Juste trois jours après avoir gagné un vote de confiance au parlement, le
Premier ministre grec George Papandreou quitte le pouvoir et un gouvernement
"d'union nationale" va être formé, associant le PASOK de Papandreou et le
principal parti de l'opposition conservatrice, Nouvelle Démocratie.
L'unique raison d'être de ce nouveau gouvernement est d'imposer au peuple
grec des mesures d'austérité brutales. Les spéculateurs internationaux,
l'Union européenne et Washington ont décidé que Papandreou était maintenant
incapable de les mettre en œuvre.
Papandreou était confronté à une opposition populaire massive aux mesures
attachées à la dernière tranche de prêts de la troïka, constituée par l'UE,
le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne. Ces
mesures incluent l'abaissement de 12 000 € à 5 000 € du seuil d'impôt sur le
revenu, le relèvement de la TVA et de l'âge de départ à la retraite,
parallèlement à l'abaissement des pensions jusqu'à 40%, et la diminution des
salaires de 30%, et de nouvelles suppressions d'emplois. L'opposition de
masse a culminé dans une grève générale de deux jours les 19 et 20 octobre
qui a donné lieu aux plus grandes manifestations depuis la chute de la junte
militaire en 1974.
Cherchant à forcer les partis d'opposition et les syndicats à abandonner
leur opposition de façade et à créer un rassemblement derrière un effort
national pour imposer l'austérité, Papandreou a annoncé son intention de
tenir un référendum sur cette question. L'élite financière a répondu par la
pire baisse sur les marchés mondiaux depuis 2008, pendant que les cercles
dirigeants à Berlin et à Paris décidaient que Papandreou s'était montré par
trop irrésolu.
Même après qu’il eut abandonné sa proposition de référendum, la
Chancelière allemande Angela Merkel et le Président français Nicolas Sarkozy
ont dit à Papandreou qu’il devait quitter le pouvoir.
Le vote de confiance passé dans la soirée de vendredi avait pour but
d'empêcher la demande par Nouvelle Démocratie d’élections anticipées, qui
auraient été un obstacle à la ratification des mesures d'austérité.
Papandreou a passé les jours suivants à demander que le dirigeant de
Nouvelle Démocratie, Antonis Samaras, donne son accord au programme
d’austérité et accepte un gouvernement d’union nationale avec le PASOK. Dans
le cas contraire, le PASOK aurait dû compter sur des tentatives de rallier
un certain nombre de petits partis pour lui donner une plus large majorité.
Cela s'avérait difficile, compte tenu de ce que les principaux partis de la
pseudo gauche, Syriza et le Parti communiste grec, avaient refusé les
ouvertures précédentes du PASOK, craignant un suicide politique.
Le marchandage a continué lundi sur la question de savoir qui aller mener
le gouvernement et quels postes seraient attribués à Nouvelle Démocratie.
Dans la soirée, les deux partis ont annoncé qu'ils avaient atteint un accord
pour un nouveau Premier ministre et un cabinet, qui devrait être annoncé
mercredi 9. Le résultat le plus probable sera la "dream-team", l'équipe de
rêve, qui est réclamée par Bruxelles et Washington.
Nouvelle Démocratie a accepté que le Ministre des finances du PASOK,
Evangelos Venizelos, conserve son poste "comme garant de la continuité."
Venizelos a fortement soutenu les termes des exigences de l'UE et est monté
au créneau pour s’opposer au projet de référendum de Papandreou et exiger sa
démission.
Le favori pour le remplacement de Papandreou est Lucas Papademos, qui a
été gouverneur de la Banque de Grèce d'octobre 1994 à mai 2004 puis
vice-président de la BCE.
Sa candidature est une indication du degré d'implication de Washington en
coulisses, en particulier par l’intermédiaire du FMI. Actuellement en poste
en tant que professeur associé de politique publique à la Kennedy School of
Government de l'Université de Harvard, Papademos est diplômé de l'Institut
de Technologie du Massachusetts. Il a aussi enseigné à l'Université de
Columbia avant de servir pendant cinq ans comme économiste en chef à la
Banque de réserve fédérale de Boston.
Les deux hommes seront probablement à la tête d'une "coalition des 100
jours" qui approuvera le budget de 2012 du PASOK et ratifiera l'accord avec
la troïka avant que les réserves financières gouvernementales grecques ne
soient entièrement épuisées vers le 15 décembre. C’est seulement alors,
peut-être le 19 février, que se tiendront les élections.
Le Financial Times, principal journal d'affaires européen, a
clairement souligné à quel point l'élite financière avait déterminé le cours
des événements.
"Il est maintenant essentiel que les politiciens grecs enterrent leurs
différences, ne serait-ce que pour quelques mois, et soutiennent le dernier
plan de sauvetage en date de l'Union européenne", écrivait le FT dans son
principal éditorial de lundi ("la Grèce, la démocratie et l'eurozone").
Papandreou n'étant "plus en mesure" de garantir un tel résultat, alors
"la meilleure solution de remplacement serait celle d’un gouvernement de
coalition, organisé autour des deux partis du centre de la vie politique",
le PASOK et Nouvelle Démocratie.
