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L'Afrique et la perspective du socialisme international

Par Nick Beams
Le 18 février 2002

Monsieur le rédacteur en chef,

J'ai deux questions qui se tiennent. Tout d'abord, en tant que lecteur régulier de votre site, j'aimerais savoir si vos critiques du désir fréquemment exprimé chez de nombreux opposants à la mondialisation (habitant pour la plupart dans les pays du Nord) de renforcer l'Etat-nation par rapport au capitalisme mondial s'applique également aux habitants des pays du Sud, où, à mon avis, un Etat renforcé pourrait à plus juste raison être considéré comme une antidote nécessaire face aux forces impérialistes. En d'autres termes, est-ce que vous étendriez votre analyse au contexte du tiers-monde ? Regardez par exemple la partie la plus importante de l'Afrique sub-saharienne, où l'on peut difficilement dire que le mode de production ait pour l'instant atteint le stade le plus élevé du capitalisme, étant donné qu'elle demeure par nature largement agraire avec une bourgeoisie indigène peu développée. Dans ce contexte, l'Etat n'est-il pas ­ sans nécessairement parler d'Etats de création coloniale et d'Etats rationalisés qui existent aujourd'hui, un mal nécessaire?

Ceci amène ma deuxième question. Dans ce contexte, un pan-africanisme radical qui soit socialiste et internationaliste dans son orientation (comme l'avaient défendu des hommes tels que Patrice Lumumba, C.L.R James et Frantz Fanon) ne favoriserait-il pas plutôt qu'il n'empêcherait une révolution prolétarienne internationale?

Bien sincèrement.
OL


Cher OL,

Le premier point que je désire soulever pour répondre à votre question est qu'il existe une division de classe fondamentale entre la perspective du Comité International de la Quatrième Internationale et le WSWS et tous les manifestants anti-mondialisation, aussi bien dans les pays capitalistes que dans les pays "du Sud".

Leur réponse à la nouvelle phase du développement capitaliste - la mondialisation de la production et l'émergence d'un système financier international - consiste à se tourner vers l'Etat-nation afin d'essayer de maintenir ce processus sous contrôle, de réguler et de limiter celui-ci. C'est-à-dire qu'ils s'alignent sur l'une ou l'autre partie de la classe capitaliste qui est entrée en conflit avec les parties qui sont le plus directement associées au processus de mondialisation.

En opposition à cette position essentiellement réactionnaire, la perspective du WSWS est basée sur l'idée que la mondialisation de la production est un développement progressiste du point de vue historique. Les conséquences destructrices sur le plan social qui l'accompagnent ne proviennent pas de la mondialisation en tant que telle mais de la soumission des processus économiques aux relations sociales du capitalisme, c'est-à-dire au système de profit privé et à l'Etat-nation.

Ceci amène la question suivante: Comment l'économie mondiale va-t-elle être organisée et planifiée de façon rationnelle pour que ses énormes possibilités économiques, techniques et culturelles puissent être utilisées pour le progrès de l'humanité toute entière? La classe ouvrière internationale, elle-même une création du capitalisme mondial, est l'unique force sociale capable de mener cette tâche à bien.

La perspective historique est la suivante: soit les forces productives avanceront dans la construction d'une organisation sociale plus élevée, soit l'humanité sera renvoyée à de nouvelles formes de barbarie.

Il est nécessaire de placer les points que vous avez soulevés dans le contexte historique du siècle dernier. Le socialisme devint une nécessité historique avec l'éruption de la première guerre mondiale. Les contradictions du capitalisme s'exprimèrent alors dans la plus grande boucherie de tous les temps, inaugurant trois décennies de guerre, le fascisme, l'holocauste, et une autre guerre mondiale avec comme point culminant l'utilisation d'armes nucléaires.

Comme la première guerre mondiale débutait, Léon Trotsky expliqua qu'elle représentait fondamentalement la révolte des forces productives contre le système de l'Etat-nation. Pour cette raison, la classe ouvrière ne pouvait s'aligner sur l'Etat-national parce que celui ci était devenu l'obstacle principal au développement économique. Au contraire, insista-t-il "Il n'est qu'une manière pour le prolétariat de faire face à la confusion impérialiste du capitalisme: c'est de lui opposer comme programme concret actuel l'organisation socialiste de l'économie mondiale."

