télévisée fut dans un épisode de Chapeau melon et bottes de cuir en 1964.

Il est apparu par la suite dans des rôles secondaires dans plusieurs films de sa soeur Vanessa, dont A Man For All Seasons (Un homme pour l'éternité - 1966), The Charge of the light brigade (La charge de la brigade légère - 1968), Oh! What a Lovely War (Ah Dieu ! que la guerre est jolie - 1969), et un autre avec sa sœur Lynn, The Deadly Affair (M 15 demande protection - 1966).

Redgrave obtint également un rôle dans La ragazza con la pistola (La fille au pistolet - 1968), avec Monica Vitti. Des extraits de ce film amusant par moments, ainsi que des portions d'A Man For All Seasons, se trouvent sur YouTube.

Le jeune Redgrave se révélait intelligent et imposant, mais un brin forcé et trop conscient de lui-même. Il n'avait pas le charisme, la présence dominante, et peut-être le don naturel de son père et de sa sœur — il devait travailler plus durement pour jouer. Ou, pour le dire autrement, il était en quelque sorte plus réfléchi.

Un acteur professionnel est obligé de travailler avec toutes sortes de matériaux — du bon, du mauvais et du moyen. Pour qu'un acteur donne tout ce qu'il a, il doit faire un, plus ou moins, avec l'œuvre en question. Avec le Redgrave des débuts, on ne peut exclure totalement le soupçon qu'il considérait souvent, et à juste titre, que son texte n'était pas très bon, voire banal. Il essaye d'avoir l'air convaincu de leur qualité admirable, mais n'y parvient pas tout le temps. Il semble souvent plus intelligent que son rôle, ce qui est un handicap pour un acteur.

Redgrave avait participé à des manifestations contre la guerre du Vietnam à Londres, dont un certain nombre étaient menées par sa sœur déjà célèbre, à la fin des années 1960. Il découvrit la SLL vers 1970. Il était déjà suffisamment engagé pour jouer un rôle (en tant que narrateur) dans le premier effort entrepris par les acteurs et les artistes qui avaient rejoint la SLL au grand « Rassemblement anti-conservateurs » devant l'Alexandra Palace en février 1971, où ils ont joué une pièce musicale satirique sur « 200 ans d'Histoire du travail ».

Encore une fois, cela vaut la peine de mentionner ceux qui ont gravité autour de la SLL : les réalisateurs de cinéma et de télévision Ken Loach et Roy Battersby ; les scénaristes Jim Allen, Trevor Griffiths, John Arden, Margareta D'Arcy, David Mercer, John McGrath, Colin Welland, Neville Smith, Tom Kempinski et Troy Kennedy Martin ; les producteurs/éditeurs Tony Garnett, Kenith Trodd et Roger Smith ; d'innombrables acteurs, dont les Redgrave, Tony Selby, Jack Sheperd, Frances de la Tour, Malcolm Tierney, David Calder, David Hargreaves, etc. ; le journaliste Francis Wyndham ; l'artiste et archiviste photographe David King ; et bien d'autres.

Parmi ceux qui ont simplement participés à des représentations théâtrales ou des fêtes des Jeunes socialistes, ou prêtés leur nom à des activités de récoltes de fonds, il y avait les acteurs Judy Geeson, Eleonor Bron, Judi Dench, Glenda Jackson, Marty Feldman, Dudley Moore, Suzi Kendall, Helen Mirren, Roy Kinnear et Anthony Booth ; les poètes Adrian Mitchel et Christopher Logue ; le comique Spike Milligan ; les chanteurs Annie Ross et Paul Jones (l'ex-chanteur des Manfred Mann) ; les groupes de rock Slade et UB40, entre autres ; Larry Adler, une légende de l'harmonica ; le présentateur de talk show Michael Parkinson ; etc.

Corin Redgrave fut l'un de ces artistes et intellectuels qui ont fait l'effort le plus sérieux pour étudier le marxisme et le trotskysme, pour donner une base théorique à son activité. Beaucoup des acteurs qui ont participé aux activités de la SLL-WRP, y compris sa sœur Vanessa, se sont contentés de s'en remettre à leur intuition. Pour simplifier les choses, on pourrait dire à ceux qui l'ont connu, que si Vanessa Redgrave était toujours en représentation, son frère était toujours en train de penser.

Vanessa pouvait toujours s'en remettre à sa réserve inépuisable de gestes et autres envolées dramatiques. Elle pouvait être, à n'importe quel moment, Antigone, Cléopâtre ou « La Dame de la mer » [d'après une pièce d'Ibsen, ndt]. Corin était presque l'opposé. Un homme timide et réservé, il parlait calmement, avec de longues pauses quand il cherchait le mot approprié tout en tirant sur une cigarette.

