Le passage de la loi 78 qui criminalise la lutte
étudiante et bafoue le droit de manifester démontre que la classe dirigeante
est prête à utiliser des méthodes autoritaires et antidémocratiques pour
imposer son programme de classe – le démantèlement des services publics et
l'appauvrissement de larges couches de la population.
Cet assaut sur les conditions de vie et les droits
démocratiques ne peut être repoussé par une simple protestation, aussi
militante soit-elle, autour de la seule question des frais de scolarité.
Ce qui est requis c'est la mobilisation
indépendante des travailleurs, en opposition aux syndicats pro-capitalistes,
dans une contre-offensive contre les coupes budgétaires, la destruction des
emplois et la réduction des salaires. Une telle mobilisation doit s'inscrire
dans le cadre d'une lutte politique unifiée des travailleurs francophones,
anglophones et immigrés du Canada pour l'établissement d'un gouvernement
ouvrier. Un tel gouvernement utilisera les vastes ressources créées par le
labeur collectif des travailleurs pour satisfaire les besoins sociaux de
tous, et non les profits individuels d'une minorité.
Les quatorze dernières semaines de grève étudiante
ont démontré la faillite de la perspective mise de l'avant par la CLASSE,
l'association étudiante qui a amorcé le mouvement de grève. Ses dirigeants
ont soutenu, alors que le gouvernement Charest mobilisait la police et les
tribunaux pour écraser la grève, que des manifestations et des actions
isolées de « perturbation économique et sociale » seraient suffisantes pour
amener le gouvernement à la table de négociation pour une résolution à
l'amiable du conflit.
Cette politique de protestation a amené la CLASSE
à signer, aux côtés de la FEUQ et de la FECQ – des associations étudiantes
proches de la bureaucratie syndicale et du parti de la grande entreprise
qu'est le Parti québécois – une entente de principe avec le gouvernement qui
acceptait le cadre budgétaire fixé par ce dernier, y compris la hausse de 80
pour cent des frais de scolarité postsecondaire, et abandonnait le principe
que l'éducation est un droit social. L'entente a été rejetée par l'immense
majorité des étudiants.
Les dirigeants de la CLASSE et des autres
associations étudiantes ont rejeté la seule perspective qui ouvrait une voie
de l'avant aux étudiants en grève, à savoir : un tournant vers la classe
ouvrière, la seule force sociale capable d'apporter une solution
progressiste à la crise capitaliste.
Les leaders étudiants ont insisté pour traiter la
hausse des frais de scolarité comme une question à part, alors qu'elle fait
clairement partie d'une stratégie d'ensemble de l'élite dirigeante. Ils ont
passé sous silence que la hausse des frais de scolarité au Québec s'inscrit
dans le vaste programme d'austérité mis en branle par la classe dirigeante
partout au Canada et dans le monde pour faire payer les travailleurs et la
jeunesse pour la crise financière mondiale.
L'élite dirigeante, quant à elle, a bien compris
que la hausse des frais de scolarité doit être imposée à tout prix, car le
moindre recul pourrait miner sa capacité à imposer son programme de féroces
coupes budgétaires. C'est ce qui explique le soutien massif accordé par les
médias de la grande entreprise au gouvernement Charest dans le maintien
d'une ligne dure face aux étudiants.
Les premiers responsables d'avoir isolé les
étudiants, et de les avoir laissé affronter seuls la violence étatique, ce
sont les syndicats et le NPD.
Les chefs syndicaux sont restés silencieux alors
que la police dispersait régulièrement les manifestations étudiantes à coups
de matraque, de gaz lacrymogène, de grenades assourdissantes et de balles en
caoutchouc. Aucun appel n'a été lancé pour l'organisation de grèves de
solidarité avec les étudiants dans le cadre d'une contre-offensive contre la
hausse des tarifs, les coupes budgétaires et la destruction des emplois.
