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WSWS : Nouvelles et analyses : Etats-Unis

Le New York Times et le tueur de la CIA, Raymond Davis

Par Barry Grey
4 mars 2011

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Dimanche, le New York Times a publié une chronique écrite par son rédacteur au courrier, Arthur S. Brisbane, qui défendait la décision du journal de ne pas divulguer, sous l’ordre de l’administration Obama, le fait que le tueur de la CIA, Raymond Davis, soit un employé de l’agence américaine d’espionnage.

Peu importe les intentions de Brisbane, la chronique est une autocondamnation, montrant que le journal libéral de référence n’a pas de sens des responsabilités envers la démocratie ou de fidélité envers les principes journalistiques de base. Cela fait ressortir son rôle comme quasi-organe de propagande d'État.

Le 27 janvier, Davis, un ancien soldat des forces spéciales américaines et mercenaire pour Xe Services (auparavant Blackwater), a tiré en plein jour sur deux jeunes Pakistanais, les tuant alors qu’il roulait dans un marché bondé de Lahore. D’autres agents de la CIA, qui se sont rués sur les lieux afin d’empêcher les responsables pakistanais d’arrêter Davis, ont frappé un troisième homme avec véhicule et se sont enfuis, laissant leur victime mourrir dans la rue.

Le jour suivant, les autorités pakistanaises ont arrêté Davis et l’ont accusé de meurtre et de port d’arme sans autorisation. Le gouvernement américain a exigé, et continue d'exiger, la libération de Davis aux mains de responsables américains sur la base qu’il est un responsable de l’ambassade américaine à Islamabad et qu’il jouit de l’immunité diplomatique. L’administration Obama a nié les accusations faites par les responsables pakistanais selon lesquelles Davis est un agent de la CIA.

L’opinion publique pakistanaise a été outrée par les meurtres et la réaction des États-Unis, ce qui a déclenché des protestations, qui sont toujours en cours, à Lahore et ailleurs dans le pays.

Même si le Times était au courant des liens de Davis avec la CIA, il ne les a pas seulement cachés dans le cadre de ses reportages, il a répondu favorablement à la demande du département d’État de ne pas rapporter les accusations pakistanaises concernant les liens de Davis avec la CIA. C’est seulement après que le Guardian, un journal britannique, a publié un article le 20 février sur les liens de Davis avec la CIA que le Times, le jour suivant, a reconnu le fait.

Dans l’histoire relatée par le Times le 21 février, qui explique que les activités de Davis faisaient partie d’une opération d’espionnage en développement menée par la CIA, le journal a rapporté qu’il n’avait pas divulgué l’information sur les liens entre Davis et la CIA à la demande du gouvernement américain.

La chronique de Brisbane du 27 février débute en citant des extraits de lettres de trois lecteurs dénonçant le Times pour sa collusion avec le gouvernement dans le but de cacher la vérité. « Encore une fois », est-il écrit dans une des lettres, « le New York Times a prouvé qu’il était un pion dévoué du ministère de la propagande du gouvernement. »

Le rédacteur au courrier montre clairement qu’il écrit en réponse à une effusion de colère concernant l’autocensure du journal, mentionnant qu’elle a « causé une réaction puissante, certaines des lettres étant aussi farouchement critiques que les commentaires de ces lecteurs. »

En fait, le Times n’a pas de crédibilité parmi ceux qui suivent les développements internationaux. Les lecteurs informés ne peuvent qu'assumer que ce qui est publié a été autorisé par le département d’État, le Pentagone et les agences du renseignement.

Brisbane raconte que le 8 février, le porte-parole du département d'État, P.J. Crowley, a contacté le Times. Selon lui, le rédacteur en chef Bill Keller aurait dit : « Il nous demandait de ne pas reprendre les accusations publiées dans la presse pakistanaise ou de ne pas spéculer sur elles. Il était inquiet que les trois lettres C,I et A dans un article du New York Times, même dans le cadre de suppositions, fassent officiel et déclenchent une réaction en chaîne au Pakistan. »

Keller n'est aucunement gêné de reconnaître travailler au nom du gouvernement pour gérer et filtrer le flot d'information qui rejoindra le public.

 « M. Crowley m'a dit que les États-Unis s'inquiétaient de la sécurité de M. Davis, en détention au Pakistan », écrit Brisbane. L'apparente préoccupation pour les agents et les sources des services du renseignement est devenue un prétexte fourre-tout pour supprimer l'information que le gouvernement souhaite taire à la population. C'est ce prétexte qui a été utilisé par le New York Times, ainsi que la plupart des médias américains, en diabolisant WikiLeaks et son cofondateur Julian Assange.

C'est une excuse générale commode pour masquer les activités des services du renseignement et des forces secrètes des États-Unis, car, par la nature même de leurs activités, ces gens mettent leur vie en danger. En prenant la responsabilité de leur sécurité, le Times devient leur complice, jouant, on pourrait dire, le rôle du chauffeur journalistique de ces criminels en fuite.