Corin Redgrave à un rassemblement pour le quotidien Workers Press en 1971

Corin Redgrave a commencé à participer sérieusement à la vie politique en 1971. Le 1er juillet de cette année, deux semaines avant son 32e anniversaire, une lettre de Redgrave fut publiée, expliquant « Pourquoi je lis le Workers Press ».

« Je lis le Workers Press pour découvrir ce qui se passe. En quatre pages, il va plus au cœur de la situation que d'autres journaux ne le font en 20 pages. Mais évidemment, ce n'est pas le but des autres journaux.

« Sous le couvert du "journalisme objectif sans préjugés" leur but est de cacher aux lecteurs tout besoin ou toute possibilité de changer les choses, sauf dans leurs caractères les moins essentiels…

« Les journaux de Fleet Street ont le cycle de vie d'un éphémère. Ce qui commence comme de l'information finit en eau de boudin.

« Mais la connaissance, contrairement à l'information est une question de développement continu. C'est là que les rubriques des pages intérieures [du Workers Press] prennent toute leur importance.

« Elles s'intéressent à des questions historiques, philosophiques, et scientifiques et les étudient sous tous leurs aspects. »

Corin et Vanessa Redgrave, le dirigeant de la SLL Gerry Healy, et Gerry Caughey, verrier injustement licencié, en 1971

Sur la page de garde du Workers Press du 12 juillet 1971, on trouve une photo marquante. Elle montre Corin et Vanessa Redgrave, Gerry Healy et Gerry Caughey, un gréviste licencié pour l'exemple de l'usine Pilkington, la compagnie verrière. Sur la photo, Vanessa est encore habillée d'une manière flamboyante, qui influencé par le « Swinging London », mais déjà qui déjà – même si sa relation au mouvement était encore assez ténue – domine l'image. En fait, comme l'a reconnu Vanessa Redgrave par la suite, c'est Corin qui soumettait ses propres doutes et ses renoncements à une critique sans pitié, et qui l'a finalement convaincu de rejoindre la SLL.

Les Redgrave se sont retrouvés en accord avec les perspectives révolutionnaires du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) et son orientation vers la construction d'un mouvement basé sur des principes socialistes dans la classe ouvrière, et a tenté d'agir sur cette conviction.

Il y a eu, cependant, des approches différentes à ce processus. La reprise de la lutte de classes internationale, et la révolte artistique qu'elle a générée, a attiré de nombreux intellectuels vers le mouvement trotskyste en Grande-Bretagne.Les conditions ont encouragé et rendu possibles l'entrée de toute une couche de la société, y compris des éléments de « l’aristocratie » culturelle comme les Redgrave, dans la politique révolutionnaire.

Néanmoins, cela n'a pas résolu toutes les difficultés de la situation politique. Le développement de Corin Redgrave par la suite se trouva compromis par les contradictions croissantes de la SLL (devenu le WRP en novembre 1973). Celles-ci étaient elles-mêmes liées aux conditions existantes, généralement défavorables, du courant marxiste : la domination continue des bureaucraties travaillistes, staliniennes et syndicales sur de larges sections de la classe ouvrière européenne et internationale et l'isolement relatif des forces authentiquement trotskystes.

Des problèmes politiques sérieux émergeaient dans la SLL au début des années 1970, alors que les Redgrave et la plupart des artistes étaient encore très inexpérimentés — non seulement sur les questions pratiques mais aussi sur les questions théoriques. Ils étaient enthousiastes, et même très impliqués — mais ils ne savaient pas grand-chose de l'histoire du mouvement trotskyste international. De plus, bien que ni Vanessa ni Corin ne soient des snobs, leur existence n'impliquait aucun contact sérieux avec les luttes de la classe ouvrière.

Healy et la SLL se sont trouvé quasiment seuls à un moment dans leur détermination inaltérable à construire un parti révolutionnaire indépendant des bureaucraties travaillistes, bourgeoises nationalistes, castristes, maoïstes etc. La SLL, après sa prise de position résolue au début des années 1960, a commencé à retomber dans une direction nationale opportuniste au début des années 1970. La rupture sans clarifications avec l'Organisation communiste internationale (OCI) française en 1971, qui avait été son principal allié dans la lutte du début des années 1960 contre l'opportunisme pabliste, a ajouté aux difficultés pratiques et théoriques de la SLL.

Healy et la direction de la SLL ont développé une perspective de plus en plus nationaliste, faisant comme si leur tâche était en premier lieu de construire les forces et les ressources pour une révolution britannique, et remettant à plus tard les questions théoriques et pratiques liées à la construction d'un parti mondial. Le dirigeant de la SLL a commencé à révéler, dans ses discours, une orientation de plus en plus restreinte aux intérêts et aux besoins des « travailleurs anglais ».

