Jeudi dernier, environ 15 000 étudiants ont manifesté dans les rues de
Montréal pour s'opposer à la hausse annoncée des frais de scolarité par le
gouvernement du Québec qui ferait passer le coût d'une année universitaire
de 2168 $ à 3793 $ en 2017. Plus de 60 000 étudiants sont actuellement en
grève générale illimitée.
Environ 15000 étudiants ont manifesté jeudi à Montréal
Cette démonstration de colère a, une fois de plus, démontré l'immense
impopularité des politiques de droite du gouvernement libéral de Jean
Charest, mais aussi la nécessité pour les étudiants d'adopter une tout autre
perspective politique que celle mise de l'avant par leur direction
officielle.
Le mouvement de grève a été lancé par la CLASSE (Coalition large de
l'association pour une solidarité syndicale étudiante), qui se présente
comme étant plus militante que les deux autres associations étudiantes
proches de l'establishment, la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du
Québec) et la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec). Mais elles
partagent toutes la même perspective qui est de faire pression sur le
gouvernement Charest pour qu'il revienne sur sa décision.
À la fin de la manifestation au centre-ville, un groupe d'environ 1000
étudiants s'est dirigé vers le pont Jacques-Cartier, qui a dû être fermé
durant environ une heure, où des affrontements entre la police antiémeute de
Montréal et les étudiants ont débuté. Les policier ont une fois de plus eu
recours à la matraque et au gaz poivre pour réprimer les manifestants, une
brutalité qui est devenue monnaie courante dans les interventions policières
de ce genre.
Jeudi de la semaine dernière, des étudiants ont cherché à bloquer l'accès
à la Tour de la Bourse, un symbole de la finance à Montréal, et ils ont
aussi été dispersés par les bâtons et le poivre de Cayenne de l'escouade
antiémeute du Service de police de la ville de Montréal.
La même journée en soirée, des étudiants du Cégep du Vieux-Montréal
amorçaient une manifestation tandis qu'un plus petit groupe est demeuré à
l'intérieur du collège, afin de maintenir l'accès aux locaux de
l'association étudiante devant la crainte que la direction ne décrète un
lockout. Durant la nuit de jeudi à vendredi, les policiers sont intervenus à
la demande de la direction et ont procédé à l'arrestation de 37 étudiants,
dont huit mineurs. Ces jeunes sont accusés de méfait public, voies de fait
et agression armée contre des agents de police, et même de complot. Ils
disent avoir été provoqués par les policiers et n'avoir agi qu'en légitime
défense.
Manifestation étudiante à Montréal
Cette criminalisation de la lutte des étudiants est clairement souhaité
par le gouvernement libéral. Dans une lettre envoyée récemment aux
administrations collégiales, le ministère de l'Éducation souligne que les
étudiants « ne sont pas assujettis à l'application du Code du travail » et
qu'ainsi, « les établissements peuvent continuer d'offrir la formation
malgré le mandat de grève ». Ce mot d'ordre vise à rendre illégitime tout
mouvement d'opposition à la hausse des frais et à inciter les instances
administratives à dresser les enseignants contre les étudiants en grève.
La position de la bureaucratie syndicale face à cette mesure est
clairement exprimée à travers la réaction du syndicat des professeurs de
l'Université de Montréal qui, selon son président Jean Portugais, reconnaît
que l'« on a l'obligation légale de se présenter ».
Cette position d'un dirigeant syndical n'est pas anecdotique, mais
illustre l'orientation des syndicats en général. Ces organisations
nationalistes et pro-capitalistes, faisant entièrement partie de
l'establishment, acceptent le cadre légal et politique de la lutte au
déficit et forcent les travailleurs à subir les coupes exigées par l'élite
dirigeante en isolant et en sabotant leurs luttes.
Lors de la grève étudiante de 2005, la bureaucratie syndicale s'est
rangée du côté du gouvernement en appelant les étudiants à faire des
concessions. Sa pire crainte était que l'esprit de rébellion ne gagne les
travailleurs du secteur public dont les conventions collectives étaient
arrivées à échéance et qui étaient alors confrontés à des demandes
draconiennes de la part du gouvernement.
La direction actuelle du mouvement étudiant, alliée de la bureaucratie
syndicale, dit que les étudiants doivent accepter tout le cadre de la
politique officielle et n'ont d'autre choix que de lancer de futiles appels
aux politiciens voués à la destruction des conditions de vie de l'ensemble
de la classe ouvrière.
