Il est peu probable que le gouvernement du Parti socialiste
ouvrier (PSOE) dirigé par le premier ministre José Luis Zapatero n'atteigne les
objectifs négociés avec l'Union européenne pour réduire le déficit public des
9,2 pour cent du produit intérieur brut (PIB) qu'il était en 2010, à
6,0 pour cent d'ici la fin de l'année, puis à 3,0 pour cent en 2013.
La croissance économique a ralenti et le chômage a explosé,
faisant craindre que la quatrième économie de la zone euro soit en danger d'une
crise de la dette à pleine échelle qui précipitera un renflouement,
« contaminant » encore plus la région et faisant voler en éclat la
zone euro.
Dans une tentative pour apaiser l'UE et les marchés financiers, le
sous-ministre des Finances, José Manuel López Carbajo, a insisté la semaine
dernière que le gouvernement allait atteindre l'objectif de 6 pour cent en
fin d'année. Il a déclaré qu'une baisse de 17 pour cent du déficit
budgétaire du gouvernement central, répartie sur les neuf premiers mois de
l'année, conjuguée à une possible augmentation des recettes fiscales et un
surplus dans la caisse de sécurité sociale (en raison de compressions exercées
dans les retraites), signifiait que le gouvernement était sur la bonne voie.
Les économistes contestent toutefois les conclusions de Carbajo, soutenant
que les recettes fiscales étaient en réalité en baisse, alors que le coût
d'emprunt était en hausse, de même que les dépenses en matière de sécurité
sociale à cause du chômage. Les régions fortement endettées et les
municipalités responsables d'une partie substantielle du déficit ne sont
également pas parvenues à réduire leurs dépenses.
L'agence de notation Moody prévoit que le déficit budgétaire de l'Espagne
sera de 6,5 pour cent en 2011. Ce fait, conjugué à la vulnérabilité du
pays face à une autre « escalade de la crise de la zone euro » et à
la faible croissance, est la raison avancée par Moody pour avoir procédé à la
mi-octobre à une nouvelle baisse de la notation de l'Espagne.
Ludovic Subran, économiste en chef de la société spécialisée
en assurance-crédit Euler Hermes SA, a déclaré : « Ils n'y
arriveront jamais... Nos prévisions en septembre annonçaient un déficit pour
l'Espagne correspondant à 7 pour cent de son PIB pour cette année. »
Subran ajoute que cette prédiction a été faite avant que la cote de crédit
de l'Espagne ne soit réduite en octobre. Selon l'économiste Guillaume Menuet de
la Citibank, il y avait « un grand point d'interrogation » quant à
savoir si l'Espagne parviendrait à atteindre son objectif de 6 pour cent,
ce chiffre pouvant très bien être aussi haut que de 8,1 pour cent en fin
d'année.
Le stratégiste Harvinder Sian de la Royal Bank of Scotland a expliqué
quelles seraient les implications si jamais l'Espagne n'atteignait pas son
objectif de 6 pour cent : « Ne pas atteindre l'objectif de
réduction du déficit détruirait la demande du secteur privé pour vos actions...
Voir des chiffres aussi gros que 7 pour cent serait très problématique. »
Pour aggraver les choses, l'économie espagnole a ralenti au deuxième
trimestre de cette année (avril-juin), connaissant une expansion de seulement
0,2 pour cent, après avoir augmenté de 0,4 pour cent au premier
trimestre. Le gouvernement s'attend à ce que la croissance trimestrielle reste
à 0,2 pour cent pour le reste de 2011, et admet qu'il n'atteindra sans
doute pas son estimation d'une croissance de 1,3 pour cent pour 2011. Ses
prévisions pour la dette, correspondant actuellement à 61 pour cent du PIB
(600 milliards d'euros, ou 840 milliards de dollars), augmenteront à 67 pour
cent en fin d'année, c'est-à-dire presque le double du niveau de 2007.
Les banques espagnoles ont du mal à recapitaliser et se sont fait dire de
renforcer leurs réserves de devises de premier choix pour une deuxième fois
cette année pour un montant de17 milliards d'euros (24 milliards de dollars).
Elles sont désormais tenues de détenir 9 pour cent du capital de base en
raison de la crise de la dette souveraine, qui a entraîné des compressions de
3 pour cent dans les obligations espagnoles, ainsi que des quotités sur
les prêts à la Grèce. Les banques disent qu'elles ne demanderont pas de sommes
d'argent à la Banque d'Espagne, mais qu'elles augmenteront les réserves en
utilisant les profits et « l'optimisation des actifs pondérés » -
c'est-à-dire en changeant les calculs de telle sorte que des investissements
risqués sembleront moins risqués!
