Les grèves tournantes région d’une région après l’autre des postiers et
des facteurs organisées par le Syndicat des travailleurs et travailleuses
des postes (STTP) durent maintenant depuis plus de six jours. Jusqu'à
maintenant les travailleurs des postes sont sortis en grève pour des
périodes de 24 heures à Winnipeg, Hamilton, Montréal, Victoria en
Colombie-Britannique et Moncton au Nouveau-Brunswick.
Des travailleurs des postes en grève à Montréal. Sur
plusieurs affiches brandies par les piqueteurs, on peut lire : « Non aux
clauses orphelins! », une référence à la demande de Postes Canada voulant
que les nouveaux employés aient des salaires et des avantages sociaux bien
en deçà de ceux des employés actuels.
Le STTP a justifié cette grève limitée en affirmant vouloir éviter une
confrontation. Mais les négociations entre la société d'État et le syndicat
ont été rompues à Ottawa tard mardi soir.
Les débrayages n'ont eu qu'un effet minimal sur la distribution du
courrier à travers le pays. Postes Canada a rapporté que 14 millions de
lettres ou colis avaient été distribués en moyenne quotidiennement depuis le
début des grèves tournantes vendredi dernier, ce qui correspond
essentiellement au volume de courrier distribué avant le début du conflit.
La direction a cependant exploité l'impasse contractuelle pour améliorer
leurs bénéfices en privant, lundi, de leur route des facteurs au statut
temporaire et en réduisant les heures de travailleurs à temps partiel.
Alors que les négociations atteignent une autre impasse, la bureaucratie
du STTP s'apprêterait à revoir sa stratégie. « Nos plans sont de continuer
les grèves tournantes », a affirmé Jeff Callaghan, directeur national du
syndicat pour la région de l'Atlantique. « Notre conseil va se réunir plus
tard, et nous allons décider si nous intensifions les moyens de pression ou
si nous continuons avec les grèves tournantes. Nous essayons dans la plupart
des cas de minimiser l'impact sur les communautés que nous servons, et nous
allons faire ce choix à la réunion du conseil. »
La stratégie de la direction syndicale est d'éviter une confrontation
avec le gouvernement conservateur du premier ministre Stephen Harper au
moment où les conservateurs se préparent à mener une attaque de front contre
les emplois, les salaires et les avantages sociaux des travailleurs du
gouvernement et contre les services publics qu'ils offrent. Le syndicat a
non seulement décidé de ne pas appeler à une grève nationale pour défendre
ses membres contre les demandes de concessions de Postes Canada, mais il a
aussi évité de s'en prendre aux grands centres de tri de Toronto, Vancouver
et Calgary. Alain Duguay, président de la section local pour Montréal du
STTP, a répété la formule employée par d'autres dirigeants syndicaux :
« Notre objectif (dans la grève) est que la population souffre le moins
possible. »
De ce point de vue, le syndicat a jusqu'à maintenant réussi. N'ayant subi
pratiquement aucune perturbation dans ses opérations, Postes Canada ne voit
pas pourquoi elle modifierait son offre finale faite avant la grève. Et
c'est exactement ce que la direction du STTP a admis dans une déclaration
faite lundi. « Aujourd'hui, après avoir étudié durant trois jours nos
propositions du 3 juin (Postes Canada) a complètement rejeté notre offre. La
compagnie n'a pratiquement fait aucun effort pour rapprocher les deux
parties et, en fait, elle est même revenue sur certaines de ses anciennes
propositions sur la question du personnel. »
Les grands journaux sont remplis de commentaires triomphalistes
soulignant comment le jadis « puissant » syndicat des travailleurs des
postes — dont les membres ont mené des grèves nationales militantes pour de
meilleurs salaires, pensions et avantages sociaux durant les années 1960 et
1970 — a été rappelé à l'ordre par les réalités des nouvelles technologies
de communication du 21e siècle. Ils avancent avec fierté que la population a
jusqu'à maintenant accueilli la grève avec plus ou moins d'indifférence.
