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Tunisie: La police ouvre le feu tandis que les manifestations se propagent

Par Ann Talbot
4 janvier 2011

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Des manifestants revendiquant des emplois se sont affrontés aux forces de sécurité alors que les manifestations se propagent à l’ensemble de la Tunisie. Une éruption sociale d’une telle ampleur est littéralement sans précédent dans ce pays d’Afrique du Nord hautement réprimé et étroitement contrôlé.

Mohamed Amari, 18 ans, a été tué par balle quand la police a ouvert le feu sur des manifestants à Sidi Bouzid, une ville située à quelques 200 kilomètres au Sud de la capitale, Tunis. Les protestations avaient débuté le 17 décembre lorsque la police avait confisqué la marchandise de Mohamed Bouazizi, 26 ans, en l’accusant de commerce illégal sans permis. Il s’immola par le feu pour protester contre ce traitement.

Bouazizi a survécu à son calvaire et été transféré au service des grands brûlés à Tunis. Mais un autre jeune homme s’est suicidé depuis en s’électrocutant au contact d’un câble de haute tension. Avant de mourir il a crié, « Non à la misère ! Non au chômage ! »

Le désespoir de ces jeunes gens reflète le haut niveau de chômage en Tunisie. Officiellement, le taux de chômage et de 14 pour cent mais le niveau réel est bien plus élevé.

Plus de la moitié des demandeurs d’emploi sont diplômés de l’université et la moitié de la population a moins de 25 ans. Cette situation a contraint de nombreux jeunes gens à travailler dans le secteur informel où ils tentent de gagner leur vie au moyen du commerce ambulant. Un grand nombre de ceux condamnés à travailler à leur compte sont dans la misère.

Des manifestations ont été signalées à Sfax, Kairouan, Sousse, Médenine et Ben Guerdane. Les forces de sécurité ont attaqué les manifestants à Sfax.

Des protestations organisées par les syndicats ont eu lieu à Médenine, lors desquelles les manifestants ont scandé, « Nous voulons du travail » et « Honte au gouvernement ». A Kairouan, la police a affronté les manifestants et on ne connaît pas le nombre de personnes blessées. On n'a pas non plus connaissance du nombre de personnes interpellées.

On ne trouve pas beaucoup de reportages des manifestations parce que les journalistes sont exclus des villes où se déroulent les protestations. Le gouvernement a empêché les journaux d’opposition Tareeq-al Jadid et Al Mawqif de paraître parce qu’ils avaient couvert les protestations.

La plupart des couvertures ont été faites par des médias sociaux tels Twitter, Facebook et YouTube. Le militant local Ali Bouazizi a décrit les protestations continues à Sidi Bouzid. Il a dit au Financial Times par téléphone, « Il y a eu des émeutes jusqu’à mardi à l’aube. Il y a maintenant une forte présence policière dans la ville. Ils se trouvent dans toutes les artères principales et les bâtiments gouvernementaux. Les journées sont normalement calmes mais les gens sortent le soir et c’est là que les affrontements commencent. »

Les protestations se sont étendues à la capitale. Mardi, les avocats ont manifesté à Tunis pour exprimer leur solidarité avec les manifestants. Un syndicat de lycéens a organisé une manifestation devant le ministère de l’Education. Des forces de sécurité ont bloqué un rassemblement de la Confédération tunisienne du Travail dans la ville de Gafsa.

Ces expressions de solidarité reflètent un vaste sentiment de sympathie vis-à-vis du sort des jeunes chômeurs et du mécontentement croissant à l’égard du gouvernement du président Zine al-Abidine Ben Ali. Le président a dénoncé dans une émission télévisée les protestations comme étant « inacceptables ». « La loi sera appliquée en toute fermeté à l’égard d’une minorité d’extrémistes et de mercenaires qui ont recours à la violence et au désordre, » a-t-il averti.

Ben Ali a succédé au président Habib Bourguiba en 1987. Bourguiba était à la tête de la Tunisie depuis que cette colonie française avait acquis son indépendance en 1956. Durant les 23 dernières années, Ben Ali a réprimé impitoyablement toute forme de dissidence. Un message du gouvernement américain publié par WikiLeaks décrit la Tunisie comme un « Etat policier », bien que Washington soutienne le régime.

La Tunisie est officiellement une démocratie multipartite, mais Ben Ali remporte de façon constante des majorités écrasantes. Lors des dernières élections de 2009, il avait remporté 89,62 pour cent des votes. Deux des trois candidats rivaux étaient ses partisans, et tout affichage électoral avait été interdit au troisième.

Human Rights Watch (HRW) avait dit que les élections s’étaient déroulées dans « une atmosphère de répression. » Le Comité pour la protection des journalistes avait dit que 97 pour cent de la couverture médiatique était consacrée à Ben Ali. Le syndicat tunisien des journalistes était réprimé et le journaliste Taoufik Ben Brik était condamné à neuf d’emprisonnement après la publication d’articles dans la presse française. La journaliste du Monde, Florence Beaugé fut refoulée de Tunisie.

Les protestations ont éclaté parce que la situation économique s’est détériorée en Tunisie suite au déclin du commerce avec l’Europe, le principal partenaire commercial du pays et source du tourisme. La Tunisie dépend fortement du tourisme et de l’agriculture. Il y a maintenant une forte compétition avec d’autres pays du Maghreb ainsi qu'avec l’Egypte et Israël pour le marché touristique et la demande en baisse d’Européens à court de liquidités.

Mais les problèmes économiques auxquels la Tunisie est confrontée ne sont pas d’un caractère passager. Ils reflètent les efforts de longue date entrepris pour réorienter l’économie vers le marché mondial sous la pression des principales puissances impérialistes. Un programme d’ajustement structurel est mis en place en vertu duquel les prix des denrées de base se sont plus subventionnés. Des entreprises d’Etat ont été privatisées et des emplois supprimés.

Le gouvernement s’est empressé de promettre un développement dans les régions les plus gravement touchées et des mesures pour accroître l’emploi. Les responsables locaux de Sidi Bouzid ont été licenciés et le gouvernement national a été remanié.

Néanmoins, les tensions sociales ont atteint un degré insoutenable. Ecrivant pour le quotidien Al-Charq al Awsat sis à Londres, le chroniqueur Abdul Rahman Al-Rached, a mis en garde que les protestations signalaient une perte de crédibilité politique.

Il a rapporté: « Les manifestations en Tunisie ne veulent cesser; elles se sont répandues aux villes et ont même atteint la capitale du pays, dans un défi évident pour l’Etat. Devrions-nous nous inquiéter au sujet de la Tunisie ? Ou n’est-ce juste qu’une autre crise concernant le prix du pain qui sera réglé par certaines promesses et le recours à la force militaire ? A mon avis, le problème de la Tunisie est plus politique qu’économique et va au-delà de la colère des masses de chômeurs. C’est le problème du manque de confiance dans le gouvernement et de la perte de la crédibilité [gouvernementale]. »

Al-Rached a poursuivi en signalant que la Tunisie est l’un des régimes arabes les plus prospères en termes de revenu par habitant et où le niveau d'éducation de la population est le plus élevé. En précisant qu’il a un taux de croissance plus élevé que celui de l’Algérie voisine, qui dispose de réserves de pétrole et de gaz, il a posé la question, « Si les citoyens de Tunis sont mécontents, que peut-on dire des citoyens des autres nations arabes qui endurent une situation et une réalité encore pire ? »

(Article original paru le 30 décembre 2010)

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