« Engouement
général pour les perspectives de
l’impérialisme, défense
acharnée de celui-ci, tendance à le farder de
toutes les manières, – n’est-ce pas un
signe des temps. » Ces paroles ont été
écrites il y a 95 ans mais dans le contexte politique
actuel, elles sont plus appropriées que jamais. On ne
pourrait trouver meilleure description de la réaction de
journalistes libéraux, d’intellectuels gauchistes
et d’anciens radicaux à la guerre en Libye.
La citation de
Lénine est tirée de son livre
l’« Impérialisme » dans lequel
le futur dirigeant de la Révolution d’Octobre
analyse les causes de la Première Guerre mondiale.
Lénine ne s’était pas limité
à l’étude du contexte
économique, mais s’est aussi
intéressé aux changements sociaux et politiques
qui ont précédé le plus grand massacre
de l’histoire de l’humanité.
La domination du capital
financier sur tous les secteurs de l’économie,
concentrée entre les mains de quelques-uns, et les conflits
grandissants entre les grandes puissances alors qu’elles
cherchaient à partager le monde a «
…fait que les classes possédantes passent en bloc
dans le camp de l’impérialisme. »
Dans la petite
bourgeoisie allemande, il était alors
considéré comme de bon ton de soutenir les
objectifs impérialistes. Fondée en 1898, la Ligue
de la Flotte allemande (Deutsche Flottenverein) qui s’engagea
pour la construction d’une flotte allemande égale
à celle de la Grande-Bretagne comptait un million de membres
en 1908. Tout cela conduisit en 1914 à la fureur de la
guerre qui s’empara du Parti social-démocrate
allemand (SPD) et aboutit à une catastrophe mondiale
continuelle et qui ne devait trouver une conclusion provisoire que
trente ans plus tard avec la fin de la Deuxième Guerre
mondiale.
L’hystérie
et l’enthousiasme avec lesquels les médias
européens et américains ainsi que les politiciens
ont réagi au viol de la Libye évoque la
période d’avant la Première Guerre
mondiale. De nombreux journalistes et intellectuels qui avaient
gardé la tête froide au sujet des guerres en
Afghanistan et en Irak ont perdu tout discernement critique. Ceux qui
précédemment avaient été
séduits par les incitations à la guerre ont
à présent perdu toute inhibition.
Les puissances
belligérantes n’ont pas fait grand-chose pour
cacher leurs objectifs prédateurs. Le bombardement du pays
par l’OTAN qui a duré six mois, la composition
douteuse du Conseil national de transition, le recours à des
combattants islamistes et à des troupes
d’élite étrangères du
côté des rebelles, et le massacre des partisans de
Kadhafi et d’Africains noirs (question sur laquelle les
médias occidentaux sont pour l’essentiel
restés silencieux) sont tout à fait
inappropriés pour justifier la propagande officielle de
« protection de la population civile » et de
« révolution démocratique ».
La conférence
internationale sur la Libye jeudi à Paris lors de laquelle
les grandes puissances qui ont marchandé le partage des
champs pétrolifères du pays et les milliards
d’avoirs gelés, a
révélé les véritables
objectifs de la guerre : pétrole, argent, influence et
repartage de l’ensemble du Moyen-Orient.
Mais, les propagandistes
de la guerre dans les médias et la politique ignorent tout
ce qui ne va pas avec l’image de «
libération de la Libye », et ferment les yeux sur
tout ce qu’ils ne veulent pas voir.
A cet égard,
Daniel Cohn-Bendit, dirigeant des Verts au Parlement
européen, est inégalé dans sa
suffisance et son arrogance. Cohn-Bendit, qui est devenu
célèbre en 1968 en tant que porte-parole de la
révolte étudiante à Paris, a
loué le « succès de
l’intervention militaire, » qui a « accru
la réputation de l’Occident dans le monde arabe.
» Il a traité ses amis du parti des Verts
allemands de « petits malins » et de «
petits emmerdeurs prétentieux » parce
qu’ils n’avaient pas dès le
début pleinement soutenus l’effort de guerre. Il a
exigé qu’ils présentent des excuses
publiques à l’OTAN.