Les chefs syndicaux n'ont toutefois pas perdu une
seconde pour voler au secours du premier ministre Charest lorsque ce dernier
leur a demandé de faire pression sur les étudiants pour qu'ils abandonnent
la lutte contre la hausse des frais de scolarité. Et ils se sont empressés
d'annoncer qu'ils n'allaient pas défier la loi 78 même si un de ses articles
oblige les enseignants à faire la police pour l'imposer aux étudiants.
Quant au NPD, le parti social-démocrate qui a
acquis le statut d'opposition officielle aux dernières élections fédérales
après avoir raflé une majorité de sièges au Québec, il a donné un appui
tacite à l'assaut du gouvernement Charest contre les étudiants en refusant
de prendre position sous le prétexte que l'éducation est sous juridiction
provinciale.
La vraie raison de cet acte de lâcheté politique
est que le NPD soutient le programme d'austérité de la grande entreprise et
veut prouver à la classe dirigeante qu'il est un parti respectable et
fiscalement responsable, et donc une alternative viable aux libéraux en tant
que remplaçant éventuel des conservateurs de Harper.
L'attitude des syndicats et du NDP face à la grève
étudiante n'est que l'exemple le plus récent du rôle qu'ils jouent depuis
des décennies pour étouffer et saboter tout mouvement d'opposition des
travailleurs qui rejette les sacrifices exigés par les marchés financiers et
pose une menace implicite à l'ordre existant. Au Québec, les syndicats ont
historiquement subordonné les travailleurs à la grande entreprise par leur
soutien pour le Parti québécois, le second parti de gouvernement de l'élite
dirigeante québécoise.
L'isolement de la grève étudiante par la
bureaucratie syndicale et la social-démocratie soulève la nécessité de bâtir
des comités de lutte indépendants des syndicats pour organiser la
mobilisation des travailleurs en défense des étudiants dans une
contre-offensive commune contre l'assaut patronal et gouvernemental.
Une telle mobilisation exige la construction d'un
nouveau parti politique des travailleurs, qui rejette le programme
pro-capitaliste de la social-démocratie et adopte le programme socialiste de
l'égalité sociale.
Le recours du gouvernement Charest à des mesures
antidémocratiques comme la loi 78 n'est pas un signe de force, mais de
profonde faiblesse. C'est la preuve indéniable que son programme d'austérité
est très impopulaire et doit être imposé de force.
C'est toutefois un sérieux avertissement aux
travailleurs et aux jeunes : la défense des acquis sociaux gagnés de haute
lutte par les générations ouvrières précédentes, et la sauvegarde des droits
démocratiques les plus élémentaires, exigent une lutte politique contre tout
le système capitaliste.
C'est à une telle lutte que doivent se préparer
les étudiants en grève. Dans les prochains jours, on peut s'attendre à une
campagne renouvelée dans les médias de la grande entreprise, parmi les
hautes sphères syndicales, et au sein même des associations étudiantes, pour
que la bataille se transporte de la rue aux urnes.
Il s'agit là d'une tentative de détourner la lutte
étudiante derrière le Parti Québécois, un parti qui a imposé les pires
coupes budgétaires dans les réseaux de la santé et de l'éducation quand il
était au pouvoir, et qui a critiqué le dernier budget libéral pour n'être
pas assez loin dans la réduction du déficit.
Les étudiants doivent plutôt se tourner vers les
travailleurs et les aider à rompre politiquement avec la bureaucratie
ouvrière. Seules la mobilisation politique indépendante des travailleurs, et
la lutte pour un gouvernement ouvrier qui réorganisera l'économie sur la
base des besoins sociaux, peuvent assurer la défense et l'extension des
emplois, des services publics et des droits démocratiques.
Nous appelons tous les étudiants en accord avec
cette perspective à former des comités de lutte pour la mettre en pratique,
et à adhérer à l'ISSE (Internationale étudiante pour l'égalité sociale), le
mouvement de jeunesse du Parti de l'égalité socialiste.