Les dernières données montrent que les produits fabriqués en Espagne sont de
moins en moins compétitifs. Les prix des biens à la sortie des usines, des
mines et des raffineries espagnoles ont augmenté de 7,1 pour cent en un an
et devraient grimper de 7,3 pour cent en fin d'année, ce qui est beaucoup
plus rapide que la moyenne de la zone euro qui est de 5,9 pour cent.
Le chômage a augmenté à 21,2 pour cent, le taux le plus
haut de toute l'Union européenne - correspondant à 5 millions de personnes sans
travail. Un an avant le krach économique de 2008, ce chiffre était de 8,3 pour
cent.
L'économiste Raj Badiani de Global Insight, a déclaré :
« L'absence de création d'emplois est susceptible de persister bien après
2012. Les mesures d'austérité entraînent des diminutions d'emplois dans le
secteur public, tandis que le nombre d'emplois dans le secteur privé devrait
chuter bien en deçà du nécessaire pour assurer une relève. »
L'itinérance et la pauvreté ont bondi de façon fulgurante. Ce développement
vient s'ajouter aux mesures d'austérité telles que l'augmentation de l'age de
la retraite à 67 ans, des réductions de salaire pour les employés du
gouvernement atteignant jusqu'à 10 pour cent et des réformes des lois du
travail qui ont rendu plus facile le licenciement des travailleurs moyennant
une compensation très réduite et leur remplacement par des travailleurs
occasionnels.
Bien que les conditions sociales empirent partout, ce sont les personnes les
plus vulnérables qui souffrent le plus. Selon un récent rapport publié par
l'UNICEF et la Fondation Pere Tarrés, un enfant sur quatre en Espagne vit dans
la pauvreté. Parmi les travailleurs migrants, le taux de pauvreté touche un
enfant sur trois, et parmi les familles monoparentales, il est de plus de la
moitié. Les chiffres pour l'extrême pauvreté des enfants, où tous les membres
de la famille vivent avec un euro par jour, atteignent maintenant 15,6 pour
cent parmi les enfants issus de familles de travailleurs migrants, et de
6 pour cent pour les enfants d'origine espagnole.
La moitié des jeunes espagnols en âge de travailler sont au chômage, et des
tas d'autres sont incapables d'accéder à l'enseignement supérieur ou de vivre
de façon indépendante. De plus en plus de jeunes sont contraints de continuer à
vivre avec leurs parents ou chez des proches.
Le nombre de poursuites déposées pour expulsion a augmenté
de 36 pour cent au premier trimestre de cette année, et de 21,2 pour
cent de plus au deuxième trimestre.
Le gouvernement exige maintenant que les 17 régions autonomes alignent leurs
budgets en conformité avec les mesures d'austérité prises par le gouvernement
central afin d'atteindre un objectif de déficit pour cette année correspondant
à 1,3 pour cent du PIB.
Une pression supplémentaire vient des marchés financiers, avec le
déclassement fin octobre par Moody des régions de la Catalogne, de
l'Andalousie, de Valence, de Murcie, de Castille-Leon, d'Estrémadure, de
Madrid, de Galice et du Pays Basque. La région de Castille-La Mancha a baissé
de cinq crans, atteignant la cote d'indésirable et restant toujours menacée de
subir un déclassement supplémentaire. « Le financement d'importants
besoins, parallèlement à un accès limité aux sources de financement à long
terme, a forcé les régions à épuiser leurs réserves de trésorerie, faisant
largement appel à des lignes de crédit à court terme et à un élargissement de
leurs dettes commerciales », déclare Moody.
Les régions contrôlent environ un tiers des dépenses nationales, et elles
assument la responsabilité principale en matière de santé et d'éducation. Donc
les compressions s'avéreront catastrophiques.
En Catalogne, la deuxième plus grande région de l'Espagne en termes de
population et la plus grande économie régionale, les élections de mai ont vu le
gouvernement régional (Generalitat) passer entre les mains du parti
(Convergencia y Unio) CiU nationaliste de droite.
De nombreux hôpitaux ont été contraints de réduire le nombre
de lits, de fermer des salles d'opération et d'arrêter d'employer du personnel
temporaire (sans toutefois augmenter le personnel permanent). Le gouvernement
envisage également de réduire les salaires de 40 000 travailleurs de la santé
et de réduire de moitié leur prime de Noël. Les médecins ont reçu des
instructions pour accélérer les sorties des hôpitaux et limiter le nombre de
tests médicaux. La moitié des services de consultation externe 24 heures seront
fermés la nuit, et environ 40 seront fermés durant l'été. Ces fermetures
affecteront les unités de soins intensifs. Huit des plus grands hôpitaux
fonctionnent en service minimum cinq jours par semaine jusqu'à la fin de
l'année, et on prévoit continuer d'étendre ce régime l'année prochaine. Le
nombre de personnes en attente d'opérations a augmenté de 23 pour cent. La
Generalitat étudie également le fractionnement des services de santé en
sociétés distinctes qui pourraient être vendues à des investisseurs privés.
