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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

D'anciens résistants français lancent des appels nationalistes réactionnaires

Par Alex Lantier
21 mai 2011

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Le 14 mai, le quotidien de référence français Le Monde, a publié un appel politique à l'unification de la nation française autour des valeurs de l'Etat providence, écrit par d'anciens membres de la Résistance française. Treize personnes — dont des ex-responsables des services de renseignement gaullistes, Raymond Aubrac et Stéphane Hessel, ainsi que l'ex-dirigeant de la CGT (Confédération générale du travail) stalinienne, Georges Séguy — ont signé cet appel.

Il a été lancé depuis le plateau des Glières dans les Alpes, lieu de l'une des premières grandes actions de guérilla contre les troupes pétainistes et nazies en mars 1944. Au cours de cette opération, coordonnée avec les gouvernements alliés, le plateau des Glières avait été brièvement tenu, puis évacué, par les combattants de la résistance. La plupart d'entre eux avaient cependant été capturés durant leur fuite par des Français collaborant avec les nazis, puis déportés ou abattus.

La décision du Monde de publier l'appel des Glières s'inscrit dans une campagne plus large dans l'establishment politique et médiatique visant à promouvoir les combattants de la résistance et le nationalisme français. Le livre de Hessel Indignez-vous s'est vendu à 1,5 million d'exemplaires en France. Il a été traduit en espagnol, en italien, portugais, et grec ; des traductions sont en cours en slovène, coréen, japonais, suédois et d'autres langues. Le magazine américain The Nation a publié une version anglaise sur son site Web en mars.

L'écho obtenu par le livre de Hessel, qui dénonce le « pouvoir de l'argent », reflète le sentiment populaire montant qu'une lutte doit être entreprise contre l'inégalité sociale et la dictature des grandes banques qui passent avant les besoins des travailleurs. Cependant, il indique également les questions qui ne sont toujours pas résolues sur la perspective historique et politique qui se présente à la classe ouvrière.

Derrière les remarques d'Hessel et d'autres membres du groupe à l'initiative de l'appel des Glières — les Citoyens résistants d'hier et d'aujourd'hui (CRHA) — il n'y a pas une perspective de luttes sociales, mais une perspective d'unité nationale et d'arrangements avec la classe dirigeante. C'est non seulement utopique, mais aussi chauvin et hostile au prolétariat.

L'appel des Glières déclare, « Nous souhaitons que tous les citoyens, tous les partis, tous les syndicats, toutes les associations participent à l’élaboration d’un Projet de Société du XXIe siècle en repartant du programme du CNR « Les jours heureux » adopté le 15 mars 1944. Ce programme politique constitue toujours un repère essentiel de l’identité républicaine française. »

Le Comité national de la résistance (CNR) avait réuni des factions de la Résistance menées principalement par le Général Charles de Gaulle et le Parti communiste français (PCF) stalinien. Son programme de 1944 — qui appelait dans des termes restés célèbres à « L’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie. » — constituait le fondement idéologique de la création de la nouvelle République (la quatrième) qui remplaça le régime de Vichy pro-nazi.

Derrière la rhétorique du CNR, pourtant, il y avait une réalité plus sordide : la réhabilitation de la bourgeoisie française, qui avait collaboré avec les nazis, avec l'aide du PCF. Ce dernier, pressé de faire oublier sa collaboration avec les nazis à l'époque du pacte germano-soviétique, permit l'application des accords de Yalta par lesquels le Kremlin se partagea le monde avec les impérialismes anglais et américains, la France se retrouvant dans la sphère capitaliste. Le mouvement trotskyste — unique tendance politique qui se soit battue pour une révolution de la classe ouvrière — fit l'objet d'une répression de la part des staliniens et de l'Etat français.

Aubrac, Hessel et Séguy sont les produits de cette histoire politique torturée. Lorsque le boom d'après-guerre et l'aide financière américaine dans le cadre du plan Marshall permirent des améliorations dans le niveau de vie des masses, le PCF et les gaullistes brandirent le CNR comme preuve de la viabilité du régime capitaliste qu'ils avaient créé en 1944.

Les circonstances historiques qui ont permis le développement économique sur une base capitaliste appartiennent à un passé distant cependant. À l'ère de la mondialisation, après l'effondrement de l'URSS et la crise économique mondiale partie des États-Unis, la classe dirigeante européenne n'a pas les ressources humaines et financières nécessaires à une politique de réformes sociales. Ils mènent des guerres en Libye, en Afghanistan, et ailleurs, tout en licenciant et en réduisant les dépenses sociales de tout le continent — particulièrement avec l'éclatement de la crise de la dette européenne, après l'effondrement initialement américain de 2008.

