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WSWS : Nouvelles et analyses : Europe

Le cas de Fabien Engelmann en France: syndicaliste, néo-fasciste, ex-militant de LO et du NPA

Par Olivier Laurent
12 mars 2011

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La presse française a dernièrement révélé le cas d'un militant syndicaliste CGT, Fabien Engelmann, ayant passé près de 10 ans dans « l'extrême-gauche », d'abord à Lutte ouvrière (LO) puis au Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), qui se présentera aux prochaines élections cantonales sous la bannière du Front national. Contrairement aux affirmations de ces organisations, la trajectoire d'Engelmann n'est pas une aberration, mais la conséquence de leurs propres perspectives.

Engelmann, 31 ans, est ouvrier territorial à Nilvange, en Lorraine (Moselle), dans l'Est de la France. La mairie de Nilvange est tenue par le Parti socialiste (PS) depuis 1965. Cette ancienne région sidérurgique a perdu beaucoup d'emplois dans les années 80-90, avec la liquidation de la sidérurgie en grande partie orchestrée par les gouvernements socialistes successifs.

Il s'est rallié au FN en janvier dernier, après l'élection de Marine Le Pen à sa présidence, au motif que celle-ci aurait « dédiabolisé » le FN. En réalité, c'est tout le spectre politique et syndical français qui se rue vers la droite (Lire : Brassage médiatique autour de l’élection de Marine Le Pen à la tête du Front National).

Après que Le Figaro a fait un article sur lui le 24 janvier, la CGT a entamé une procédure d'expulsion décidée le 16 février contre toute sa section locale, qui le soutient massivement. Engelmann a annoncé qu'il ferait un procès à la CGT pour discrimination politique.

Le NPA a également publié une déclaration sur Engelmann, prétendant que c'est un cas « extrêmement rare ».

Ceci ne sont pourtant que des tentatives d'esquiver des questions politiques soulevées par l'affaire Engelmann. En fait, celle-ci a exposé de nettes affinités entre le FN, des couches de la bureaucratie syndicale, et ses soutiens parmi les partis politiques de « l'extrême gauche », tels LO et le NPA.

Contrairement aux affirmations de ces organisations, la trajectoire d'Engelmann est loin d’être un cas isolé. Nombre d'autres militants « de gauche » sont susceptibles de suivre son parcours. Interrogé par Libération, Baptiste Talbot, responsable de la fédération CGT de Moselle, a déclaré « Je ne serais pas étonné qu'il y ait d'autres cas d'ici les élections cantonales et présidentielles»

Engelmann, qui prétend que « des dizaines d'adhérents de la CGT soutenant ou ayant rejoint le FN vont faire leur coming out dans une ou deux semaines », est soutenu par la quasi-totalité des 26 adhérents de sa section.

Le secrétaire de la CGT Moselle, Denis Pesce, a déclaré à Libération que : « Ce que les militants nous font remonter des entreprises est inquiétant, notamment sur l'impact du discours "social" de Marine Le Pen auprès de certains salariés. Les gens ont moins peur d'en parler, et s'affichent désormais ouvertement» Le Républicain Lorrain cite un « responsable cégétiste » anonyme qui dit : « Dans notre section, les trois quarts des mecs votent Le Pen ou Sarkozy, et ils ne s’en cachent pas. »

Déjà en 2007, la CGT avait commandé un sondage qui révélait que 11 pour cent de ses adhérents avaient voté FN. Le Président du groupe Front national au conseil régional de Lorraine (et syndicaliste CFTC) Thierry Gourlot s'enorgueillit d'avoir au FN des militants « de toutes les organisations, dont certains y compris de la CGT détiennent des responsabilités. »

Chez les étudiants aussi, des cas de passage de la gauche radicale au FN sont mentionnés dans la presse. Par exemple, Vénussia Myrtil, étudiante en psychologie de 21 ans, passée par l'organisation de jeunesse de la LCR « pendant les manifs contre les réformes Darcos [pour] se battre contre les gros patrons et pour plus de justice sociale » puis sympathisante du NPA.

Elle est maintenant candidate du FN aux cantonales dans les Yvelines, justifiant son départ ainsi : « Leur côté internationaliste m'a gonflée. J’ai pas aimé non plus les prières en arabe dans la rue pendant les manifestations pro-palestiniennes. »

Les jeunesses du FN prétendent que deux mille jeunes auraient adhéré depuis la mi-janvier, dont « beaucoup » issus de la « gauche ou de l'extrême gauche ».

