Le Syndicat des
travailleurs et travailleuses des postes (STTP), le Congrès du
travail du Canada et le
Nouveau Parti démocratique ont tous dénoncé le projet de loi manifestement
antidémocratique utilisé par le gouvernement conservateur pour criminaliser la
résistance des travailleurs des postes à la demande d'imposantes concessions de
Postes Canada qui relève du gouvernement fédéral.
Ces dénonciations cependant ne sont qu'un écran de fumée
pour dissimuler la trahison de la lutte des travailleurs des postes contre les
concessions par le mouvement « ouvrier » officiel.
Dès le
départ, le STTP a cherché à empêcher la pleine mobilisation des 48 000 postiers
des centres urbains de peur que cela ne conduise à une confrontation tête
baissée avec le gouvernement. Lorsque Postes Canada a imposé un lock-out la
semaine dernière, le syndicat a immédiatement proposé de mettre fin à sa campagne
de grèves rotatives localisées qui durait depuis 12 jours si Postes Canada
s'engageait à respecter les termes du contrat actuel.
Maintenant que les conservateurs
sont intervenus de manière décisive pour imposer les exigences de Postes
Canada, le STTP - avec le plein appui du CTC et du NPD - a indiqué qu'il
ordonnera aux postiers de cesser tout moyen de pression et de retourner au travail dès
que le gouvernement conservateur aura fait adopté sa loi de retour au
travail au Parlement.
Les conservateurs ont
indiqué qu'ils vont recourir à la « clôture », une procédure parlementaire
pour mettre fin au débat, afin d'assurer l'adoption rapide du projet de loi,
advenant que celui-ci ne soit pas en voie de devenir loi avant la fin de la
journée de jeudi.
Déposée
au Parlement lundi par la ministre du Travail Lisa Raitt, le projet de loi
des conservateurs est une attaque frontale contre les droits de grève et de
négociation collective des travailleurs.
Il « suspend »
les droits des travailleurs des postes de faire la grève ou d'effectuer des
moyens de pression et, en petits caractères, il penche fortement en faveur de
Postes Canada.
Non
seulement les conservateurs vont-ils choisir l'arbitre qui décidera de la
plupart des termes du nouveau contrat de quatre ans qui sera imposé aux
travailleurs des postes, mais en plus, le projet de loi stipule que l'arbitrage
fonctionnera par « offre finale ». Ce processus vise à maximiser la
pression sur le syndicat afin que celui-ci abandonne les revendications et les
droits des travailleurs. Dans un système d'« offre finale »,
l'arbitre ne peut choisir que d'accepter l'offre « finale » du
syndicat ou de la direction, l'une ou l'autre, et dans sa totalité.
La loi prévoit de lourdes amendes de 50 000 $ pour
tout dirigeant syndical et de 1 000 $ pour tout travailleur des postes de
la base qui ne respecterait pas l'interdiction des moyens de pression.
Dans un
signe clair que le gouvernement attend de l'arbitre qu'il a choisi que ce
dernier impose des concessions draconiennes en faveur des demandes de la
direction, le projet de loi en instance ne prévoit pas même une disposition
commune à tous les projets de loi de ce type, y compris la loi du gouvernement
libéral qui a brisé la grève des postes de 1997 - intimant l'arbitre à « tenir compte de l'importance de maintenir de bonnes
relations de travail » pour déterminer le contrat final.
En fait, le projet de loi de la ministre Raitt va
encore plus loin. Il ordonne à l'arbitre d'imposer un règlement salarial
sensiblement inférieur à ce que Postes Canada présentait avant la rupture des
négociations! Le gouvernement a stipulé que les travailleurs des postes
employés syndiqués actuels en milieu urbain reçoivent des augmentations
salariales de 1,75 pour cent en 2011, de 1,5 pour cent en 2012 et de 2 pour
cent pour les deux dernières années d'un contrat de quatre ans. Dans sa
dernière offre pourtant, Postes Canada avait offert une augmentation de 1,9 pour
cent par an pour les trois premières années d'un nouveau contrat - alors que
l'inflation actuelle est de 3,3 pour cent et ne cesse d'augmenter - et de 2 pour
cent pour la dernière année. La différence entre les augmentations de salaire
prévues dans la loi de retour au travail des conservateurs et l'offre de Postes
Canada représente en moyenne 875 $ par travailleur des postes à temps plein
pour un contrat de quatre ans. Ce manque à gagner des travailleurs permettra à
Postes Canada d'économiser 35 millions $.