Les éditorialistes du Toronto Star se sont récemment prononcés sur
le sujet. Appelant à la privatisation et la déréglementation du service
postal, ils ont dit, « Postes Canada et son syndicat sont pris dans une
impasse. Les grèves tournantes qui ont débuté vendredi ne vont qu’empirer
les choses alors que la majorité des Canadiens constatent à quel point ils
dépendent peu du bureau de poste et trouvent rapidement des façons de s'en
passer davantage. » Citant favorablement les plans par lesquels les services
postaux en Hollande, en Autriche et en Allemagne ont été partiellement ou
entièrement privatisés, les éditorialistes du Star omettent de
mentionner que les tarifs postaux sont plus élevés dans ces juridictions,
même dans les conditions où ces pays ont des populations bien plus compactes
et urbanisées.
Les commentaires du chroniqueur du droitiste Sun Media, Ezra Levant,
continuent de développer l’argument : « Que cette grève dure », dit Levant.
Une grève va inciter les clients du courrier traditionnel à faire finalement
le saut vers une nouvelle technologie, un saut qu’ils n’auraient
probablement pas fait sans les inconvénients d’une grève… Des millions de
Canadiens paient déjà leurs comptes en ligne, cela ne fera qu’accélérer
cette tendance. Déjà, les catalogues de vente par correspondance ont fait
place au magasinage en ligne. Donc, une grève sera une nuisance momentanée,
jusqu’à ce que la population constate qu’elle n’a vraiment plus besoin du
bureau de poste. Ne vous en faites pas pour l’allocation aux personnes âgées
ou ce genre de chose. Le syndicat et Postes Canada ont un arrangement
spécial afin de continuer à livrer le courrier à ceux réellement dans le
besoin. Une grève affectera donc moins le grand public qu’à n’importe quel
moment dans le passé. »
Évidemment, Levant obscurcit certains faits de base. Le magasinage en
ligne nécessite toujours la livraison réelle de paquets. En fait, les
revenus de la distribution de paquets ont grandement augmenté en raison des
e-technologies. De plus, des régions entières du vaste pays n’ont même pas
le service Internet et sont complètement dépendantes de la livraison de
courrier. Et si les volumes de livraison de courrier traditionnel ont
diminué de 17 pour cent depuis 2008, c’est en grande partie le résultat du
ralentissement économique. Le nombre réel d’adresses desservies par les
facteurs continuent d’augmenter régulièrement. Postes Canada a par ailleurs
opéré avec profit pendant 16 années consécutives, ce qui comprend un surplus
de 281 millions de dollars en 2009, la dernière année dont les statistiques
complètes ont été rendues publiques.
Il ne faut pas gratter trop profondément sous la surface des paroles
dogmatiques de la presse bourgeoise pour saisir le point central des
éditorialistes. Les salaires, les pensions et les avantages sont bien trop
élevés pour les travailleurs canadiens. Même si les salaires des PDG
canadiens continuent de monter en flèche — en fait, le président de
Postes Canada est le fonctionnaire le mieux payé du pays — les
travailleurs doivent en venir au constat que les temps ont changé. Comme
Levant dit si arrogamment, « il y a un consensus national grandissant contre
ce que le maire de Toronto Rob Ford appelle la sinécure. Essentiellement,
cela fait référence au genre de personnes qui obtiennent un bon emploi aux
frais de la population, et qui vivent dans un monde imaginaire de richesse
rendu possible par des contribuables de plus en plus impatients. »
Les travailleurs de la poste ont l’un des plus hauts taux de blessures et
sont parmi les plus affectés physiquement de toute la main-d'oeuvre
canadienne. Le rythme de travail dans les postes de tri est intense et la
qualité de l’air est constamment douteuse. Les routes des facteurs et la
masse de leurs cargaisons sont en constante augmentation. Pour cela, ces
travailleurs gagnent un modeste salaire qui tourne autour de 25 dollars par
heure. Des milliers d’employés ont travaillé pendant des années sous des
contrats à temps partiel ou des arrangements temporaires. Mais, pour l’élite
canadienne et leurs journalistes payés comme Levant, cela constitue un
« monde imaginaire de richesse ».
