Les marchés boursiers japonais ont enregistré, suite au
séisme, au tsunami et à la catastrophe nucléaire de vendredi dernier, leur pire
chute depuis le krach mondial d’octobre 1987. Mardi, l’indice
Nikkei de la bourse de Tokyo a plongé de 10,5 pour cent – à un moment
donné même de 14 pour cent – en faisant passer le déclin total sur trois
jours à plus de 18 pour cent. Avec l’ouverture de la bourse mercredi, il
y a eu une légère reprise avec l’indice gagnant plus de 6 pour cent.
La dégringolade de mardi est survenue bien que la Banque
du Japon ait injecté lundi 183 milliards de dollars dans les marchés
financiers, une opération record pour une seule journée.
Les banques ont été les plus durement touchées par les
ventes massives, en raison de leurs considérables investissements dans les
valeurs industrielles. Mitsubishi MUFJ, le plus gros créancier du pays en
termes de valeur de marché, et Mizuho Financial Group, ont reculé de 20 pour
cent dans la journée. Sumitomo Mitsui Financial Group, la deuxième plus grande
banque, a chuté de 17 pour cent, son plus fort déclin depuis qu’elle a
démarré son activité de négoce en 2002.
Des ventes massives d’actions ont eu lieu partout
dans le monde par crainte de l’extension des implications économiques et
financières de la crise japonaise. Alors que la région Asie-Pacifique était la
plus durement touchée – le marché australien a chuté de plus de 2 pour
cent – il y a eu des dégringolades en Europe, où l’indice allemand
a plongé de plus de 3 pour cent, et le Dow Jones américain a cédé 1,37 pour
cent.
Il y a deux causes principales pour les pertes:
l’aggravation de la crise des centrales nucléaires de Fukushima où, en
dépit des affirmations officielles, la situation continue d’empirer en
menaçant la propagation radioactive bien au-delà du rayon de 20 km de la zone
d'évacuation actuellement mise en place ; et des inquiétudes concernant
les coûts de reconstruction et leurs implications pour les finances japonaises.
Si la crise nucléaire n’est pas maîtrisée, et si les
retombées radioactives atteignent Tokyo et sa région industrielle environnante,
l’impact sera catastrophique. Hier, les gestionnaires des fonds de
Deutsche Bank ont dit à leurs clients que « dans le pire des scénarios
nous devons présumer qu’une superficie représentant plus de 40 pour cent
du BIP japonais pourrait être touchée. »
Des coupures d’électricité imposées partout dans le
pays ont déjà occasionné un ralentissement significatif de la production. De
gros groupes, dont Sony, Toyota, Honda et Mazda ont annoncé des réductions.
Mazda a dit vouloir arrêter sa production jusqu’au 20 mars et ce en dépit
du fait que ses usines se trouvent dans l’Ouest du pays.
La compagnie Tokyo Power and Electric (Tepco),
l’exploitante des réacteurs nucléaires touchés qui est le premier
producteur d’électricité du Japon, a dit que les coupures d’énergie
se poursuivront au moins jusqu’à fin avril. Mais, compte tenu de la
longue tradition de cacher la vérité et de carrément falsifier des documents,
il y a eu des avertissements qu’il pourrait s’agir d’une
sous-estimation significative et que les coupures de courant pourraient se
poursuivre jusqu’à la fin de l’année.
En plus de l’impact immédiat de la crise de la
production, il y a des inquiétudes que les coûts de reconstruction pourraient
s’avérer être un « point de basculement » pour le système
financier japonais.
Avant même que la catastrophe ne survienne, la dette
publique représentait 12,2 mille milliards de dollars, ce qui équivaut à plus
de 220 pour cent du Produit intérieur brut (PIB) du Japon et à environ 20 fois
les recettes annuelles du gouvernement à hauteur de 587 milliards de dollars.
En janvier dernier, l’agence de notation Standard
and Poor’s a dégradé la note de la dette japonaise en disant que le
gouvernement manquait d’une stratégie cohérente pour faire face à ses
problèmes fiscaux croissants. Moody’s a menacé de
prendre la même mesure.
Jusque-là, le gouvernement japonais a été en mesure de
financer sa dette qui ne cesse de grimper en recourant à des crédits intérieurs
issus de banques japonaises, de compagnies d’assurance et de fonds de
pension qui réunissent leurs dépôts bancaires pour les investir dans des
obligations d’Etat leur rapportant environ 1,5 pour cent d’intérêt.
Mais, l’augmentation de la dette ne peut pas se poursuivre indéfiniment
dans des conditions où la population, non seulement vieillit mais diminue, et
où les Japonais plus âgés percevront leurs fonds de pension au lieu d’y
investir.
Dans ce contexte, la levée de fonds pour la reconstruction
qui, évaluée à ce stade entre 2 et 10 pour cent du BIP, pourrait entraîner une
crise financière en obligeant le gouvernement soit à augmenter les taux
d’intérêt soit à ordonner à la banque centrale d’imprimer de
l’argent en rachetant les obligations de l’Etat.
L’on craint également dans les milieux financiers
que le gouvernement pourrait être contraint de vendre ses bons du Trésor
américain pour financer la reconstruction. Une telle démarche entraînerait une
baisse du prix des obligations américaines et une hausse des taux
d’intérêt sur les marchés. Le Japon est le deuxième investisseur en bons
du Trésor américains, détenant 882 milliards de dollars fin 2010 contre 1,16
mille milliards pour la Chine.
Le secrétaire au Trésor des Etats-Unis, Timothy Geithner,
s’est empressé de minimiser toute suggestion de vente de bons du Trésor
américains. « Le Japon est un pays très riche avec un taux d’épargne
très élevé, » a-t-il dit. Il a « la capacité de gérer non seulement
le défi humanitaire mais aussi le défi de reconstruction auquel il va être
confronté. »
Cependant, malgré les assurances de Geithner, un mouvement
de retrait des avoirs japonais des marchés américains est déjà en cours, vu que
les compagnies d’assurance du pays rapatrient des fonds pour pouvoir faire
face aux déclarations de sinistre. Ceci a débouché sur la situation apparemment
perverse qu’en dépit de l’ampleur de la crise du séisme, la valeur
du yen, qui est déjà jugée être surévaluée, a augmenté par rapport au dollar au
lieu de baisser sur les marchés financiers.