Dans la période d'après-guerre, cette perspective semblait, pour ceux qui faisaient preuve de myopie intellectuelle, être une voix utopique et passéiste. Dans les pays capitalistes, la progression de la croissance économique était saluée comme une preuve de la viabilité du système de profit, la croissance économique en Union soviétique semblait fournir la preuve de la viabilité de la perspective nationaliste du socialisme dans un seul pays et dans les anciennes colonies la perspective de développement économique national semblait ouvrir la voie vers le progrès.

Mais l'histoire a montré que si l'on veut juger la viabilité de perspectives politiques, il faut juger à long terme sur une période de plusieurs décennies. La période d'après-guerre fut une exception, et non une nouvelle voie de développement historique. Les processus de mondialisation économique au cours des vingt dernières années ont fait passer au premier plan toutes les questions historiques qui sont apparues au début du 20ème siècle. Trois guerres impérialistes ont été déclenchées au cours de la dernière décennie, les conditions de vie de la classe ouvrière de tous les grands pays capitalistes ont été continuellement attaquées sur fond d'une incertitude économique de plus en plus grande, alors que dans les anciens pays coloniaux, les perspectives d'avancée économique ont été réduites à néant.

Cette situation est encore plus évidente en Afrique. La pauvreté qui étreint la région ne résulte pas des conditions nationales. Ce n'est pas comme si les pays d'Afrique étaient en train de passer par un stade de développement national expérimenté auparavant par les pays capitalistes avancés. C'est en réalité une régression qui est en train de se produire.

Quelques faits et chiffres expliquent ceci. Selon la Banque mondiale, par exemple, entre 1980 et 2000 la dette extérieure nette de l'Afrique sub-saharienne a plus que triplé en passant de 60 milliards de dollars US à 200 milliards de dollars US, malgré le remboursement de 229 milliards de dollars US pour le service de la dette. Autrement dit, l'Afrique sub-saharienne a remboursé quatre fois sa dette de 1980 mais elle est plus de trois fois plus endettée. Les dépenses dans cette région sont plus importantes pour le service de la dette que pour la santé et l'éducation réunies.

L'exploitation du continent africain par le capital financier impérialiste, dont on peut dire sans hésiter qu'il dépasse tout ce qui a été fait à l'époque du colonialisme affiché, ne s'arrête pas là.

Afin d'augmenter la production et d'accroître le niveau de vie, ces pays ont besoin d'importer des produits des grandes nations industrielles, ceux-ci étant réglés par des exportations plus nombreuses. Mais ceci est impossible. Les chiffres du commerce démontrent que depuis 1980, la valeur des exportations de l'Afrique sub-saharienne a été réduite de moitié par rapport aux importations en provenance des pays industrialisés. Obéissant aux dictats du FMI et de la Banque mondiale, les exportations africaines sur le marché mondial ont augmenté. Mais ceci n'est pas une solution, puisque l'unique effet de l'augmentation des exportations est de faire chuter les prix. Sur une base de 100 pour la période 1980-1981, les termes de commerce pour l'Afrique sub-saharienne se chiffrent maintenant à moins de 65.

Le même tableau se dégage d'un examen des statistiques concernant les mouvements de capitaux. Selon le FMI, les pays sub-sahariens doivent séduire les investisseurs internationaux en entreprenant des programmes de "réformes structurelles" visant à "libérer" les marchés pour permettre le mouvement libre du capital. Mais l'affirmation que ceci va apporter une arrivée de capital et un développement économique est démentie par les statistiques.

Selon un rapport de l'UNCTAD (Congrès des Nations unies sur le commerce et le développement), au cours de la période allant de 1975 à 1982, l'apport de capital représentait 3,9 pour cent du PNB (Produit National Brut) des pays sub-sahariens. Pendant la période allant de 1983 à 1998, quand les politiques de réformes structurelles se sont répandues, il ne représentait plus que 1,8 pour cent du PNB, soit une chute de 50 pour cent.

En outre, il existe non seulement, une baisse d'arrivée de capital mais les mesures qui ont été imposées par le FMI - principalement la levée des contrôles sur le transfert de capitaux - ont provoqué une fuite des capitaux étant donné que des sections entières de la bourgeoisie africaine transfèrent leurs ressources à l'étranger.

Une étude récente menée par le FMI lui-même note que "il existe maintenant de nombreuses preuves que l'accumulation de la dette s'est accompagnée d'une augmentation du capital dans la région" et que l'Afrique sub-saharienne était "au même moment importateur et exportateur de capital". En fait, un processus se nourrit de l'autre. Plus grande est l'évasion des capitaux, plus le gouvernement doit emprunter au niveau international et plus important devient le poids de la dette et des intérêts sur la population alors que les dépenses pour la santé et pour l'éducation, entre autres, sont réduites afin de satisfaire les charges de service de la dette.

