Le gouvernement français cherche un soutien européen à sa politique
anti-Rom
Par Stefan Steinberg
6 septembre 2010
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Le gouvernement français cherche à gagner le soutien des institutions
européennes officielles à sa politique raciste de rafle et de déportation
des membres de la communauté rom.
La semaine passée lors d’une réunion des ambassadeurs à l’Hôtel Matignon,
le premier ministre François Fillon, a annoncé qu’il s’était entretenu avec
le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et qu’il
projetait de tenir une « réunion de travail » consacrée aux Roms. La réunion
devrait avoir lieu dans les jours à venir et comprendre des discussions
entre les ministres français impliqués dans la campagne anti-Rom et les
commissaires européens concernés.
La réunion proposée par Fillon avec les commissaires européens sera
suivie le 6 septembre par une réunion à Paris : le gouvernement français a
invité les ministres de l’immigration des cinq principaux Etats de l’Union
européenne – le Royaume Uni, l’Italie, l’Espagne, la Grèce et l’Allemagne –
ainsi que la Commission européenne.
Participera également à la réunion de Paris un représentant du
gouvernement belge, le secrétaire d’Etat à la politique de migration et
d’asile. En vertu du principe de rotation, la Belgique assurera pour les six
prochains mois la présidence du Conseil de l’Union européenne. Il est à
noter que les deux Etats membres de l’Union européenne – la Roumanie et la
Bulgarie – n’ont pas été invités à la réunion de Paris.
En plus d’être en quête de soutien pour sa politique de déportation, l’on
s’attend à ce que la délégation française cherche à défier la demande de la
Roumanie en tant que membre de plein droit de l’Union européenne. Le
secrétaire d’Etat français chargé des Affaires européennes, Pierre
Lellouche, a récemment déclaré aux médias que la question des Roms devrait
être un critère d’adhésion à l’espace Schengen. Tous deux, la Roumanie et
son voisin, la Bulgarie, sont censés adhérer en 2011 aux accords de Schengen
de 1985 relatifs à la suppression des contrôles aux frontières communes des
pays membres de l’UE.
Les projets français pour une initiative européenne visant à soutenir sa
persécution des Roms coïncident avec une intensification des déportations.
Mercredi dernier, le ministre français de l’Immigration, Eric Besson, a
déclaré que le gouvernement allait intensifier sa campagne de renvoi des
Roms en Roumanie et en Bulgarie en remarquant que plus de 8.000 avaient été
déportés depuis le début de l’année. Un jour plus tard, 284 Roms de plus
étaient expédiés en Roumanie au départ des aéroports de Paris et de Lyon.
Alors que Besson a déclaré qu’un grand nombre de ceux qui avaient été
rapatriés étaient partis « volontairement », l’agence AFP a cité un jeune
Roumain de 21 ans qui a dit, « La police nous a dit de choisir : soit de
partir volontairement maintenant soit d’être rapatriés de force plus tard. »
Le gouvernement français a toutes les raisons de croire qu’il pourra
compter sur le soutien de la Commission européenne pour sa campagne raciste.
Malgré le fait qu’un rapport de l’Union européenne publié l’année dernière a
souligné que les Roms formaient la minorité la plus persécutée en Europe,
les principales institutions communautaires ont refusé de faire le moindre
effort pour soulager leur sort.
Le soutien le plus ardent pour la politique du gouvernement français est
venu du ministre italien de l’Intérieur, Roberto Maroni, qui a applaudi les
déportations en masse de la France en indiquant clairement qu’il demandera
instamment lors du sommet de Paris à ce que l’UE souscrive aux expulsions
automatiques des Roms. Suite aux commentaires de Maroni, divers organes de
presse critiques ont à juste titre qualifié la réunion à venir de Paris de
« sommet anti-Roms. »
Maroni projette également d’utiliser la réunion pour plaider en faveur
d’une expansion de la catégorie des personnes susceptibles d’être ciblées
pour une déportation. Selon Maroni, « il faudrait même aller encore plus
loin » et envisager des mesures telles que « l’autorisation d’expulser des
ressortissant d’Etats membres qui ne sont pas en mesure de subvenir
financièrement à leurs besoins. » Maroni avait préalablement dit à un
journal que Paris ne faisait « tout simplement que copier l’Italie. »
Le gouvernement italien avait commencé sa propre persécution des Roms il
y deux ans. Suite à des articles sur les activités criminelles d’une poignée
de Roms qui avaient reçu une couverture sensationnaliste dans la presse
italienne, le gouvernement italien avait déclenché une campagne brutale. En
mai 2008, Maroni, un membre influent de la Ligue du Nord séparatiste de
droite, avait déclaré, « Tous les camps roms doivent immédiatement être
démantelés et les habitants soit expulsés soit incarcérés. »
A peine deux jours plus tard, une horde de 60 personnes ont attaqué au
cocktail Molotov un camp rom à Naples au. L’attaque fut justifiée par Maroni
qui avertissait « que c’est ce qui arrive quand des tziganes volent des
bébés ou que des Roms commettent des violence sexuelles. »
Le même mois, le gouvernement du premier ministre Silvio Berlusconi a
déclaré l’état d’urgence. En vertu d’une loi initialement adoptée sous le
régime fasciste de Benito Mussolini, il a introduit une série de mesures
extraordinaires dont le prélèvement d’empreintes digitales et la
photographie de toutes les personnes concernées, y compris les enfants.