Dans une situation où l'aristocratie financière du monde entier s'en prend sans vergogne aux emplois des travailleurs et à leur niveau de vie, la perspective du CRHA — en appeler à l'unité nationale autour de l'Etat alors que celui-ci réduit ses dépenses et mène des guerres impérialistes à l'étranger — est tout simplement réactionnaire. En fait, la publication par Le Monde de l'appel des Glières est également l'occasion pour lui d'envisager les alliances politiques possibles entre des forces issues de la Résistance et la droite.

Il est remarquable que l'appel des Glières ne mentionne pas le fait que Marine Le Pen, candidate du Front national (FN) pour la présidentielle de 2012, fasse campagne en s'appuyant sur des appels à la Résistance et à la Libération. Cela fait partie de la tentative plus large de Le Pen de donner au FN un verni de pseudo-gauche, pour faire passer sa plateforme anti-immigrés et anti-ouvrière derrière des slogans sur les « valeurs républicaines » et la « laïcité ».

Le fait que Le Pen fasse des commentaires de ce genre est pourtant bien connu. En fait, la couverture par Le Monde du CRHA fait directement référence à cette campagne. Qualifiant Le Pen de « fine mouche », Le Monde a écrit que son discours du premier mai utilisait une bonne partie du « vocabulaire de la résistance. »

Le Pen a déclaré que le FN défend « L'esprit de résistance à la servitude, la résistance à l'oppression et à la collaboration avec les ennemis de la souveraineté […]Peut-on nous reprocher de nous battre pour une France libre, pour la France libre ? Je ne le crois pas. »

Le fait qu'une néo-fasciste puisse faire campagne sur des appels à la résistance contre le fascisme en France témoigne de la dégénérescence et de la veulerie de l'élite politique du pays. Après des années à essayer de détourner l'attention de la population des politiques sociales et militaires de droite en usant de la rhétorique anti-immigrés — faussement qualifiée de « laïcité » — les partis officiels ont de moins en moins de différences avec Le Pen. En fait, l'interdiction de la burqa et d'autres mesures du genre ont reçu le soutien de tous les partis de « gauche » bourgeois, y compris le Parti socialiste (PS), le PCF, et le Nouveau parti anticapitaliste (NPA).

Alors que tout le spectre de la politique officielle se rue vers la droite, Le Monde se concentre sur les alliances de droite que l'appel des Glières pourrait contribuer à nouer. Il écrit, « L'union sacrée ne se fait pas avec ses véritables ennemis, pas d'union sacrée avec Vichy, bien sûr, ni même avec une certaine droite qui n'a jamais cherché à promouvoir l'humanité de l'humanité mais a toujours défendu la lutte de tous contre tous avec, éventuellement, des aménagements de belle âme. »

Cette déclaration remarquable soulève des questions sérieuses. Premièrement, qui même parle d'« union sacrée avec Vichy » ? Et en second lieu, le fait que seule « une certaine droite » ne soit pas acceptable dans une « union sacrée » pose la question des autres forces de droite qui pourraient former une « union sacrée » avec le CRHA, la CGT et le reste de la « gauche. »

Dans ce contexte, il est significatif que l'appel des Glières s'adresse à « tous les partis » pour leur demander de participer à des discussions — sans exclure le FN, ni critiquer ses tentatives de s'approprier la Résistance.

Cela souligne la fonction politique première de l'appel des Glières. Celle de donner une couverture soi-disant « de gauche » au nationalisme de droite concocté par la bourgeoisie française, pendant qu'elle réfléchit à ce qu'elle pourra faire de la rapide montée du FN dans les sondages et à son besoin d'une politique internationale plus agressive — que ce soit dans les tensions avec l'Allemagne au sujet de l'euro, ou des guerres impérialistes en Libye, en Côte d'Ivoire et en Afghanistan.

Le Monde joue au naïf en qualifiant le CRHA de « petite association de personnes sympathiques qui s'étaient indignées, en 2007, de la volonté affichée par Nicolas Sarkozy de vouloir s'approprier la mémoire résistante des Glières, sa volonté d'en faire un objet de marketing politique dépolitisé, instrumentalisant l'histoire, désacralisant la mémoire des morts. »

C'est une description absurde de ces membres hautement expérimentés de la société politique française. Ces diplomates, ingénieurs et bureaucrates âgés et aisés qui ont rédigé l'appel des Glières sont tous associés à l'image du capitalisme français d'après-guerre — caractérisé par la planification d'Etat, les grandes entreprises publiques et le développement industriel.