Ce que ces éléments, et de nombreux autres chiffres démontrent, c'est que l'appauvrissement de l'Afrique est la conséquence de processus enracinés dans l'économie capitaliste mondiale. Il ne peut y être mis fin que par la réorganisation rationnelle de l'économie mondiale de sorte que ses ressources puissent être utilisées pour subvenir aux besoins de la population toute entière, plutôt que pour les exigences de profit du capital.

L'Etat-nation en Afrique

Vous écrivez que l'Afrique sub-saharienne reste largement agraire par nature et où le mode de production "peut difficilement être considéré comme ayant atteint le stade le plus élevé du capitalisme".

Ceci est à la fois exact et inexact. Il est certainement vrai que l'économie de l'Afrique demeure bloquée dans la pauvreté et le sous-développement. Mais ce sous-développement n'est pas un phénomène national. C'est la conséquence du stade le plus élevé du capitalisme - la domination de l'économie mondiale par le capital mondial. De plus, alors que son économie est en retard, il existe une classe ouvrière puissante dans toute l'Afrique dont la puissance politique potentielle est bien plus grande que sa force numérique. La seule façon de progresser pour les masses africaines est l'unification avec les travailleurs du reste du monde sur la base d'une perspective socialiste internationale.

Néanmoins, comme bien d'autres avant vous, vous pouvez bien arriver à la conclusion que bien qu'une telle perspective puisse tout à fait convenir pour l'avenir, il est nécessaire d'avancer un programme apparemment plus réalisable. Ne faudrait-il pas renforcer l'Etat national face aux dégâts causés par le capitalisme mondial ?

Evidemment, comme vous vous en rendez compte, il se pose tout de suite un problème. De quel Etat sommes-nous en train de parler? Les actuelles structures "d'Etat-nation" en Afrique sont les créations des puissances impérialistes. Elles ne peuvent être le véhicule par lequel ces masses se libéreront de la domination de ces puissances. Mais pour cette question, comme pour toutes les autres, des questions basiques de classe sont soulevées. Alors que les Etats post-coloniaux ont été les instruments de la répression des masses et de leur subordination au capital financier impérialiste, ces structures ont été avidement saisies par la bourgeoisie africaine comme moyen de favoriser sa propre promotion.

La réflexion sur ces questions vous amène à la perspective du pan-africanisme. Mais les mêmes questions se reposent. Un Etat pan-africain pourrait-il survivre et se développer sans échanges internationaux, sans ressources en provenance du reste du monde? Comment pourrait-on obtenir ces ressources sans passer par le commerce? Autrement dit, un tel Etat ne pourrait échapper aux rouages du système de profit capitaliste.

Il est ici nécessaire de tirer les leçons de l'effondrement de l'Union soviétique. Ceci n'a pas impliqué la fin de la perspective du socialisme international. Ce fut plutôt la démonstration pratique de la conclusion théorique avancée par Trotsky selon laquelle la perspective nationaliste du "socialisme dans un seul pays" n'avait aucune chance de réussir. De plus, son effondrement a mis en évidence la banqueroute de toutes les perspectives nationales. Après tout, si la construction d'une alternative viable au capitalisme dans un sixième du globe s'est révélée impossible, avec toutes les ressources qui étaient disponibles en URSS, c'est alors impossible sur le continent africain.

Pour conclure, permettez-moi d'insister sur le fait qu'il est nécessaire d'examiner le chemin historique que nous avons déjà parcouru. Les dirigeants nationaux africains qui sont arrivés au pouvoir au cours des années 50 et 60 avaient pour perspective qu'avec la formation d'un Etat ex-colonial, la voie vers le développement économique s'ouvrirait. Les plus à gauche de ces dirigeants parlaient même d'unité africaine et avaient pour perspective une sorte de socialisme africain.

Cette perspective toute entière s'est terminée par un désastre. Maintenant, pour que la classe ouvrière et les masses puissent avancer, il est nécessaire de tirer les leçons de cette expérience historique.

La libération du peuple africain de la domination impérialiste, l'élévation des niveaux de vie, la fin des guerres sanglantes et des guerres civiles qui ont tant dévasté cette région - tout cela constituera une partie des grandes réalisations du socialisme international et de la renaissance du mouvement international de la classe ouvrière ou bien alors rien de tout cela ne verra le jour.


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