Les contrôleurs sont actuellement soumis à un
état d'alerte, imposé par le Décret Royal No 1673/2010 du 4 décembre. Par cette
décision, les contrôleurs sont contraints de travailler dans le cadre de la
"discipline militaire" sous les ordres du Chef d'état-major de
l'armée de l'air jusqu'à la fin de l'état d'alerte. La décision a été imposée à
la suite d'un arrêt de travail en masse des contrôleurs le 3 décembre pour
protester contre des conditions de travail intolérables et des atteintes à
leurs droits.
Le 29 décembre, Eduardo Esteban, procureur
principal à la Cour de Madrid, a publié une lettre demandant des poursuites
contre les contrôleurs aériens accusés de sédition pour avoir cessé le travail
pour des raisons de santé et de sécurité les 3 et 4 décembre. Le gouvernement a
maintenant accentué les menaces de poursuites pour qu'elles visent les
contrôleurs "en général", selon une source appartenant au Parquet et
citée par El Pais.
Le procureur général de l'Etat, Cándido
Conde-Pumpido, exige des condamnations allant jusqu'à huit ans de détention en
s'appuyant sur l'article 20 de la loi sur la circulation aérienne de 1964.
C'est la deuxième fois qu'une loi datant de l'époque franquiste est appliquée
contre les contrôleurs aériens. La déclaration de l'état d'alerte par le
gouvernement a été une première depuis la fin du régime de Franco en 1975.
Conde-Pumpido, qui a toujours exigé les peines
maximales pour les accusations de sédition, a déclaré, « nous ne sommes pas
face à un conflit de droit du travail car [les contrôleurs] n'ont utilisé des
moyens légaux à aucun moment, ils ont organisé un abandon prémédité des
aéroports entraînant des dommages graves aux citoyens de l'Espagne. »
Il a ajouté qu'il envisageait d'ordonner aux
tribunaux locaux de déposer des demandes de saisie les biens des contrôleurs
aériens, pour le moment où il faudra rembourser les personnes, compagnies et
organisations qui demandent une compensation pour la perte des profits
entraînés durant la fermeture des aéroports.
Cette décision du procureur général de l'Etat
est en préparation des demandes d'indemnités attendues contre les contrôleurs
et qui sont encouragées par la campagne incessante menée par le gouvernement
contre les travailleurs. Selon le Times magazine, un groupe de 5 500
passagers, affectés par la cessation du travail des contrôleurs en décembre,
prévoit de déposer une plainte avant la fin de l'année en demandant 10 000
euros par passager pour « préjudice moral ». Le coût total estimé de cette
action pour les contrôleurs s'élèverait à 55 millions d'euros.
La persécution des contrôleurs a lieu avec
l'aide de la bureaucratie syndicale. Ayant collaboré avec le gouvernement à
toutes les étapes du conflit, le syndicat des contrôleurs aériens, l'Unión
Sindical de Controladores Aéreos (USCA) facilite maintenant les poursuites
et les éventuels emprisonnements de ses propres membres.
À toutes les étapes de la lutte des
contrôleurs aériens contre les attaques du gouvernement contre les conditions
de travail, l'USCA a cherché à démobiliser et à faire capoter une offensive
unie.
En février, le PSOE a publié un Décret Royal
No 1/2010 qui réduit les salaires des contrôleurs de 40 pour cent, augmente le
temps de travail, réduit la paye des heures supplémentaires ainsi que les
périodes de repos. D'après la fédération internationale des associations de
contrôleurs aériens (IFATACA), « le revenu net d'un contrôleur a baissé du jour
au lendemain de 30 à 50 pour cent suivant la quantité d'heures supplémentaires
qu'il faisait avant. »
En août, l'USCA a abandonné un vote en faveur
d'une grève contre leur employeur (l'agence publique Aeropuertos Españoles y
Navegación Aérea - AENA) qui avait recueilli 92 pour cent d'avis
favorables, et à la place a demandé une médiation du gouvernement. Annulant les
grèves prévues pour la fin août, le directeur des communications de l'USCA,
Cesar Cap a dit, « le Comité exécutif a décidé de ne pas exercer le droit de
grève durant le mois d'août pour montrer qu'il est responsable. »
Cela a permis au PSOE d'intensifier ses
attaques, avec la publication du Décret Royal No 1001/2010. Celui-ci disposait
que les contrôleurs devraient travailler 1 670 heures par an, plus 80 heures
supplémentaires obligatoires, à la volonté de l'AENA.
