Malgré une interdiction
gouvernementale, des dizaines de milliers de manifestants ont continué à
occuper la Puerta del Sol à Madrid et d’autres centres dans de nombreuses
villes à travers toute l’Espagne durant le week-end. Des élections
municipales et régionales se sont déroulées dimanche qui se sont soldées par
une lourde défaite pour le gouvernement du Parti socialiste ouvrier espagnol
(PSOE) de José Luis Zapatero.
La principale force motrice
derrière la défaite du PSOE ont été les mesure d’austérité massives
imposées par le gouvernement qui ont aggravé la crise économique. Les premiers
résultats ont montré que le PSOE a obtenu moins de 28 pour cent des votes.
Le plus grand bénéficiaire de
l’effondrement du soutien du PSOE a été son principal rival le Parti
populaire (PP) de droite qui a remporté 39 pour cent des voix. Le PP soutient
aussi les attaques perpétrées contre la classe ouvrière. Avec une coalition
comprenant des nationalistes catalans prenant le pouvoir, le PSOE a aussi, pour
la première fois en plus de 30 ans, perdu le contrôle de Barcelone, la deuxième
ville d’Espagne.
« Les résultats montrent
que le Parti socialiste a nettement perdu les élections
d’aujourd’hui », a dit Zapatero dimanche. Il fait porter la
responsabilité de la défaite sur la crise économique comme si la politique du
gouvernement PSOE n’avait rien à voir avec les conditions désastreuses
auxquelles sont confrontés la jeunesse et les travailleurs et espagnols.
Les élections ont été reléguées
au second plan par les protestations, connues sous le nom de mouvement du M-15,
du jour où les premiers appels dans ce sens étaient lancés par des réseaux
sociaux et des groupes internet. Ces appels ont suscité de nombreuses réactions
de la part des jeunes travailleurs, des étudiants, des chômeurs et de vastes
sections de la population laborieuse espagnole. Les organisateurs ont indiqué
qu’ils poursuivront les protestations au-delà des élections.
Les protestations avaient été
interdites la veille des élections par différentes commissions électorales et
la commission électorale centrale. La loi espagnole interdit les activités
politiques des partis le jour des élections et le jour les précédant qu'on
appelle « journée de réflexion collective ». Ceci ne couvre pas les
protestations du M-15 mais a été le prétexte de l’interdiction.
Jusque-là, le gouvernement PSOE s’est abstenu d’envoyer la police
en renforcement de l’interdiction bien qu’il y ait eu des
compte-rendus faisant état d’intimidation et de violences policières.
Le parti de
l’opposition, Parti populaire (PP) droitier a exigé des mesures sévères
pour briser les campements « illégaux » que les manifestants ont dit
vouloir prolonger après les élections.
La majorité des manifestants,
surnommés « les indignés » [ceux qui crient leur colère], sont des
jeunes gens qui sont particulièrement durement touchés par la crise. Près de la
moitié des Espagnols âgés de 18 à 25 ans sont sans emploi, soit plus du double
de la moyenne de l’Union européenne. La plupart de ceux qui arrivent à
trouver un emploi finissent par se retrouver avec des contrats intérimaires.
Toutefois, de plus en plus de
familles et de travailleurs plus âgés rejoignent les occupations à Madrid et
dans d’autres villes dont Barcelone, Valence, Séville, Zaragoza et Bilbao
pour protester contre le chômage, les mesures d’austérité du gouvernement
et le système politique qui n’est qu’au service des banques et du
patronat.
Ceux qui participent aux
protestations ont dit qu’ils étaient hostiles à tous les principaux
partis politiques espagnols. Au cours du week-end, ils ont exhorté les gens à
ne voter pour aucun des deux principaux partis espagnols, le PSOE et le PP.
Puerta de Sol fait fonction de
vaste assemblée où se déroulent de nombreuses discussions sur ce qu’il
faudra faire après les élections. Certains ont réclamé que l’occupation
devienne permanente et que le mouvement soit élargi afin de créer des
assemblées populaires partout à Madrid. Plusieurs comités ont été mis en place
pour s’occuper de l’approvisionnement alimentaire, des questions
juridiques et de la communication.