Au cours des 16 dernières années, Postes Canada a
systématiquement réussi à déclarer des bénéfices. Ce profit ne provient pas
d'ailleurs d'un développement significatif des flux de revenus, mais plutôt
d'un rognage régulier des coûts et de l'imposition de concessions à sa
main-d'ouvre sur le plan de la productivité. Dans ce conflit, Postes Canada
exige une série de concessions drastiques comprenant une réduction de près de
20 pour cent du salaire de départ des nouveaux employés, le report de l'âge de
la retraite de cinq ans et un affaiblissement des dispositions en matière de
pension pour les nouveaux travailleurs, des réductions des prestations de
maladie pour tous les travailleurs, des changements dans les règlements de
travail, l'élimination d'emplois au moyen de la mécanisation et l'application
de nouveaux systèmes dangereux de tri et de livraison du courrier.
Face à ces attaques sans précédent, le président du
Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, Denis Lemelin, et
l'ensemble de la direction du syndicat, se sont pliés en quatre pour essayer de
s'entendre avec Postes Canada et éviter une confrontation avec le gouvernement
conservateur de Stephen Harper. Depuis le début des négociations il y a huit
mois, le STTP n'a jamais dit aux travailleurs que l'issue la plus probable de
tout litige serait une loi de retour au travail imposée par le gouvernement. Et
au fur et à mesure que cette possibilité devenait de plus en plus certaine, ils
ont refusé même de discuter de cette éventualité, et encore plus d'armer les
travailleurs avec un plan pour résister.
Au lieu de cela, la bureaucratie du STTP travaille
principalement avant tout pour s'assurer que les opérations de Postes Canada
subissent aussi peu de perturbations que possible, appelant à tenir des grèves
tournantes inefficaces que la bureaucratie syndicale a même vanté comme ayant
peu d'effet sur le service des postes. Avec une loi de retour au travail
désormais imminente, la direction syndicale a signalé par son silence et son
inaction qu'elle fera respecter la loi imminente. « Je ne vois pas
beaucoup d'intérêt parmi les négociateurs d'organiser quelque défiance que
ce soit », a déclaré au World Socialist Web Site Steve Carter, le
vice-président de la gigantesque section de Vancouver du STTP, lors d'un
rassemblement organisé vendredi dans la troisième ville en importance du pays.
Pour donner l'apparence d'organiser une lutte et
dissiper la colère des travailleurs vers des voies inoffensives, le STTP
organise une série de petits rassemblements cette semaine à travers le pays.
Lors de ces rassemblements, des conférenciers officiels dénoncent
vigoureusement le gouvernement Harper, tout en favorisant un recours devant les
tribunaux et en appelant à soutenir le NPD aux prochaines élections fédérales
prévues pour 2015 - le tout étant présenté comme le seul plan d'action viable
pour les travailleurs des postes.
Dans la plupart des cas, ces rassemblements ont été peu
suivis par les travailleurs des postes. Au contraire, ils n'ont attiré surtout
que des responsables syndicaux locaux et des partisans du NPD.
La stipulation des conservateurs d'imposer une
augmentation de salaire dérisoire encore plus basse que ce que la direction
avait déjà proposé vise clairement à inciter la direction du STTP à retourner à
la table des négociations avant l'adoption finale du projet de loi afin de
négocier « librement » une nouvelle convention collective.
Certes, une telle issue serait préférable tant pour
l'opposition officielle du Canada, le Nouveau Parti démocratique, que pour le
Congrès du travail du Canada (CTC). La semaine dernière, les deux organisations
ont félicité Ken Lewenza, chef de file des Travailleurs et travailleuses
canadien(ne)s de l'automobile, pour avoir négocié un
contrat de concession avec Air Canada quelques heures seulement avant que
Harper n'impose une loi de retour au travail contre les 3 800
représentants du service à la clientèle de la compagnie aérienne nationale. M.
