Le gouvernement conservateur canadien a
envoyé une frégate de l'armée en direction des côtes de la Libye et des forces
d’opérations spéciales à Malte en préparation de l’intervention
militaire dans ce pays riche en pétrole du nord de l’Afrique.
Selon certains bulletins de nouvelles de CTV
et un article dans le Globe and Mail de mardi, quelques forces
d’opération spéciales canadiennes sont déjà actives en Libye. Selon ce
qui est rapporté, leur mission serait d’aider à l’évacuation des
Canadiens et des autres étrangers piégés dans le début guerre civile.
Cependant, ils pourraient très bien être occupés à d’autres tâches. Une
des principales fonctions des forces d’opération spéciales des Forces
armées canadiennes est de faire de la surveillance et aussi de préparer le
terrain pour des opérations militaires de plus grande envergure.
Le Globe, le journal de référence du
Canada, a aussi rapporté qu’Ottawa se fait le champion, en coulisse, de
la proposition faite par la Grande-Bretagne et appuyée par des éléments dans
l’élite politique américaine qui demande que la « communauté
internationale », c’est-à-dire les puissances impérialistes occidentales,
impose une « zone d’exclusion aérienne » sur la Libye. Une
telle action, comme l’a franchement dit le secrétaire à la Défense des
États-Unis, Robert Gates, devant une commission du Congrès mercredi,
constituerait un acte de guerre et impliquerait des combats à grande échelle.
Pour être victorieuse, la coalition, menée par les États-Unis, qui imposerait
une telle zone d’exclusion aérienne devrait détruire les défenses
antiaériennes du régime libyen du colonel Kadhafi dès le début.
Le témoignage de Gates, tout comme les remarques
faites par la secrétaire d’État, Hillary Clinton, devant une autre
commission du Congrès mercredi, visait à réduire les attentes face à une
intervention militaire américaine immédiate en Libye. Mais ils indiquent tous
deux qu’une zone d’exclusion aérienne et même une invasion pure et
simple ne peuvent être exclues. De plus, les États-Unis et leurs alliés
continuent d’envoyer des hommes et de l’équipement militaire dans
la région.
Le sénateur Hugh Segal, ancien conseiller de
haut rang du premier ministre Stephen Harper et ancien chef de cabinet pour
Brian Mulroney a dans une déclaration publique signalé que le gouvernement
conservateur du Canada acceptera de déployer des avions de guerre pour aider à
renforcer une zone d’exclusion aérienne sur la Libye. « Si on lui
demandait » d’y envoyer quelques-uns de ses avions de chasse,
« je crois que la réponse du Canada sera positive », a dit Segal au Globe.
Mercredi, quelque 24 heures après que le
gouvernement du Canada ait annoncé des plans pour déployer le NCSM
Charlottetown dans la mer Méditerranée, la frégate a quitté le port
d’Halifax avec 240 membres des Forces armées canadiennes à son bord.
En expliquant la mission du
Charlottetown, le ministre de la Défense Peter MacKay a précisé que sa première
tâche serait de prêter main-forte aux efforts d'évacuation lorsqu'il atteindra
le large de la côte libyenne au milieu de la semaine prochaine. Le
Charlottetown pourrait aussi fournir de « l'aide humanitaire » (le
gouvernement du Canada a promis 5 millions de dollars d'aide), mais seulement
dans les régions qui ne sont pas sous le contrôle du régime de Kadhafi.
Le Charlottetown, a ajouté MacKay, a
aussi pour mission de faire appliquer toutes sanctions imposées à la Libye par
le Canada et ses alliés.
Le ministre de la Défense du Canada a de
plus indiqué que le déploiement du navire, qui pourrait durer jusqu'à six mois,
a un quatrième objectif : placer le Canada dans une position où il
pourrait contribuer à des actions contre la Libye encore plus agressives qu'un
blocus naval. « Nous sommes sur place pour faire face à toute éventualité.
L'OTAN garde l'œil sur la situation aussi... ce geste mesuré est pris par
précaution. »
Tout comme les autres puissances
impérialistes, le gouvernement canadien présente ses plans d'intervention en
Libye comme étant motivés par l'altruisme. Il prétend avoir en horreur les
actes de répression du régime Kadhafi, craindre pour la vie de Libyens
ordinaires tandis que le pays plonge dans la guerre civile, et se préoccuper de
la défense de la démocratie en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Tout cela n'est que balivernes. Si le
gouvernement canadien planifie, avec les États-Unis et l'Union européenne,
d'intervenir en Libye, c'est parce que le soulèvement populaire qui a renversé
Moubarak en Égypte et Ben Ali en Tunisie, qui a porté un dur coup à Kadhafi, et
qui menace plusieurs gouvernements de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient
menace les intérêts économiques et géostratégiques cruciaux des impérialistes.