Loin de représenter un cas « rare » comme le prétend le NPA, l'exemple d'Engelmann soulève un phénomène de la plus grande importance pour la classe ouvrière: le basculement d'une couche importante des bureaucrates syndicaux et de "l'extrême-gauche" officielle vers le camp du néo-fascisme.

Des évolutions politiques comme celle d'Engelmann restent peu nombreuses à l'échelle de toute la population. Cependant, leur nombre indique que les organisations aussi bien syndicales que politiques « de gauche » ont toujours eu comme perspective celle du nationalisme économique, dont elles entretenaient l'espoir qu'il puisse plus ou moins améliorer la condition des travailleurs.

A présent, sous l'impact de la mondialisation et de la politique pro-capitaliste des partis de la « gauche » et de « l'extrême gauche » officielles, ces espoirs ont été abandonnés par de larges couches de la population. Les syndicats et « l'extrême gauche » ont cependant continué à cautionner la politique de la « gauche » bourgeoise.

Pendant des décennies ils ont étouffé toute lutte ouvrière risquant de produire une confrontation révolutionnaire entre le prolétariat et les partis bourgeois — de gauche ou de droite qui menaient une politique d'austérité sociale au gouvernement.

Ces organisations citaient souvent comme excuse la séparation (voulue par les règles de bienséance du républicanisme bourgeois français) entre les luttes ouvrières, supposément dirigées par les syndicats, et la vie politique. Cette conception du partage des tâches entre politique et syndicats est entretenue par le NPA et LO qui n'ont jamais voulu poser de revendications à la bureaucratie syndicale, au nom du « respect de l'indépendance syndicale ».

Ce principe est d'ailleurs reconnu par les militants syndicaux néo-fascistes autour d'Engelmann. Pour ceux-ci, la politique et le syndicalisme sont deux activités totalement autonomes. « Qu’il soit au FN ce n’est pas incompatible avec le syndicat. Ça n’a rien à voir. D’ailleurs en 2010, Fabien était sur les listes du NPA, ça n’a posé aucun problème », a déclaré l'un de ses collègues à L'Est républicain.

Alors que les tensions de classe flambent avec la crise économique mondiale — et que des luttes ouvrières révolutionnaires se déclarent en Egypte et à travers l'Afrique du Nordle caractère essentiellement nationaliste et anti-ouvrier de ces organisations pousse certains des leurs membres à assumer une coloration politique plus en phase avec leur activité sociale. Des militants comme Engelmann abandonnent donc les prétentions diffuses au « communisme » ou « l'anticapitalisme » de LO et du NPA, pour afficher directement l'idéologie classique du nationalisme anti-ouvrier : le fascisme.

Ces évènements constituent une confirmation puissante de la critique trotskyste des anciennes organisations de la classe ouvrière en France. Le fait que de tels militants soient passés par « l'extrême-gauche » souligne surtout le caractère droitier de ces partis, et le vide politique qui existe sur la gauche. Les circonstances plus larges de l'évolution politique d'Engelmann soulignent la banqueroute historique de la perspective visant à défendre les intérêts des travailleurs grâce à un programme national.

Les conséquences de la collaboration des organisations syndicales et de « l'extrême gauche » avec la « gauche » bourgeoise au pouvoir ont été désastreuses pour les travailleurs, et notamment ceux de la région lorraine où habite Engelmann. Peu après son élection en 1981, le Président socialiste François Mitterrand avait déclaré lors d'un passage en Lorraine : « Aucun poste de travail ne peut être supprimé dans la sidérurgie sans qu’un autre n’ait été créé auparavant dans un autre secteur. »

En février 1982, Mitterrand nationalisait toute la sidérurgie avec le soutien du PCF (qui défendait cette mesure depuis des années), et en indemnisant grassement les capitalistes. Ceci leur a permis d'abandonner l'industrie pour la finance dans des conditions confortables. Dès juin 1982, l’État annonçait 12.000 suppressions d’emplois, qui allaient être suivies de nombreuses autres non compensées.