De nombreux contrôleurs étaient en colère
contre le résultat de la collaboration du syndicat avec le gouvernement.
Commentant le « projet d'accord » établi le 19 août 2010 entre l'USCA et
l'AENA, l'IFATCA a noté qu'il avait été accepté par les membres du syndicat «
mais sans grand enthousiasme. »
Avant la cessation de travail de décembre, le
syndicat a fait une proposition à l'AENA dans laquelle il acceptait toutes les exigences
principales du gouvernement. L'USCA n'a pas demandé plus d'argent et a accepté
les termes proposés par le ministère des transports en février et inclus dans
le projet d'accord du mois d'août. Commentant la capitulation de l'USCA,
l'IFATCA a déclaré que l'USCA avait « fait une proposition, qui pourrait
permettre de sortir de l'impasse actuelle, il comprend un gel du budget des
salaires pour les trois années à venir. » Le porte-parole de l'USCA Daniel
Zamit a déclaré que sur la base des propositions du syndicat, un accord pouvait
être obtenu en « en moins de dix jours » pour mettre fin au conflit « dès que
possible. »
Le 3 décembre, les contrôleurs ont refusé de
travailler, après avoir montré clairement qu'ils avaient travaillé plus que
leur quota annuel d'heures établi dans le précédent Décret Royal. Les
contrôleurs avaient également reçu une copie d'un futur Décret Royal, adopté
plus tôt dans la journée par le Conseil des ministres, qui aggravait
drastiquement leurs conditions et augmentait les heures de travail. L'USCA a
immédiatement désavoué cette action et ainsi permis au gouvernement de
mobiliser l'armée contre ses propres membres. L'USCA a demandé que les
travailleurs retournent aux tours de contrôle et dénoncé l'action comme étant «
spontanée » et une décision « extrême. »
Les représentants de l'USCA ont ensuite
participé à la réunion d'une cellule de crise au ministère des travaux publics,
à la demande du Premier ministre José Zapatero. Leur action suivante a été de
se rendre dans un hôtel de Madrid, où les contrôleurs se réunissaient, et
d'insister pour dire que leurs membres n'avaient pas d'autre choix que de
retourner au travail aux conditions déterminées par le ministère de la défense
et d'accepter d'être placés sous la loi martiale.
Confrontée à la menace d'un pouvoir
dictatorial, la seule fonction de l'USCA a été de faire taire le mécontentement
montant et l'opposition des contrôleurs aériens au gouvernement du PSOE. Le
syndicat a appelé ses membres à signer une « lettre d'intention » datée du 15
décembre, qui promettait qu'ils ne mèneraient aucune action syndicale et «
garantiraient la continuité du service. » La lettre disait que ses signataires
se rangeraient aux « termes établis sous la législation actuelle » et « avec
les accords antérieurs passés entre les parties. »
En dépit des meilleurs efforts de l'USCA, 15
pour cent des contrôleurs ont refusé de signer ce document.
L'USCA a présenté cela au gouvernement comme
un serment qu'on pouvait lui faire confiance pour faire régner la discipline
dans ses rangs et, sur cette base, a demandé la levée de l'état d'alerte, qui
devait être renouvelé par le congrès le 16 décembre. Mais la promesse d'un
pacte dans lequel le syndicat s'est engagé lui-même à empêcher toute action
syndicale future de la part des contrôleurs ne suffisait pas au gouvernement.
Une fois de plus, le PSOE a poussé ses attaques contre les contrôleurs encore
plus loin. Le gouvernement a étendu l'état d'alerte jusqu'au 15 janvier, le
ministre du Développement José Blanco a déclaré, « suggérer que quelques
signatures devraient fixer l'action du gouvernement c'est revenir au sabotage
et au chantage. »
Après l'extension de l'état d'alerte, l'USCA a
continué à se dissocier de l'action des contrôleurs du 3 décembre et a
approfondi sa collaboration avec le gouvernement. Cité par le Time,
César Cabo de l'USCA a dit de la cessation de travail, « C'était une erreur [.]