Après avoir noté que d'autres grandes organisations médiatiques, comme Associated Press et le Washington Post, avaient aussi accédé aux demandes du gouvernement de masquer les liens de Davis avec la CIA, Brisbane reconnaît que même après les révélations faites par le Guardian, le Times s'est conformé à une demande du département d'État de repousser d'une journée la publication de son propre article.

Après avoir présenté cette sordide histoire, Brisbane écrit : « Bien que ce soit extrêmement dur à avaler, je crois que le Times a fait la seule chose qui était possible. »

Il tente ensuite de présenter, de façon sophistique et semi-cohérente, la supposée tension qui existe entre révéler des secrets gouvernementaux et « sauver des vies ». En répétant, sans se poser de question, la ligne du gouvernement sur la mise en péril de la sécurité de Davis, Brisbane et le Times montrent qu'ils soutiennent les opérations des services du renseignement américains à travers le monde — opérations qui visent toutes à défendre les intérêts de l'élite patronale et financière des États-Unis et à appuyer des régimes satellites répressifs.

L'ampleur de l'indifférence envers le sort des masses qui souffrent des prédations des despotes à la solde des États-Unis ou directement aux mains de l'armée américaine, comme au Pakistan, est saisissante. Tandis qu'il s'inquiète pour la sécurité d'un tueur professionnel, Brisbane semble accorder peu ou pas d'importance aux vies de Pakistanais ordinaires — ou à celles des Irakiens, des Afghans, des Yéménites, etc.

Il ne lui vient jamais à l'esprit de considérer combien de vies pakistanaises seront perdues si on accorde à des assassins de la CIA comme Davis le droit de tuer en toute impunité.

Brisbane cite d'un ton approbateur l'auteur et rédacteur adjoint du Washington Post Bob Woodward qui, bien qu'il mentionne que l'affaire Davis soit seulement que la « “pointe de l'iceberg” d'une guerre secrète intensive que mènent les États-Unis dans la région », termine en disant que « personne ne souhaite que quelqu'un se fasse tuer » et déclare, « les considérations humanitaires d'abord, le journalisme ensuite ».

Comme si la campagne du gouvernement américain pour libérer Davis, dont le procès pourrait fournir un témoignage explosif à propos des conspirations et des provocations américaines au Pakistan et ailleurs, était un effort humanitaire!

Brisbane admet ensuite que la suppression des connexions de Davis avec la CIA par le Times a nécessairement conduit à une couverture inexacte et trompeuse. Il écrit: «Depuis près de deux semaines, le Times a tenté de faire rapport sur l'affaire Davis tout en effaçant la connexion avec la CIA. Dans la pratique, cela signifiait que ses articles contenaient du matériel qui, avec le regard froid de la rétrospection, semble fort trompeur ».

Brisbane cite même le président du département de journalisme au collège Emerson, Ted Gup, qui explique que la suppression des connexions de Davis  avec la CIA implique une falsification fondamentale parce que cette question est au cœur des questions juridiques et politiques qui entourent l'affaire. « Dans ce cas, dit Gup, son affiliation pourrait aider à expliquer ce qui s'est passé. En d'autres termes, vous ne pouvez pas être en mesure de raconter cette histoire sans l'identifier comme faisant partie de l'agence ou travaillant pour elle ».

Donc, même du point de vue de la pure éthique journalistique, en laissant de côté les considérations politiques ou morales, le Times reconnaît qu'il a violé toute fidélité à l'objectivité et s’est engagé dans la désinformation du public, à la demande de l'État. Il ne peut y avoir plus claire définition d'une presse contrôlée, sauf qu’aux États-Unis la contrainte de l'État n'est pas nécessaire. Les médias de l'establishment se considèrent comme un instrument du gouvernement et se censurent eux-mêmes volontiers.

 « Comment une agence de nouvelles peut-elle maintenir sa crédibilité quand les lecteurs apprennent plus tard qu'elle a caché ce qu'elle sait? » Brisbane demande. Comment, en effet !

Brisbane passe sans heurts de ce dilemme à une réaffirmation de la justesse du Times d’avoir supprimé des faits. Il cite le chef de bureau du journal à Washington, Dean Baquet, en disant: « Je dirais que, compte tenu de la limitation [seulement une simple limitation !], nous avons fait de notre mieux pour n’induire personne en erreur... Je ne regrette pas la décision d’avoir cacher la véritable identité de Brisbane. Ces questions ne sont pas faciles. »

Certaines questions sont peut-être difficiles à résoudre, mais le Times a beaucoup d'expérience dans le domaine, dans la mesure où il vérifie régulièrement ses reportages avec le gouvernement et supprime des histoires allant de l'espionnage intérieur aux crimes de guerre américains à travers le monde.

Brisbane conclut que « d'avoir gérer l'affaire [l'histoire de Davis] autrement aurait été tout simplement irresponsable. J'appellerais cela une situation sans issue positive, qui reflète les limites d'un journalisme responsable dans le monde de la guerre secrète ».

Responsable envers qui? Certainement pas envers la population des États-Unis ou du monde. Avec cette tentative cynique d'autojustification, le Times vient seulement clarifier qu’il est, avec le reste de la presse de l’establishment,  responsable envers la classe capitaliste américaine et son État.

 (Article original anglais paru le 2 mars)

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