Lewenza, qui est déjà bien versé dans l'imposition de concessions aux membres
de son syndicat employés dans l'industrie automobile, s'est docilement soumis
aux exigences d'Air Canada qui imposera des compressions massives dans les
paiements aux futurs retraités et un plan de retraite à cotisations déterminées
à deux vitesses pour tous les travailleurs nouvellement embauchés.
Dans le conflit de Postes Canada, le NPD a menacé qu'il
« pourrait » travailler pour retarder l'adoption du projet de loi
d'un ou deux jours. « Je ne sais pas si nous pouvons appeler ça faire de
l'obstruction, a reconnu Yvon Godin, le critique en
matière de relations de travail du NPD, mais nous allons faire notre travail
d'opposition officielle. » Tout retard que le NPD créera ne restera
cependant qu'une manouvre pour permettre au syndicat et à la direction de
Postes Canada de jouir d'un délai supplémentaire pour parvenir à un accord,
tout en dépouillant les travailleurs de nombreux gains durement acquis. Mais
une telle procédure pourrait néanmoins être cyniquement vendue (à la Lewenza)
comme une « consécration » du principe de la libre négociation
collective.
Un tel pseudo-remède n'a toutefois qu'une durée de vie
très limitée pour les travailleurs. Même les experts des études en relations de
travail qui suivent le courant dominant ont été forcés de reconnaître que les
interventions des conservateurs dans les conflits chez Air Canada et Postes
Canada ont déjà changé le paysage des relations industrielles au pays.
« Sans le moindre débat en matière de politique
gouvernementale, nous nous retrouvons maintenant avec un
nouveau régime de négociation, a déclaré George Smith, chercheur à la School of
Policy Studies de l'Université Queen. Je ne pense pas que cela figurait dans la
plate-forme du gouvernement Harper. Cela me surprend que sans aucun débat, ils
ont décidé à deux reprises, alors qu'il n'y avait manifestement aucune preuve
accablante de dommages économiques, d'intervenir et d'imposer aux parties un
processus qui n'est pas prévu dans le Code canadien du travail à aucun
moment. » Laurel MacDowell, un historien en relations
de travail de l'Université de Toronto, présente les choses de façon plus
succincte : « Fondamentalement, ils (le gouvernement) mettent leur poids
derrière la gestion, ce qui signifie qu'ils interviennent d'une manière qui
modifie l'équilibre du pouvoir. »
Pour sa part, le Congrès du travail du Canada est, de façon plutôt prévisible, passé de la position de
conseiller à ses membres d'écrire une lettre de protestation au PDG de Postes
Canada, à celle de menacer de recourir à quelque « possible » action
juridique. Certes, la loi de retour au travail
est antidémocratique et souligne bien que les conservateurs vont utiliser des
méthodes autoritaires pour imposer l'ordre du jour des grandes entreprises.
Mais la Cour suprême du Canada, en tant que complément de l'État canadien,
statue systématiquement contre les intérêts collectifs de la classe ouvrière.
Le mois dernier, elle a rendu une décision selon laquelle la « liberté
d'association » pourtant garantie par la Charte canadienne
des droits et libertés, ne
donne aucun droit aux travailleurs au-delà de celui que de faire connaître
leurs doléances à leur employeur. Si le CTC (et le STTP) insistent sur le
caractère anticonstitutionnel de la loi, c'est uniquement pour promouvoir le
mensonge selon lequel la loi de retour au travail peut être combattue devant
les tribunaux et non par la mobilisation de la classe ouvrière.
Si les travailleurs des
postes ne veulent pas subir un nouveau retournement amer, ils doivent se
détourner des bureaucrates syndicaux et prendre la tête de leur lutte contre
les concessions en organisant à la base des comités de travailleurs extérieurs
et en opposition à l'appareil syndical. Ils doivent se préparer à défier la loi
de retour au travail du gouvernement Harper et faire de leur grève le fer de
lance d'une offensive politique et économique de la classe ouvrière contre
toutes les coupures d'emplois et les réductions de salaire, ainsi que pour
défendre les droits des travailleurs et les services publics.