La crise politique qui se développait au sein de la SLL/WRP a certainement sapé l'éducation politique de Corin Redgrave et d'autres artistes du parti. De plus, Redgrave a pratiquement cessé de jouer — en partie, semble-t-il, à cause d'une mise à l'écart par l'industrie du cinéma. Entre le milieu des années 1970 et 1990 il n'a qu'une poignée d'apparitions à la télévision et au cinéma à son actif.

L'idée selon laquelle l'activité artistique et la politique révolutionnaire seraient mutuellement exclusives est fausse, et ce n'était pas d'ailleurs pas la politique officielle de la SLL mais en pratique elle détermina les choix d'un certain nombre de ses membres artistes-intellectuels. En particulier pour quelqu'un comme Redgrave pour qui le jeu était "dans les gènes", une telle décision devait nécessairement avoir des conséquences néfastes, et même constituer un handicap.

Une des productions théâtrales des acteurs sympathisants de la SLL, sur la révolution anglaise de 1640, en 1972

Au début, Corin participa aux diverses manifestations théâtrales organisées par le groupe des acteurs, sur la révolution de Cromwell, la Révolution russe, les années de la Dépression, la répression stalinienne en Union soviétique, etc. La valeur artistique de ces œuvres, dont il avait co-écrits ou mis en scène certaines, était variable. La satire amusante et bien trouvée, ainsi qu'un effort sérieux pour recréer des événements historiques critiques, coexistait avec une agit-prop assez vulgaire.

Les deux Redgrave sont montés rapidement, trop rapidement, à la direction du WRP au milieu des années 1970, finissant par devenir membres du Comité central et du Comité politique. Le succès électoral du Parti travailliste en 1974 a précipité une crise au WRP, entraînant le départ d'Alan Thornett et d'une partie des cadres syndicaux, qui avaient organisé une opposition à Healy sur une plate-forme essentiellement de droite. Les Redgrave et d'autres issus du milieu artistique ont joué un rôle encore plus important après cette crise.

L'une des principales faiblesses du rapport établi entre la direction Healy et les artistes au début des années 1970 a été son incapacité à s'attaquer aux problèmes théoriques et esthétiques sérieux soulevés par Trotsky et Aleksandr Voronsky dans les années 1920 et 1930. Les méthodes staliniennes lourdes de la « culture prolétarienne » et du « réalisme socialiste » ont été rejetées d'emblée par les trotskystes britanniques, mais sans que cela soit accompagné d'un effort de longue durée pour critiquer et dépasser les approches assez provinciales auxquelles les acteurs et scénaristes britanniques étaient habitués : d'un côté, le « kitchen sink drama » [mélodrames de la vie quotidienne, ndt] (c’est-à-dire un réalisme empirique, superficiel), et de l'autre, le grand style déclamatoire, avec toutes ses forces et ses faiblesses, associé avec la mise en scène des pièces de Shakespeare et d'autres classiques.

À la fin des années 1970 et au début des 1980, ceux qui ont travaillé avec Redgrave dans le mouvement pouvaient voir qu'il était en pleine crise politique et personnelle. Ayant reçu la mission de travailler en tant qu'organisateur du parti, il ne s'en sortait pas — et pour ne rien arranger, il était souvent la cible des colères partiales de Healy.

La manière dont Healy a traité et s'est servi des Redgrave et d'autres est devenus de plus en plus opportuniste tout au long des années 1970. Après la victoire du Parti travailliste en 1974 en Grande-Bretagne, et la « normalisation » générale de la vie politique en Europe, dont firent partie la trahison de la révolution portugaise en 1974 et la transition relativement calme du franquisme à la démocratie bourgeoise en Espagne, Healy et ses collègues à la direction du WRP, Michael Banda et Cliff Slaughter, sont devenus de plus en plus pessimistes quant à la capacité révolutionnaire de la classe britannique et européenne.Ils se sont tournés avec un enthousiasme croissant vers les mouvements bourgeois nationalistes, en particulier au Moyen-Orient, et vers les bureaucrates syndicaux en Grande-Bretagne.

Le nom de Redgrave, en particulier celui de Vanessa, est devenu un outil important qui ouvrait ou semblait ouvrir tout une série de portes politiques et financières.

Ce qui avait été de l'enthousiasme spontané de la part d'acteurs et d'auteurs au début des années 1970 pour produire divers événements sur scène était devenu quelque chose de plus cynique au moment où, par exemple, le WRP organisait un spectacle pour le centenaire de la mort de Marx en 1983. Des « stars » ont été parachutées au dernier moment pour remplacer des acteurs jeunes ou moins connus qui avaient passé des semaines à répéter la pièce sur Marx. Cela faisait partie d'un déclin opportuniste général.