Par opposition à cette perspective des dirigeants étudiants qui ne peut
conduire qu'à l'isolement et à la défaite, des membres de l'Internationale
étudiante pour l'égalité sociale (IEES) étaient présents lors de la
manifestation de jeudi pour distribuer un tract intitulé « Les étudiants en
grève du Québec doivent se tourner vers les travailleurs ». Celui-ci
explique entres autres que :
« Ce qui est nécessaire est rien de moins que la réorganisation
fondamentale de la société sur la base des besoins humains au lieu des
profits d'une minorité. La seule force sociale capable d'effectuer ce
changement est la classe ouvrière. Les étudiants doivent consciemment se
tourner vers cette force et transformer la lutte contre la hausse des frais
de scolarité en une lutte pour la défense de tous les services
publics, de tous les programmes sociaux et de tous les
emplois. »
Cette perspective est à l'opposé de la politique de protestation de la
CLASSE qui, tel qu'expliqué dans le tract, « évite la question fondamentale
qui est de lier la lutte étudiante à un vaste mouvement de résistance de la
classe ouvrière ».
Le tract se termine sur la note suivante : « Les étudiants sont
confrontés à une lutte politique qui dépasse la seule question des frais de
scolarité. L'enjeu est de taille : qui doit contrôler les ressources de la
société et sur quelle base doit être organisée la vie socioéconomique ?
« La grande entreprise, ses représentants politiques et ses médias disent
que tout doit être subordonné au profit capitaliste. Les travailleurs
doivent y opposer leur propre alternative : la lutte pour un gouvernement
ouvrier voué à l'établissement de l'égalité sociale. Les étudiants doivent
lutter pour ce programme et joindre consciemment leur lutte à celle des
travailleurs. »
Des étudiants, pour la plupart très intéressés par les idées défendues
par l'IEES, ont accepté de nous donner leur avis sur les questions soulevées
par la grève étudiante :
Jason
Jason, étudiant au cégep en sciences humaines profil individu, a dit que
si la hausse prend place « je vais devoir attendre un an, deux ans,
travailler et économiser pour pouvoir payer mes études ». Ajoutant que
« j'ai dû avoir un deuxième job et j'ai quand même encore des problèmes à
joindre les deux bouts. Il y a des livres que je ne peux pas encore acheter
à cause de ça. Imaginez, maintenant j'ai de la misère, comment ça sera plus
tard avec la hausse? »
Pascale
Selon Pascale, étudiante en travail social, « le mouvement étudiant est
important, mais je crois qu'il est aussi important que les gens en général
se mobilisent, que ce soit les chômeurs, les syndicats, le mouvement
étudiant, pour contrer cette problématique là qui est vraiment en
augmentation. On voit vraiment un écart entre la classe populaire et la
classe bourgeoise. »
« M. Charest n'a pas l'intention de baisser les bras, je pense que ça va
être nécessaire de continuer les manifs, que ce soit des sit-in, des actions
un peu plus provocatrices. »
Sur la question des partis politiques existants, Pascale a affirmé : « Je
pense que les partis politiques disent toute la même chose mais dans des
mots différents. On aurait vraiment besoin d'un gros changement, mais ce
n'est pas ça qui se passe en ce moment. »
« Pour avoir un mouvement beaucoup plus percutant, il ne faudrait pas
juste parler de la hausse des frais de scolarité, mais parler aussi de la
privatisation et des inégalités sociales. »
Samuel
Samuel, un étudiant en anthropologie : « Je suis déjà, comme la plupart
des Canadiens, plus qu'endetté. Je suis retourné à l'université après 20
ans, et donc en plus de mes dettes, j'aurai mes prêts étudiants à
rembourser. Donc si en plus il y a l'augmentation des frais des scolarité,
ça devient un vrai cercle vicieux et je ne m'en sortirai jamais. »
Il a aussi lié l'assaut sur l'éducation au Québec à la crise
internationale du capitalisme et à la montée de l'extrême-droite en Europe.
« Je suis intimement convaincu qu'on est revenu dans les années 30. On peut
voir en Europe la montée d'un mouvement que l'on pourrait appeler
euro-fascisme. Ça rappelle que le nazisme était venu des élites et pas d'en
bas. Et là, l'euro-fascisme qui se met en place, c'est par les élites, pas
par le peuple. »
« Mondialement, on voit que dans beaucoup de pays occidentaux, les
leaders politiques qui sont en place sont des pantins. Ils ont donné leurs
pouvoirs à la finance. On peut le voir en Grèce, en Italie : ce sont des
anciens de Goldman & Sachs qui ont pris le pouvoir sans être élus. C'est un
signal d'alarme. »