Ces appels à des attaques massives sur les niveaux de vie des
travailleurs sont devenus encore plus vigoureux après l’élection, le mois
dernier, d’un gouvernement conservateur majoritaire. S’adressant à l’Ontario
Business Network le mois dernier, Catherine Swift, la présidente de la
Fédération canadienne des entreprises indépendantes, a révélé ce que pense
l’establishment politique et économique du Canada. Elle a dit que les
syndicats du secteur public « avaient tout cuit dans le bec ». Les retraites
sont beaucoup trop généreuses. Les travailleurs, malheureusement, vivent
trop longtemps! Les plans de retraites ont été établis lorsque les
travailleurs avaient une espérance de vie beaucoup moins grande.
Conséquemment, l’âge de retraite doit être élevé. Les plans d'avantages
sociaux doivent être abolis avant que nous « ne frappions le mur comme la
Grèce ». « Ce qui serait idéal, conclut Swift, serait de se débarrasser
complètement des syndicats du secteur public ».
Les demandes pour des concessions de la part de la direction de Postes
Canada vont en ce sens. L’entreprise offre une maigre augmentation salariale
de 1,9 pour cent — ce qui est en fait une baisse de salaire lorsque
l’inflation est prise en compte — ainsi qu’un salaire et un système
d'avantages sociaux à deux vitesses qui feraient en sorte que les nouveaux
travailleurs recevraient 18 pour cent de moins que leurs collègues
« ainés ».
Les nouveaux employés auraient également un plan de retraite différent
qui les obligerait à supporter un risque accru face à un marché boursier
fluctuant et instable. Ils recevraient moins de prime de départ et seraient
forcés de travailler de longues heures avec moins de sécurité d’emploi.
Comme il est anticipé que 22 000 des 48 000 travailleurs prendront leur
retraite dans les dix prochaines années, les conditions des nouveaux
embauchés deviendront rapidement la norme alors que Postes Canada continue
de couper des emplois.
Tous les travailleurs des postes — qu’ils soient nouvellement engagés ou
non — seraient forcés d’entrer dans un plan de congé maladie à court terme
qui paierait 30 pour cent de moins que les arrangements actuels et qui
obligerait les employés à utiliser leurs congés personnels pour combler les
congés maladies à court terme, tout en ayant leurs réclamations sujettes à
approbation par une compagnie d’assurance externe.
L’assaut sur les travailleurs des postes n’est pas simplement destiné à
défaire les protections contractuelles, mais, plus largement, à ouvrir la
porte pour le démantèlement des services qu’ils fournissent d’un bout à
l’autre du Canada.
Pour que la lutte des membres du STTP qui s’annonce ne soit pas isolée et
défaite, les travailleurs doivent rejeter l’orientation lâche de leurs chefs
syndicaux.
Le refus des dirigeants du STTP d’appeler à une grève générale devant les
demandes pour des concessions massives de la part de l’employeur est le
signe le plus clair que le syndicat se plie déjà devant les demandes de la
compagnie pour un système à deux vitesses. Alors que les travailleurs sont
déterminés à résister, le syndicat est prêt à marchander avec l’employeur
sur le prix d’une nouvelle force de travail à bon marché.
Pour s’opposer à une telle trahison, les travailleurs de la poste doivent
prendre la tête de la lutte contre les concessions et faire de celle-ci le
fer de lance d’une contre-offensive industrielle et politique de toute la
classe ouvrière contre la tentative de la grande entreprise partout au
Canada de faire payer les travailleurs pour la crise économique mondiale.