À la fin des années 1970, Corin Redgrave était devenu l'un des principaux porte-parole du parti. Il a été obligé de représenter le WRP lorsque celui-ci a été attaqué par les médias et l'État britanniques.

Corin et Vanessa Redgrave à l'époque du procès en diffamation contre l'Observer en 1978

En septembre 1975, le journal l'Observer publia un article diffamatoire prétendant que le WRP était un groupe « extrémiste » cachant des armes dans son Collège d'éducation marxiste. Cette provocation était organisée pour coïncider avec un raid policier sur ce collège. La campagne du WRP pour se défendre obtint un soutien très large dans de nombreuses sections du mouvement ouvrier organisé ainsi que dans la communauté intellectuelle et artistique. Le parti a légitimement poursuivi l'Observer pour diffamation, et le procès a eu lieu en octobre-novembre 1978.

Vanessa et Corin Redgrave, Roy Battersby, durant le procès en diffamation contre l'Observer en 1978

Redgrave, avec sa sœur et Roy Battersby, a joué le rôle principal dans l'affaire pour le compte du WRP. Ni Healy ni Banda n'y ont fait une apparition. Tout en reconnaissant les difficultés à prouver une accusation de diffamation, il faut dire que Redgrave a fait bien trop de concessions en tentant de montrer la « respectabilité » du WRP et son rejet de la violence.

Au début des années 1980, Redgrave a subi une crise personnelle inévitable et a tenté de retourner sur scène, tout en restant actif politiquement. Le WRP à cette époque était dans un état de crise sévère, et pour la première fois devait faire face à une opposition politique et théorique à sa trajectoire opportuniste au sein du CIQI, venant de la Workers League aux États-Unis.

Redgrave, qui avait peu de contacts avec le mouvement trotskyste international et dont l'étude du marxisme et de l'histoire du trotskysme avait soit cessé totalement soit fait peu de progrès dans le milieu opportuniste du WRP, n'a pas saisi les questions que soulevait la scission de 1985-86. Il revenait à une implication active dans le WRP à un moment vraiment peu opportun — lorsque la crise a éclaté.

Bizarrement, il a été au côté de Healy en août 1985 et chercha à tromper les délégués du CIQI avec un rapport qui falsifiait les causes e la crise financière qui venait d'éclater. Redgrave quitta le mouvement trotskyste avec Healy à l'automne de 1985. Ce fut la fin de sa vie politique sérieuse.

Après le départ de Redgrave du WRP, il n'y a qu'une série d'efforts spécifiques et avortés de sa part pour maintenir un groupe d'acteurs autour de Healy dans le « Parti marxiste » qui ne fut qu'un feu de paille, puis plus tard, le dérapage inévitable vers le social-libéralisme. Il resta engagé sur diverses questions — la question palestinienne, le racisme, la Tchétchénie, la « paix mondiale ». Comme cela est arrivé à tant d'autres à gauche, il a trouvé une voie de sortie en adoptant une version assez banale du volontarisme philanthropique britannique.

À la suite de sa « réhabilitation » à la fin des années 1980, une fois qu'il ne fut plus, d'après les termes du Daily Telegraph, « [politiquement] trop chaud pour être employé par la plupart des réalisateurs », il a fait des apparitions réussies au théâtre, à la télévision et au cinéma. Dans des œuvres telles qu'In the Name of the Father (1993), Four Weddings and a Funeral (1994), Persuasion (1995) et The Forsythe Saga (2002), il a joué admirablement. D'après les mots généreux d'une nécrologie de la BBC, « il a éclos plus tard que Vanessa, qui est devenue une star internationale très tôt, mais il a fini par être considéré comme l'un des meilleurs acteurs du pays. »

En ce qui concerne ses idées sociales et politiques, l'image générale était claire — Corin Redgrave avait plus ou moins fait la paix avec le status quo, et c'était réciproque. Qu'il ait migré aussi loin vers la droite ou moins que sa sœur, laquelle flirtait avec le Prince William et la famille royale lors d'une récente remise de prix, nous ne le savons pas, mais ce n'est pas la question la plus importante.

L'évolution des Redgrave et l'évolution de nombreux artistes et intellectuels attirés par la politique révolutionnaire au début des années 1970 ont un aspect tragique. Collectivement c'était un ensemble d'êtres humains énormément doués et humains, en fait, les meilleurs de leur génération.

Les individus sont responsables de ce qu'ils font, en « mal » comme en « bien », mais ce qu'ils font est fortement influencé et modelé par des événements et les processus qui ne leur appartiennent pas. Nous rendons hommage aux meilleurs côtés ainsi qu’au sens du sacrifice, de Corin Redgrave et de la génération d’artistes dont il était un représentant important.

 (Article original paru le 12 avril 2010)

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Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme 1973-1985

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