Le gouvernement canadien était encore
moins disposé que l'administration Obama, et cela en dit long, à exiger la
démission de Hosni Moubarak, et encore moins le démantèlement de son régime
dictatorial.
Durant les trois semaines de
protestations et grèves de masse qui ont mené à la démission de Moubarak le 12
février, Harper, le ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon, et
d'autres conservateurs en vue ont à maintes reprises déclaré publiquement que
la sécurité et l'ordre – c'est-à-dire la perénnité du système dans lequel
l’Égypte est le point d’appui d’un Moyen-Orient policé par Israël
et contrôlé par les États-Unis– étaient ce qui les préoccupaient le plus.
Dans un contexte où les Égyptiens se sont
vu retirer leurs droits démocratiques fondamentaux durant des décennies, Harper
et Cannon ont justifié leur appui obstiné à Moubarak en déclarant que « ce
n'est pas le rôle du Canada que de dire aux Égyptiens quoi faire ».
Avec la paralysie progressive de
l’économie égyptienne en raison des grèves, puis les inquiétudes
croissantes au sein des milieux dirigeants que l’armée de conscrits
puisse désobéir à l’ordre d’écraser le mouvement populaire,
Washington et l’armée égyptienne ont ultimement conclu que la meilleure
façon de contrecarrer les aspirations sociales et démocratiques des masses
égyptiennes était d'évincer Moubarak.
Le gouvernement Harper, considérant la
portée mondiale limitée du Canada, a été en grande partie spectateur dans ces
développements. Mais il a rapidement annoncé qu’il était satisfait de la
« transition démocratique » en Égypte, soit le remplacement de Moubarak
par une junte militaire ayant comme principal mot d’ordre « la
révolution est terminée ».
Dans le cas de la Libye, le gouvernement
conservateur de Harper, tout comme ses prédécesseurs libéraux, a été plus que
disposé à faire des affaires avec Kadhafi une fois que son régime ait renoncé à
ses prétentions anti-impérialistes, rouvert l’industrie pétrolière du
pays à l’investissement étranger et s’est intégré à la
« guerre contre le terrorisme » des États-Unis en collaborant avec la
CIA.
En expliquant les sanctions imposées à la
Libye par le Canada le 27 février, le leader du gouvernement à la Chambre des
communes, John Baird, a précisé qu’elles n’auront aucun impact sur
les activités commerciales des entreprises canadiennes opérant actuellement en
Libye, y compris la compagnie pétrolière Suncor et le géant de
l’ingénierie SNC-Lavalin.
Bien qu’ils appuient le déploiement
du Charlottetown, les médias de la grande entreprise ont montré peu
d’enthousiasme pour une intervention militaire d'envergure en Libye. Mais
ce n’est pas en raison de quelque scrupule par rapport à
l’utilisation des FAC comme instrument de guerre dans le but faire
progresser les intérêts prédateurs de la classe dirigeante canadienne à
l’échelle mondiale. Le Globe, qui a titré son éditorial de mardi
« Dissuadons Kadhafi, mais sans déploiement de soldats », a publié
une série d’articles l’automne dernier affirmant que comme résultat
du rôle d’avant-plan joué par le Canada dans la guerre en Afghanistan,
l’élite canadienne possède maintenant une armée aguerrie et ne devrait
pas s’empêcher de l’utiliser dans les années à venir.
Les inquiétudes exprimées par les médias
canadiens par rapport à l’action militaire en Libye font écho à celles
exprimées par les principaux représentants de la bourgeoisie de chaque côté de
l’Atlantique : pacifier l’immense pays largement désertique
sera probablement difficile; les dirigeants de l’opposition à Kadhafi,
d’anciens membres du régime, sont largement méconnus; l’invasion
pourrait attiser un sentiment anti-impérialiste dans un pays ayant été subjugué
à des décennies de domination coloniale brutale directe; les États-Unis sont
encore embourbés dans les guerres d’Irak et d’Afghanistan et
l’invasion d’un troisième pays principalement musulman pourrait
alimenter davantage l’hostilité envers les États-Unis dans la région.
Au même moment, les États-Unis restent
déterminés à maintenir le contrôle du Moyen-Orient. En fait, leur déclin
économique relatif n’a fait que rendre leur position mondiale plus
dépendante de leur capacité à imposer leur domination stratégique sur la
principale région exportatrice de pétrole au monde.
La Libye n’est pas uniquement un
important producteur de pétrole. Elle partage ses frontières avec la Tunisie et
l’Égypte, puis avec l’Algérie riche en pétrole, laquelle a été
secouée par des protestations ouvrières en janvier.
Le gouvernement Harper va sans aucun
doute suivre la direction de Washington en ce qui concerne l’action
militaire en Libye. Mais dès le départ, il a précisé que si le Canada est
interpelé, il répondra immédiatement à l’appel de Washington pour
participer à une guerre impérialiste en Afrique du Nord.