Dans une nouvelle escalade de la crise de l’euro, le Portugal est devenu
le troisième pays européen à solliciter un prêt de l’Union européenne et du
Fonds monétaire international conformément aux termes du Fonds européen de
stabilité financière (EFSF). Ceci fait suite aux prêts d’urgence de l’EU-FMI
accordés à la Grèce (110 milliards d’euros en mai 2010) et à l’Irlande (85
milliards d’euros en novembre 2010).
Mercredi soir, le gouvernement intérimaire portugais dirigé par le
premier ministre José Sócrates a annoncé qu’il solliciterait une assistance
financière de l’Union européenne. Mardi, des sources gouvernementales ont
souligné que le Portugal n’avait pas besoin d’un tel prêt. A peine 24 heures
plus tard, toutefois, le gouvernement a fait volte-face en invoquant des
pressions de la part de banques internationales et d’investisseurs.
Le taux d’intérêt que le Portugal verse pour ses obligations à dix ans a
augmenté mercredi à plus de 8,5 pour cent, un niveau qui rend impossible le
remboursement de ses dettes. Les problèmes financiers du Portugal ont
également été aggravés après une action concertée d’influentes agences de
notation qui ont dégradé dernièrement la dette portugaise à un juste cran
au-dessus de la catégorie « Junk » (spéculative).
La façon dont les grandes banques et les agences de notation se préparent
à mettre à genoux une nouvelle économie européenne a été clairement résumé
mercredi dans un éditorial du Financial Times intitulé « Banques 1,
Portugal 0 ». Il y est dit, « Un nouveau pays de la zone euro a été intimidé
par ses banques. En début de semaine, les banques du Portugal avaient brandi
la menace de ralentir les achats d’obligations à moins que le gouvernement
intérimaire ne recherche de l’aide financière auprès d’autres pays de
l’Union européenne. Après avoir été battue lors de la vente aux enchères de
mercredi, Lisbonne a hissé le drapeau blanc. »
Sócrates, président du Parti socialiste (PS), et le principal parti
d’opposition, le Parti social démocrate (PSD) ont tous deux immédiatement
cédé aux banques. Sócrates n’a pas mentionné de montant spécifique pour
l’emprunt demandé, mais des analystes s’attendent à ce qu’il s’élève entre
60 et 80 millions d’euros. Comme dans le cas des emprunts à la Grèce et à
l’Irlande, un nouveau sauvetage UE-FMI du Portugal permettra aux banques et
à d’autres gouvernements européens d’exiger de massives coupes sociales au
Portugal.
Le gouvernement portugais a déjà adopté une série de budgets d’austérité
comprenant de vastes réductions des salaires et des emplois dans le secteur
public. Le taux de chômage officiel du pays est à un niveau record de 11,2
pour cent, avec près du double pour les jeunes. De plus, le pays s’attend à
connaître une nouvelle récession en 2011. Les troubles sociaux qui avaient
résulté des mesures d’austérité avaient occasionné dans le pays l’année
dernière une série continue de manifestations, de protestations, de grèves
et de grèves générales.
Face aux protestations de masse, y compris les manifestations de
centaines de milliers de jeunes travailleurs et de familles le 12 mars dans
11 villes, le PSD a décidé que Sócrates n’était pas à la hauteur de la tâche
pour appliquer la politique d’austérité nécessaire et a mis en difficulté
son gouvernement minoritaire. Sócrates préside actuellement le gouvernement
intérimaire jusqu’aux prochaines élections dans deux mois.
Le PSD s’est immédiatement empressé de soutenir le renflouement de
l’UE-FMI. En indiquant clairement que ses différends avec le gouvernement
n’étaient que d’ordre tactique, le PSD a déclaré qu’il était engagé sur les
mêmes objectifs de réduction du déficit que le PS et qu’il ne différait que
dans le détail. Le dirigeant du PSD, Pedro Passos Coelho, a proposé un
gouvernement d’unité nationale pour appliquer le plan d’austérité qui sera
élaboré par l’UE et le FMI.
Avec trois pays se trouvant à présent sous le parapluie, ou étant dans le
processus de se réfugier sous le parapluie de l’EFSF, les marchés financiers
et les agences de notation tournent de plus en plus leur attention vers
l’Espagne. Les banques espagnoles possèderaient un tiers de l’exposition
totale des banques étrangères du système financier portugais et une
aggravation de la crise au Portugal aura des conséquences immédiates sur
l’économie espagnole.
En commentant les implications du sauvetage du Portugal, un article de la
Pravda (du 4 avril) pose la question suivante : « L’Espagne sera-t-il
le pays suivant ? » L’article poursuit, « Les coûts du sauvetage de
l’Espagne, une économie de 1,1 billions d’euros ($1,56 billions) éclipserait
tous les sauvetages précédents et pourrait mettre à l’épreuve la solidité
financière de l’Europe toute entière. La vérité est que le reste de l’Europe
ne dispose tout simplement pas du genre de ‘ muscle ‘ financier nécessaire
pour continuer à réunir indéfiniment d’énormes plans de sauvetage. Si
l’Espagne coule, elle exercera une pression colossale sur le reste du
continent. »
L’Espagne n’est toutefois pas la seule économie à être menacée par les
malheurs financiers du Portugal et une nouvelle escalade de la crise de
l’euro. Un article paru cette semaine dans le Financial Times révèle
que les banques allemandes figurent parmi les plus grosses détentrices de
dettes souveraines de la zone euro – avec une exposition totale de 46,6
milliards d’euros aux obligations des gouvernements de la Grèce, de
l’Irlande, du Portugal et de l’Espagne associés. Les banques allemandes ont
une exposition supplémentaire de 91 milliards d’euros aux secteurs banquiers
des ces pays.