En tant que partie intégrante de la campagne gouvernementale contre les
Roms et les autres minorités en Italie – qualifiées en son temps par
Berlusconi d’« armée du mal » – des patrouilles de citoyens-vigiles furent
mises sur pied dans les quartiers des villes. Le ministre de l’Intérieur,
Maroni, imposa alors des modifications fondamentales à la loi italienne
d’immigration. Le séjour dans le pays sans les documents nécessaires est
devenu un délit et le permis de séjour a été lié à un système de points.
D’autres pays qui ont accepté de participer à la réunion de Paris ont
entrepris d’expulser les Roms sans pour autant l’étaler dans la presse comme
l’ont fait les gouvernements français et italien. L’Allemagne s’apprête à
déporter 12.000 Roms vers le Kosovo suite à la conclusion en avril dernier
d’un accord entre le gouvernement allemand et le régime de Pristina. La
majorité des quelques 6.000 enfants et adolescents ciblés pour la
déportation sont soit nés soit ont grandi en Allemagne. Ils ne parlent ni le
serbe ni l’albanais et seront de ce fait sérieusement en difficulté au
Kosovo.
Des expulsions et des attaques de la haine contre les Roms ont également
été enregistrées en Irlande du Nord, en Grèce et dans nombre de pays
d’Europe de l’Est. Au Danemark, le conseil municipal de Copenhague s’était
adressé au début du mois au gouvernement pour qu’il l’assiste dans
l’expulsion de plusieurs centaines de Roms vivant dans un quartier
d’habitation de la ville. Dans le pays voisin, en Belgique, une caravane
formée d’environ 700 personnes a obtenu une brève permission pour rester en
Wallonie francophone après avoir été chassée de la Flandre voisine.
Dans chaque cas, des gouvernements droitiers partout en Europe ont été en
mesure d’appliquer une telle politique avec le soutien d’un vaste consensus
des partis dont des sections significatives de la social-démocratie
européenne.
Les institutions politiques européennes ont refusé d’intervenir contre la
vague de persécution. La position officielle de la Commission européenne
quant à la récente campagne française contre les Roms a été révélée par un
porte-parole qui a déclaré qu’à la fin de juillet il dépendait de chaque
Etat membre de décider de la politique à appliquer à l’égard de leurs
communautés roms.
« Nous ne sommes pas ici en tant que Commission européenne, pour juger
chaque cas particulier du peuple rom. Il incombe à chaque gouvernement, à
chaque autorité de prendre ces décisions, » a dit lors d’une conférence de
presse Matthew Newman, le porte-parole de la commissaire à la justice et aux
droits fondamentaux. La seule condition formulée par le porte-parole de la
Commission européenne est de conseiller aux gouvernements de respecter une
certaine « proportionnalité » dans leurs actions.
La persécution des Roms par les gouvernements partout en Europe avec la
duplicité de l’Union européenne, est une tentative méprisable et consciente
de diviser la classe ouvrière et de désigner un bouc émissaire pour les
conséquences sociales de la crise économique qui ne cesse de s'intensifier
sur l’ensemble du continent. Cette persécution s’intègre dans une campagne
plus vaste visant à attiser des sentiments racistes contre les Musulmans,
d’autres minorités et certains groupes sociaux en général. Voici la
signification de l’annonce faite par Maroni « d’aller encore plus loin » et
d’étendre la campagne de la persécution de déportation à tous ceux qui ne
sont pas en mesure « de subvenir financièrement à leurs besoins. »
Article original publié le 31 August 2010