Le Parti socialiste
français s’est surpassé
lui-même dans ses louanges à l’adresse
du président Sarkozy. La première
secrétaire du Parti, Martine Aubry s’est
« réjouie que la France ait
été à l’initiative,
» en louant Sarkozy pour s’être
« engagé au bon moment. » Jack Lang, qui
avait anciennement été à la
tête du ministère de la Culture et du
ministère de l’Education nationale et qui est
considéré dans le parti comme un grand
intellectuel, a commenté le cas de Tripoli en disant :
« Aujourd’hui, chacun peut se féliciter
que la France se soit grandie en s’engageant avec
détermination et succès pour gagner la bataille
de la liberté en Libye. »
Le Nouveau Parti
anticapitaliste (NPA) s’est aussi rallié
à la guerre de propagande. Son hebdomadaire Hebdo Tout est
à nous ! a publié des contributions au
débat qui argumentent farouchement en faveur d’un
soutien de l’intervention de l’OTAN. Fin mars, il
écrivait, « Demander aujourd’hui
l’arrêt de l’application de la
résolution 1973 des Nations unies, c’est assumer
de regarder en face les insurgés de Benghazi et de tout
l’Est libyen en leur disant : ‘nous sacrifions vos
vies, votre liberté, votre espoir à notre
anti-impérialisme’... Certains d’entre
nous feront ce choix, pas moi. »
Après la chute
de Tripoli, le NPA a annoncé dans un communiqué
de presse officiel : « La chute du dictateur Kadhafi est une
bonne nouvelle pour les peuples… C’est une
nouvelle vie qui s’ouvre pour le peuple libyen. La
liberté, les droits démocratiques,
l’utilisation des richesses dues aux ressources naturelles
pour la satisfaction des besoins fondamentaux du peuple sont maintenant
à l’ordre du jour. »
Dans le langage courant,
le NPA est habituellement décrit comme faisant partie de
« l’extrême gauche ».
« Nouvelle droite » serait une meilleure
dénomination pour cette organisation qui justifie
ouvertement et impunément une telle guerre
impérialiste.
Une tendance identique
peut être observée en Allemagne. Alors que des
centaines de milliers étaient descendus dans la rue contre
la guerre en Irak, pas un seul appel à manifester
n’a été lancé contre la
guerre en Libye. Le soi-disant mouvement de la paix a pris sa retraite.
L’ami de longue
date de Cohn-Bendit et également membre des Verts, Joschka
Fischer, qui avait été ministre des Affaires
étrangères en 1999, et qui avait
assuré la participation de l’Allemagne
à la guerre contre la Yougoslavie, a fustigé le
refus de Berlin de se joindre à la guerre contre la Libye
comme étant la « plus grande
débâcle de politique
étrangère depuis la création de la
République fédérale. »
L’hebdomadaire pro-SPD Die Zeit l’a
qualifié de « une honte allemande. » Il
est quasi impossible de trouver une seule voix, soit dans les
médias soit dans les partis de l’establishment
politique, qui défende l’abstention de
l’Allemagne à l’intervention de
l’OTAN.
Aux Etats-Unis, des
adversaires éminents des guerres de
l’ère de Bush soutiennent avec enthousiasme la
guerre en Libye. Un exemple typique est celui de l’historien
Juan Cole de l’université du Michigan qui
s’était fait une réputation en tant que
critique contre la guerre en Irak, et qui à
présent soutien farouchement la guerre en Libye. Dans
plusieurs articles le WSWS a soumis son évolution une
analyse critique.
Le passage
d’anciens libéraux et pacifistes dans le camp de
la guerre impériale est tellement répandu
qu’il est impossible de le traiter comme un
phénomène individuel. Les grandes luttes sociales
s’annoncent souvent par de telles transformations politiques.
Les partis politiques se préparent au rôle
qu’ils joueront dans les luttes de classes à venir.
Ce
développement n’est pas nouveau. Il y a douze ans,
durant la guerre en Yougoslavie, de nombreux
éléments parmi les pacifistes et les Verts
avaient soutenu le bombardement d’un pays sans
défense par l’OTAN. Mais, avec la guerre en Libye,
ce développement a atteint un nouveau stade.
Ce sont surtout les
représentants des couches aisées de la classe
moyenne qui font leurs adieux à leurs anciennes opinions
pacifistes, libérales ou « gauchistes ».
Ces couches sont bien représentées dans le milieu
des Verts, de la social-démocratie, des syndicats et de la
gauche petite-bourgeoise du genre NPA. Elles réagissent
à une forte polarisation de classes qui s’est
intensifiée depuis l’éclatement de la
crise financière et économique internationale, il
y a trois ans. Le soutien que des démagogues racistes tels
Geert Wilders ou Thilo Sarrasin trouvent au sein de ces couches est une
autre facette de ce même phénomène
politique.
La classe
ouvrière doit se préparer pour les luttes de
classes à venir. De par leur soutien du viol de la Libye,
les Verts, les sociaux-démocrates et les groupes tels le NPA
ont clairement montré où ils se positionneront
– du côté de
l’élite dirigeante.
Le Partei für
Soziale Gleichheit (Parti de l’Egalité sociale) et
le Comité international de la Quatrième
Internationale est aujourd’hui le seul mouvement politique au
monde à préconiser de façon constante
une perspective socialiste et à défendre les
intérêts de la classe ouvrière
internationale. La construction de ce parti est la tâche
urgente d'aujourd'hui.