Ils comptaient sur le fait que nous allions réagir de façon excessive pour
couvrir les problèmes causés par leur propre mauvaise gestion des choses. Et
nous sommes tombés dedans. »
C'est un mensonge. Les travailleurs n'ont pas
« réagi de façon excessive » ils ont cherché à se défendre dans un contexte où
l'USCA collaborait étroitement avec le gouvernement et l'AENA, et était prêt à
accepter n'importe quoi quant à la destruction des droits et des conditions de
travail de ses propres membres.
Le PSOE cherche à accélérer le processus de
vente des 49 pour cent d'AENA pour le compte du capital financier
international. La défaite des contrôleurs aériens a été un facteur critique
dans son entreprise de privatisation des aéroports espagnols, le parc le plus
important qui soit encore public en Europe. La vente prévue de l'AENA a été
annoncée au moment où était imposé le premier état d'alerte.
Le mois dernier, Blanco a déclaré que le
processus de recrutement de nouveaux contrôleurs avait en fait débuté dès
juillet. 3200 lettres de motivations étaient passées en revue, et que « la
formation des nouveaux contrôleurs sera conçue pour encourager l'incorporation
de nouvelles compagnies, plutôt que l'incorporation dans un modèle de monopole
public. »
Cette année, le gouvernement prévoit de vendre
des tours de contrôle, y compris celles d'Alicante, Valence, Ibiza, La Palma de
Majorque, Lanzarote, Fuerteventura et Séville, les autres seront privatisées en
2012. L'USCA n'a indiqué aucune opposition à tout cela, et un journal, The
Leader, a même rapporté le 1er janvier que « des représentants
de l'AENA ont rencontré le syndicat des contrôleurs aériens USCA cette semaine
pour les informer de leurs plans. »
L'article ajoutait, « les contrôleurs se
verront proposer de nouveaux contrats avec les nouvelles compagnies
privatisées, ou se verront proposer un poste dans un aéroport non privatisé
s'ils déclinent la première option. Dans l'éventualité où les contrôleurs
refuseraient les deux, leur contrat sera rompu et une indemnité de licenciement
sera versée. »
L'isolement et la démobilisation des
contrôleurs par l'USCA ont été soutenus par les deux principales fédérations
syndicales, l'Union générale des travailleurs (UGT), et les Commissions
ouvrières (CC.OO). L'IFATCA, qui représente 50 000 contrôleurs aériens répartis
dans 134 associations nationales, est également responsable. Bien qu'elle déclare
en réaction aux attaques contre les travailleurs espagnols que la «
possibilité d'actions de solidarité de la part des travailleurs de toute
l'Europe est très concrète » et qu'un « pacte de solidarité existe dans
plusieurs pays membres de l'Union européenne, qui demande à ses membres de se
soutenir les uns les autres dans les conflits sociaux, » la fédération n'a pas
levé le petit doigt.
L'USCA est également affiliée à la
Coordination de l'Union européenne des contrôleurs européens (Air Traffic
Controllers European Union's Coordination - ATCEUC), qui représente 13 000
travailleurs dans 28 pays européens. Mis à part la publication d'un communiqué
de presse de circonstance le 4 décembre, l'ATCEUC, n'a rien fait pour aider les
travailleurs en Espagne. Seule une autre déclaration au sujet des contrôleurs
espagnols a été publiée par l'ATCEUC le 10 décembre. Notant qu'elle est «
choquée par la violence des décisions prises par le gouvernement espagnol
contre ses contrôleurs aériens, » elle concluait, « Nous n'aurons par
conséquent pas d'autre choix que de nous abstenir de participer à toutes les
réunions européennes impliquant l'Etat espagnol. »
Le fait que la bureaucratie syndicale a ouvert
la voie à l'assaut massif de répression étatique contre les travailleurs, y
compris l'usage de l'armée pour écraser les grèves et les manifestations, doit
servir d'avertissement à la classe ouvrière en Europe et dans le monde entier.
Les syndicats ont confirmé leur rôle de premier obstacle à une contre-offensive
des travailleurs contre la destruction de leurs moyens de subsistance et de
leurs droits démocratiques. Les travailleurs doivent mener une rébellion
politique contre l'appareil bureaucratique pourri des syndicats et construire
de nouvelles organisations de lutte sous le contrôle démocratique de leur base.