La demande de renflouement du Portugal coïncide avec des rapports tout
récents concernant une aggravation de la crise dans un nombre d’autres
économies européennes défaillantes. Après avoir déjà appliqué une série de
mesures d’austérité à la demande de l’UE et du FMI, l’économie grecque se
trouve aussi en récession, tout comme le Portugal. Du fait des coupes
gouvernementales, les recettes fiscales du pays sont en déclin et le fardeau
de sa dette augmente. L’année dernière, la dette publique totale de la Grèce
s’élevait à 148 pour cent du produit intérieur brut. Cette dette est censée
passer cette année à 160 pour cent du PIB.
En réaction à sa crise fiscale grandissante, le gouvernement grec a
encore annoncé une nouvelle série de mesures d’austérité visant à lever
quelque 25 milliards d’euros au cours des quatre prochaines années. Le
gouvernement grec projette d’augmenter les impôts de base, dont le quasi
doublement de la TVA (de 13 à 23 pour cent) pour des articles choisis, et de
réduire davantage les salaires des fonctionnaires. Ces dernières mesures
s’ajoutent à une nouvelle série de privatisations de biens publics destinées
à lever 50 milliards d’euros en plus.
La défaillance du gouvernement grec à réduire le fardeau de sa dette
malgré des mesures d’austérité draconiennes a donné lieu à de nouvelles
spéculations selon lesquelles le pays sollicitera un nouveau prêt auprès de
l’EFSF soit une restructuration de ses dettes. Ceci placerait à son tour le
système bancaire européen dans une situation très délicate.
Pendant ce temps, les tests de résistance (« stress tests ») des banques
ont révélé que les problèmes financiers des banques irlandaises sont même
pires qu’on ne l’avait pensé auparavant. Jusque-là, le gouvernement a
englouti 46 milliards d’euros dans le trou noir du système bancaire
irlandais. A présent, des analystes affirment que 24 milliards d’euro
supplémentaires sont nécessaires pour protéger de la faillite quatre grandes
banques irlandaises. Ceci ramènera le montant total des sommes jusque-là
versées au système bancaire irlandais à 70 milliards d’euros, soit environ
45 pour cent du produit intérieur brut annuel du pays. L’argent requis pour
le nouveau renflouement sera déduit des réserves mises de côté dans le
Pension Reserve Fund (fonds de réserve pour les retraites) pour les
retraites des travailleurs.
C’est dans ce contexte de crise échappant à tout contrôle que la Banque
centrale européenne a annoncé jeudi qu’elle allait relever son taux
directeur d’un pour cent, de 0,25 à 1,25 pour cent.
Cette hausse du taux d’intérêt bancaire est faible mais significative. A
l’instar de toutes les principales banques centrales, la BCE applique depuis
2009 un taux d’intérêt proche de zéro suite à l’intensification de la crise
financière de 2008. Le niveau des taux d’intérêt historiquement bas de la
part des banques centrales partout dans le monde a permis aux investisseurs
et aux institutions financières de réapprovisionner leurs fonds et de
s’adonner à un nouveau cycle d’opérations spéculatives.
La BCE a joué un rôle majeur dans la crise en fournissant aux banques des
prêts pratiquement à taux zéro dans la zone euro tandis que dans le même
temps elle rachetait des obligations d’Etat à hauteur de milliards d’euros
des économies les plus en difficulté sur le continent. Après avoir imprimé
et injecté des sommes énormes dans les banques pendant deux ans, la BCE
vient de réagir à une hausse inévitable de l’inflation en relevant ses taux
d’intérêt – une mesure qui fait pression sur les gouvernements pour qu'ils
empêchent les travailleurs de réclamer une augmentation des salaires dans le
but de compenser la hausse des prix.
Les principales victimes de l’augmentation du taux de la BCE seront
toutefois les pays périphériques défaillants qui sont d’ores et déjà
incapables de rembourser leurs dettes. Selon des analystes financiers, la
stratégie de la BCE est de relever progressivement ses taux d’intérêt d’un
pour cent d’ici la fin de l’année.
Marchel Alexandrovich de Jeffries International a déclaré qu’une hausse
d’un pour cent des taux de la BCE signifierait que les versements des
intérêts des prêts immobiliers des ménages dans la zone euro augmenteraient
d’environ 7 pour cent en moyenne. Toutefois, ceci signifierait un bond de 30
pour cent du service de la dette pour les ménages au Portugal et en
Finlande, une augmentation de 15 pour cent en Irlande et de 10 pour cent en
Espagne et en Italie – donc, un énorme nouveau fardeau pour les ménages dans
les économies en difficultés.
La semaine dernière, lors d’un débat au Parlement européen, le président
de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a déclaré qu’il voulait
« éviter une Europe fracturée suivant des lignes Nord-Sud ou
centre-périphérie. » De telles divisions sont cependant les conséquences
inévitables de la politique poursuivie à la demande des banques par l’EU, le
FMI, la BCE et la Commission européenne et qui pousseront à la faillite des
économies à travers tout le continent. De telles mesures aggraveront les
tensions entre les Etats européens et appauvriront des millions de
travailleurs et leurs familles.
(Article original paru le 8 avril 2011)