Démontrant son mépris complet pour la démocratie, le FT écrit, "Il est
vrai qu’à un moment donné, il faudra que les Grecs ordinaires aient leur mot
à dire sur l'état critique actuel du pays. Mais maintenant, avec un plan de
sauvetage comme enjeu, ce n’est vraiment pas le moment de se tourner vers
les électeurs." Autrement dit, les gens auront "leur mot à dire", mais
seulement après que toutes les décisions importantes auront été prises.
Le but du gouvernement national est ainsi rendu aussi clair que
possible : empêcher une élection ou n'importe quelle autre possibilité qui
ferait que les plans de l'oligarchie financière puissent être contrariés par
l'opposition populaire.
En cela, on ne peut voir la Grèce que comme un acompte de ce qui attend
les autres pays partout en Europe et dans le monde entier.
Le 4 novembre, le Financial Times a identifié la cible suivante
pour le changement de régime. "Pour l'amour du ciel, partez !" a-t-il
proclamé dans un autre éditorial, cette fois adressé au dirigeant italien
Silvio Berlusconi.
Selon le FT, "Les similarités entre les deux Premiers ministres [Papandreou
et Berlusconi] sont frappantes : les deux hommes comptent sur une majorité
parlementaire étroite et qui se rétrécit et tous deux se disputent avec leur
propre Ministre des finances. Et ce qui est le plus important, ils ont tous
les deux une tendance dangereuse à revenir sur leurs promesses à un moment
où les marchés s'inquiètent pour les finances publiques de leur pays".
"Après deux décennies de mise en scène personnelle inefficace, les seules
paroles à adresser à M. Berlusconi font écho à celles utilisés une fois par
Oliver Cromwell. "Pour l'amour du ciel, de l'Italie et de l'Europe, partez
!"
L'analogie historique choisie est révélatrice. Le Financial Times
ne le mentionne pas, mais l'injonction de Cromwell au Rump parliament
(Parlement croupion) de 1653 devait, en quelques mois, se terminer par
l'établissement de sa dictature personnelle comme Lord Protector.
Avec en arrière-plan de nouvelles baisses des bourses au niveau mondial,
le coût des emprunts obligatoires à 10 ans de l’Etat italien ont augmenté
pour atteindre plus de 6.5%, niveau qualifié de "dangereux" et "intenable".
Berlusconi, comme Papandreou, a été jugé incapable d'imposer le niveau de
coupes budgétaires nécessaires et pourrait tomber après le vote du budget
d'aujourd'hui. Il a passé la journée d’hier à tenter de nier qu'il était sur
le point de démissionner.
Le même scénario se répète partout en Europe, indépendamment de la
couleur politique des gouvernements impliqués. Tous les gouvernements,
qu’ils soient de "gauche" ou de "droite", "sociaux-démocrates" ou
"conservateurs" doivent suivre les injonctions des banques et des
spéculateurs, et le faire à leur satisfaction, ou alors ils seront soumis
aux attaques spéculatives, à la déstabilisation ou seront démis de leurs
postes.
Hier, les représentants de la troïka étaient au Portugal pour évaluer si
le gouvernement exécutait les mesures d'austérité demandées en échange de
son enveloppe de prêts. Le précédent gouvernement du Parti socialiste
minoritaire (PS) du Premier ministre José Sócrates s’était effondré en mars
après que la droite, qui gouverne actuellement par l’intermédiaire du Parti
social démocrate (PSD), eut retiré son soutien, en citant la nécessité d’une
"large coalition gouvernementale" pour pouvoir imposer les coupes
budgétaires.
Le Premier ministre espagnol Jose Luis Rodriguez Zapatero et son Parti
socialiste ouvrier espagnol sont confrontés à une probable déroute aux
élections générales du 20 novembre et à leur remplacement par le Parti
populaire, franquiste.
Même en France, le Premier ministre Francois Fillon a imposé une nouvelle
série de mesures d'austérité en réponse directe aux inquiétudes sur le fait
que son économie allait être attaquée.
Comment tout cela est-il rendu possible ? Après tout, l'élite dirigeante
est confrontée à une crise économique croissante et s’appuie sur des
gouvernements qui sont largement discrédités. Il y a une hostilité massive
et grandissante partout en Europe à l’égard des coupes budgétaires sans
précédent qu'ils imposent.
Mais cette opposition ne trouve aucune véritable expression politique.
Les syndicats, dans la mesure où ils organisent des protestations et grèves
occasionnelles, ne le font que pour dissiper la colère et éviter que l’élite
dirigeante et ses partis ne soient confrontés à un véritable défi politique.
En cela ils sont soutenus par les innombrables partis ex-radicaux. Ils
utilisent une rhétorique de gauche seulement pour servir ces bureaucraties
ouvrières et syndicales qui agissent comme les agents d'une police politique
et sociale au service des banques et des grandes entreprises.
Ce n'est qu'en s'engageant dans une nouvelle voie politique que les
travailleurs et les jeunes en Grèce et partout en Europe pourront faire
avancer leurs intérêts. La mainmise des syndicats doit être brisée. Il faut
construire de nouveaux partis authentiques de la classe ouvrière qui soient
socialistes et internationalistes.
La lutte doit être orientée contre les classes dirigeantes sur le front
économique et politique. Le but doit être l'unification de la classe
ouvrière à travers l'ensemble du continent dans le cadre des États
socialistes unis d'Europe, pour une société qui sera fondée sur la
production destinée à la satisfaction des besoins sociaux, et non pas sur
l'accaparement avide pour les profits privés et l'enrichissement personnel.