Engelmann dit lui-même qu'il a « commencé à [s]'intéresser très jeune à la politique, en prenant conscience des inégalités sociales, en voyant tous ces ouvriers et salariés licenciés comme des malpropres alors que ce sont eux qui font tourner l'économie» Le ressentiment contre les immigrés, et particulièrement ceux des anciennes colonies françaises d'Afrique du Nord, a peut-être pu venir facilement à Engelmann, dont les grands-parents ont été rapatriés d'Algérie. Mais il était surtout entretenu par la gauche officielle.

Dans une interview récente, il cite en les approuvant des dirigeants historiques du PS et du PCF: « Nous n'avons ni l'obligation morale ni la possibilité d'accueillir toute la misère du monde, comme le disaient le socialiste Michel Rocard ou le communiste Georges Marchais, lequel, dans les années 80, réclamait l'arrêt de l'immigration 

Engelmann s'est engagé au côté de LO en 2001 parce qu'il « appréciait Arlette Laguiller pour son franc-parler et sa sincérité ». Il y est resté jusqu'en juin 2008. LO lui faisait suffisamment confiance pour le nommer candidat à plusieurs élections, dont les législatives de 2007 dans la circonscription de Longwy (Meurthe-et-Moselle), puis en tête de liste aux municipales de 2008 à Thionville (Moselle), où il avait recueilli 6,4 pour cent des suffrages.

À part la personnalité de Laguiller, son passage à LO était fondé sur des idées qui n’avaient rien à voir au marxisme, mais qui étaient nettement marquées à droite. Comme l’expliquait Engelmann : « je milite, depuis que je suis tout jeune, dans des associations de protection animale, car j'accorde beaucoup d'importance au respect de la vie, et j'avoue mon admiration pour Brigitte Bardot. »

Bardot, ex-star des années 1960 reconvertie dans une défense outrancière des animaux, est ouvertement de droite, mariée à un proche de Jean-Marie Le Pen. Elle est souvent poursuivie pour provocation à la discrimination raciale, pour ses déclarations sur l'abattage des moutons par les musulmans à l'occasion de l'Aïd el-Kebir.

Le soutien apporté par LO aux campagnes anti-islamiques de la bourgeoisie française sous couvert de « laïcité » — telle la loi de 2004 contre le port du voile islamique à l’école — a sans doute facilité l’appartenance d’Engelmann à LO, comme sa transition ensuite au FN.

Engelmann est par la suite passé au NPA en mai 2009, à cause du « côté assez fermé de LO et sa tendance à refuser l'association avec d'autres forces de gauche ». Il fut en seconde position sur la liste du NPA de Moselle aux régionales de 2010.

Le NPA est une création de l'ancienne LCR, qui cherchait à amalgamer toutes les contestations « anti-capitalistes » pour les canaliser en soutiens du PS, ou plus largement de l'ordre bourgeois.

Le parcours politique d'Engelmann souligne la justesse de l'analyse du NPA par le WSWS, qui a écrit lors du congrès fondateur du NPA en 2009, « Le choix par la LCR de l’anticapitalisme comme guide idéologique constitue […] un pas en arrière colossal et vers la droite, vers le plus petit dénominateur commun. Politiquement vague, ce terme englobe toutes sortes de mécontentements sociaux, indépendamment de leur base sociale ou de leur orientation. […] il recouvre tout ce qui se trouve entre l’anarchisme proposé par Pierre-Joseph Proudhon au milieu du dix-neuvième siècle et le violent mouvement protestataire populiste de droite de Pierre Poujade au milieu du vingtième siècle. » (lire : France : quelle est la nature du Nouveau Parti anticapitaliste formé par la LCR ? ).

Sa rupture avec le NPA s'est produite à l'occasion des élections régionales, où une section de ce parti présentait une candidate musulmane voilée.

Troublé par cet épisode, Engelmann, comme les trois quarts du comité de Thionville, a quitté le NPA, et s'est orienté vers la revue « Riposte laïque » (RL), créée par Pierre Cassen. Ex-militant du PCF, de la LCR et de la CGT, Cassen cite maintenant le populiste hollandais d’extrême droite Geert Wilders en exemple. 

RL prétend hypocritement lutter autant contre le catholicisme que contre l'islam. Dans un pays où prévaut largement un catholicisme institutionnalisé, ceci fournit un prétexte aux nationalistes pour dénigrer les populations venant de pays où l'islam est plus fort. Engelmann a commencé à publier des articles pour RL en novembre 2010, sans éveiller l'inquiétude de la CGT, ni aucune réaction de la part de LO et du NPA.

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