L’assemblée de Puerta
del Sol a adopté une liste de 16 revendications dont la démocratisation du
processus électoral ; la proclamation des droits fondamentaux tel le
logement, les soins de santé et l’éducation ; un plus grand contrôle
gouvernemental des banques et des entreprises ; une réduction des dépenses
militaires ; et la re-nationalisation des entreprises publiques
privatisées.
Un manifestant, Alejandro, a
dit à la BBC, « J’espère que ça va changer notre situation. Nous
avons droit à un travail régulier, à un avenir et à un salaire décent, à
davantage d’opportunités dans la vie, à la possibilité d’avoir une
maison, de pouvoir payer cette maison sans être réduit à l’esclavage, mais
tout spécialement à une meilleure qualité de vie. »
Carlos Gomez a dit,
« Nous n’avons pas d’autre choix que de voter pour les deux
plus grands partis d’Espagne, qui sont plus ou moins pareils. Ils sont
incapables de résoudre le moindre problème ; c’est tout simplement
un nid de corruption. Nous sommes fatigués. Bref, nous voulons une démocratie
qui fonctionne. Nous voulons un changement. »
Milena Almago Garciá a ajouté,
« Ces protestations ne concernent pas seulement le chômage. Elles
concernent la situation politique injuste qui existe en Espagne. Nous
protestons contre une situation politique qui permet à plus d’une
centaine de personnes qui sont accusées de corruption dans le pays de se
présenter aux prochaines élections. »
Les manifestations et les
résultats des élections révèlent l’énorme gouffre qui existe entre les
intérêts et les sentiments éprouvés par la population et la politique dictée
par l’élite financière qui est soutenue par tous les partis traditionnels
– en Espagne et partout en Europe.
Alors que les forces
organisatrices de ces protestations affirment être apolitiques, elles ont bien
une perspective politique, à savoir que les manifestations de masse peuvent à
elles seules obliger le système politique à changer. C’est faux. Tandis
que la crise de la dette européenne entre dans une nouvelle phase, la classe
dirigeante est déterminée à imposer des mesures d’austérité encore plus
brutales et qui nécessiteront de plus en plus l’abrogation des droits
démocratiques les plus fondamentaux.
Le gouvernement PSOE a déjà
imposé l’un des programmes les plus brutaux de toute l’Europe, avec
l’introduction d’un plan de réduction des dépenses de 15 milliards
d’euros comprenant une réduction de 5 à 15 pour cent des salaires des
fonctionnaires, des attaques contre la retraite et une réforme de la loi de
protection des travailleurs.
Dans le cadre de la campagne
pour appliquer des réductions plus massives, les marchés financiers ont fixé
les taux d’intérêts espagnols à leurs niveaux les plus élevés depuis janvier.
Les gouvernements régionaux qui sont responsables d’un tiers des dépenses
publiques ont procédé à des coupes dans les soins de santé, l’éducation
et dans d’autres services publics essentiels. Ceci laisse penser que des
gouvernements régionaux nouvellement élus cette semaine vont commencer à
révéler que les dettes sont bien plus élevées qu'on ne l'avait publié
antérieurement, ce qui ne fera d’augmenter la pression pour davantage de
plus de rigueur.
Pour combattre cette poussée,
la classe ouvrière a besoin de ses propres organisations de lutte. Les
syndicats officiels ont brillé par leur absence à ces protestations de cette
dernière semaine, ces mêmes syndicats qui ont travaillé en étroite
collaboration avec le PSOE pour appliquer les coupes et démobiliser la
résistance de masse qui a débuté l'année dernière. Ces syndicats ne
représentent qu'à peine 14 pour cent de la main d'oeuvre selon les données de
l'OCDE (Organisation de coopération et développement économiques.)
Pour mener à bien la lutte,
les travailleurs doivent construire des comités de base indépendants pour unir
toutes les sections de la classe ouvrière avec les jeunes au chômage.
Avant tout,
il faut construire un nouveau parti, sur la base d'une perspective
révolutionnaire et internationaliste intransigeante. Ce n'est pas juste une
affaire de protestation. Il s'agit de construire une nouvelle direction visant
à lutter pour la transformation socialiste de l'économie en Espagne, de par
l'Europe et internationalement.