Pourtant, ce n'est pas là le contenu de la politique qu'ils défendent. En fait, ils appellent à une représentation politique plus importante des diplomates, ingénieurs et bureaucrates dans le capitalisme mondialisé moderne. Dans leurs propres termes, ils ne veulent que « de nouvelles pratiques républicaines, » afin que « l'action de la société civile soit reconnue. »

Ils expriment également le point de vue pessimiste selon lequel il y a des « limites de développement compatibles avec la survie humaine. »

De tels commentaires reflètent l'évolution sociale du haut de la classe moyenne. Tout au long de leur carrière, Aubrac, Hessel, Séguy et compagnie ont absorbé de plus en plus les conceptions droitières de l'aristocratie financière et adopté des positions plus immédiatement et directement hostiles à la grande masse du prolétariat.

Aubrac et Hessel viennent tous les deux des renseignements gaullistes et ont fait de longues carrières dans la diplomatie internationale dans des administrations françaises ou à l'ONU. Aubrac a été « compagnon de route » du PCF, accueillant Ho Chi Minh après la seconde guerre mondiale pendant que l'impérialisme français réintroduisait ses forces en Indochine. Plus tard, il a aidé le ministre des Affaires étrangères américain Henry Kissinger à négocier avec le Nord-Vietnam durant la guerre américaine contre ce pays dans les années 1970.

Séguy a été secrétaire général de la CGT de 1967 à 1982, et de 1956 à 1982 il fut membre du Comité politique du PCF. L'incident le plus connu impliquant Séguy est sans conteste celui où il a été hué par les salariés de Renault en grève à Boulogne-Billancourt, quand il essayait d'imposer un accord pour terminer la grève générale de 1968 qu'il avait négocié avec le gouvernement. En tant que membre dirigeant de la CGT et du PCF dans les années 1970, il a participé à son intégration dans l'alliance politique dirigée par le PS.

Ce parti a été au pouvoir dans les années 1980, sous la présidence de Mitterrand, et finalement s'est servi d'une vague de fermetures d'usines et de coupes sociales pour écraser les luttes ouvrières et graduellement mettre un terme à la période des grandes grèves d'après 1968. De plus, depuis la période où les 13 signataires de l'appel des Glières ont personnellement joué des rôles importants dans la politique officielle française, la couche sociale et politique qu'ils représentent a évolué considérablement vers la droite.

Aidés de divers renégats du trotskysme, le PS et ses alliés politiques ou syndicaux ont fait échouer les luttes de la classe ouvrière pendant des dizaines d'années. Cela a créé une montée vertigineuse du chômage et de l'inégalité sociale qui place actuellement la France, comme le reste du monde, à la veille de luttes de classes explosives.

En France aujourd'hui, le un pour cent le plus riche de la population détient 24 pour cent, près du quart, de la richesse totale du pays. Pourtant, cela ne satisfait pas, ne peut pas satisfaire, la classe capitaliste : elle est en compétition permanente avec ses homologues des États-Unis et d'ailleurs pour obtenir des profits. Aux États-Unis, le un pour cent le plus riche détient près de 40 pour cent de la richesse nationale.

Loin d'avoir été « évincée » par le programme du CNR, cette aristocratie financière a un contrôle absolu du pouvoir politique. L'an dernier, il a été révélé que la multimilliardaire Liliane Bettencourt avait joué un rôle majeur dans le financement du parti conservateur au pouvoir, l'Union pour un mouvement populaire (UMP). Les fonds passaient de Bettencourt à l'UMP, et apparemment au Président Nicolas Sarkozy, par l'intermédiaire d'Éric Woerth, ministre qui a supervisé la réduction des retraites en 2010.

Néanmoins, le gouvernement a pu imposer ces réductions exigées par les grandes banques et investisseurs comme Bettencourt, en dépit d'une opposition populaire généralisée et d'une vague de grèves contre lesquelles la police anti-émeute a été employée. Cela a été soutenu par la CGT, le PCF, et le NPA qui n'ont appelé qu'à une opposition « symbolique » face aux actions de la police.

Ces événements témoignent du gouffre social séparant la classe ouvrière des représentants politiques des classes moyennes aisées. La déclaration des Glières, avec ses références nationalistes et ses signaux codés adressés à la droite, est une  indication de plus que les luttes de la classe ouvrière ont besoin d'une nouvelle orientation révolutionnaire — qu'elle ne trouvera pas dans la politique du CRHA.

 

(Article original paru le 19 mai 2011)

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