La Generalitat a réduit de moitié ses paiements aux foyers pour personnes
âgées et handicapées. Les subventions ont considérablement été réduites dans
les universités publiques et les arts. Les travaux sur de nouvelles lignes de
métro ont été reportés et des avantages sociaux pour les enfants de moins de
trois ans ont été annulés.
D'autres régions font ou envisagent de faire des compressions drastiques
dans leurs dépenses. En Castille-La Mancha, le gouvernement du Parti populaire
(PP) régional de droite, a lancé un « plan d'urgence » pour réduire
son budget de 20 pour cent. La région devrait avoir une dette de 3,1
milliards d'euros (4,3 milliards de dollars) à la fin de 2011, ce qui équivaut
à 59 pour cent de son revenu.
La présidente de Castille-La Mancha, Maria Dolores de Cospedal, qui a accusé
le précédent gouvernement du PSOE de couvrir le véritable état du déficit, a
promis de réduire le déficit à 1,3 pour cent de son PIB en 2012, des
6,5 pour cent qu'il était l'année dernière. Les mesures en Castille-La
Mancha comprennent une réduction des effectifs des enseignants du secondaire de
1 000 enseignants, la réduction des 34 centres de formation actuels pour
les enseignants à seulement 1, la vente de certains hôpitaux, de même que la
fin du versement de 400 euros par mois à 32 000 veuves et des transports à
bon marché pour les gens âgés de plus de 60 ans. Le recrutement a été gelé dans
le secteur public, et il y a une interdiction de recrutement de tout personnel
temporaire.
À Madrid, où le PP est au pouvoir depuis 2003, le gouvernement régional a
augmenté de deux heures le temps d'enseignement, ce qui a entraîné la perte de
1 000 emplois d'enseignants suppléants, et des enseignants doivent
maintenant enseigner des matières pour lesquelles ils ne sont pas formés. Les
subventions pour les arts ont été réduites, et 219 bibliothèques ont cessé la
tenue d'ateliers et autres activités.
En Estrémadure, où le PP a pris le pouvoir suite à l'abstention de la Gauche
unie, le nouveau leader José Antonio Monago a annoncé qu'il fermera la moitié
de tous les organismes publics afin de réduire le budget de jusqu'à 20 pour
cent. La région de Galice a cessé de fournir des livres scolaires gratuits et
privatise maintenant des hôpitaux, ferme des salles de théâtre et suspend la
couverture d'assurance des 30 000 marins et conchyliculteurs. En Murcie, les prestations
pour les personnes à charge, les travailleurs migrants et les étudiants ont été
réduites de 30 pour cent, et le gouvernement régional prévoit de réduire
les prescriptions.
Le gouvernement de Valence menace l'existence de 62 conservatoires de
musique, proposant de réduire leur nombre de plus de la moitié. Quelque 1 200 emplois pourraient être perdus et l'enseignement
musical de 8 500 étudiants prendre fin.
Ce ne sont là que quelques exemples des attaques massives qui ont lieu
contre le niveau de vie des Espagnols. Et pourtant, celles-ci ne sont toujours
pas jugées suffisantes par les banques et les investisseurs internationaux.
Leurs représentants au sein des gouvernements aboient pour en obtenir plus, la
chancelière allemande Angela Merkel ayant déclaré « L'Espagne a certes
déjà fait beaucoup, mais elle devra probablement en faire plus encore pour
regagner la confiance des marchés. »
Peu importe quel parti remportera le scrutin général du 20 novembre, il fera
tout ce que les institutions financières exigent de lui. Au début de septembre,
le PP s'est abstenu pour permettre un changement sans précédent dans la
constitution espagnole par le PSOE, à savoir l'imposition d'un plafond sur les
déficits des dépenses publiques pour tous les futurs gouvernements. Cette
modification a été adoptée en l'espace de seulement deux semaines. Le dirigeant
du PP, Mariano Rajoy, qui, selon les sondages, devrait remporter une majorité
absolue lors des élections, déclare maintenant que son parti prendra des
mesures similaires au niveau national en ce qui a trait aux politiques menées
par le numéro deux de son parti officiel, de Cospedal, en Castille-La Mancha.
Des politiques qui ne peuvent déjà être décrites que s'apparentant à celle de
la terre brûlée. « Nous allons devoir prendre de nombreuses mesures
immédiatement. D'autres seront prises tout au long des quatre prochaines
années, mais beaucoup seront prises dans les 100 premiers jours », a-t-il
dit.