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Le Silence, un film d'une grande beauté poétique

François Legras
24 février 1999

Le silence, par Mohsen Makhmalbaf, avec Tahmineh Normatova, Nadereh Abdelahyeva, Golbidi Ziadolahyeva

Ce film a été vu dans le cadre d'une rétrospective cinématographique du réalisateur iranien, Mohsen Makhmalbaf, au cinéma Impérial à Montréal. La rétrospective devait présenter cinq de ses films: Le Silence, Gabbeh, Salam Cinéma, Le temps de l'Amour, et Un Instant d'Innocence , ainsi que La Pomme., le premier film dirigé par sa fille, Samira Makhmalbaf. La rétrospective devait durée six semaines à partir de la mi septembre 98 jusqu'à la fin octobre. Malheureusement la direction de l'Impérial y a mis fin au début d'octobre; il n'y avait, à chaque représentation, que quelques personnes dans la vaste et somptueuse salle du cinéma Impérial.

Le Silence ainsi que La Pomme ont tous deux été projeté dans les salles torontoises durant le festival des films de Toronto ainsi qu'à Montréal durant le festival des films du monde.

Le Silence, c'est l'histoire d'un jeune garçon aveugle de dix ans, Khorshid, accordeur dans un atelier de fabrication d'instruments traditionnels. Il vit avec sa mère dans un village du Tadzhikistan, le père ayant été tué à la guerre en Russie. Il prend l'autobus tous les matins pour se rendre au travail et à l'arrêt d'autobus, une jeune fille du même âge travaillant pour le même patron, l'attend et le conduit jusqu'à l'atelier. Mais Korshid est toujours détourné de sa route vers le travail, distrait par les bruits et la musique de la ville qu'il suit intuitivement à l'oreille. Sa mère a désespérément besoin du salaire de son fils pour payer le loyer qui est en retard. Le propriétaire les menace d'expulsion, ils ont quatre jours pour trouver les sous, et elle demande à son fils d'obtenir de son patron une avance sur son salaire. Mais chaque jour, le patron menace de congédier son jeune employé à cause des retards, et Khorshid ne parvient jamais à demander l'avance. Il va finalement être congédié et jeté à la rue avec sa mère par le propriétaire.

A mon avis, le réalisateur, Mohsen Makhmalbaf, a réussi à nous présenter, dans un style épuré, simple et d'une grande beauté esthétique et poétique, la relation complexe entre l'art et le développement de la conscience, la vie et la société.

Essentiellement, le film se développe autour de la relation entre Khorshid et la musique et celle qu'il a avec le patron et, dans une moindre mesure, celle avec sa mère et le propriétaire du logement. Tout au long du film , les choses lui son imposées: les bruits, la musique, les ordre du patrons, les menaces du propriétaires et les demandes de sa mère. Malgré la situation dramatique dans laquelle il se trouve avec sa mère, seuls les sons et la musique semblent signifier quelque chose pour lui. Il semble indifférent aux pressions qui tombent sur ses épaules de jeunes garçon et s'entête à suivre et à écouter la musique, comme s'il était à la recherche de quelque chose. Même sa façon de marcher, sans guide, les bras tendus vers l'avant, est significative à cet égard.

Le monde lui parvient par la musique, le bruit, les paroles et les contacts physiques et ce, d'une manière incohérente et confuse. Le film est en quelques sorte, un essai sur la création artistique, le jeune qui cherche à mettre de l'ordre dans ce qu'il perçoit, pour le présenter sous une forme cohérente et harmonieuse. Le résultat final ne signifie pas qu'il a « compris » le monde dans lequel il vit, mais qu'il a réussi à en projeter une impression subjective, une représentation artistique de ce qu'il comprend ou ressent.

Cette recherche obstinée va lui coûter son emploi et son logement. Le réalisateur a certainement voulu exposer la domination du travail sur l'art et sur l'humain. L'incompatibilité entre le respect des conditions imposées par le travail salarié mal payé et précaire et la libre expression de l'individualité humaine et de ses qualités artistiques.

Au même moment, c'est dans la lutte pour se libérer des contraintes imposées que l'homme se réalise pleinement. C'est certainement une des conclusions qui peut être tirée de l'évolution de Khorshid. À la fin du film, il a perdu son logement et son emploi, mais il s'est approprié une partie du monde qui l'entoure en orchestrant la cinquième symphonie de Beethoven.

Le déroulement du film illustre la relation entre la lutte pour comprendre et saisir le monde et l'expression artistique de cette recherches et de ses résultats. Au début du film, la musique est cacophonique, il y a les bruits de la rue entremêlée des sons d'instruments à corde ou à vent, aucun ne semble dominer sur l'autre. Les sons se précisent tout au long du film jusqu'à la scène finale, magistrale, lorsque le jeune Khorshid réussit à diriger un orchestre de chaudronniers. Petit à petit, donc, un son et un rythme s'imposent; ils frappent les tympans et l'imagination de Khorshid pour la première fois lorsque le propriétaire frappe à la porte pour réclamer le prix du loyer. Boum boum boum boum ! ces quatre coups vont obséder le jeune. Il va tenter de les domestiquer en les reproduisant sur les instruments à corde dans l'atelier, ce qui va donner lieu à une des belles scènes du filme: Khoshid penché sur son instrument, cherchant à reproduire les bruits entendus et la jeune fille exécutant une danse traditionnelle au rythme de la musique. Cette scène ce termine par le patron qui arrive en frappant quatre coups à la fenêtre de l'atelier pour donner un ordre; encore les quatre coups martelés au même rythme.

Ces coups, il va les entendre à plusieurs reprises et lentement il va les assimiler et y ajouter d'autres sons et une mélodie. Finalement, à la fin du film, après avoir été congédié, Khorshid passe encore une fois à travers l'atelier de chaudrons de cuivre. S'arrêtant pour écouter les coups martelés par les ouvriers pour donner diverses formes aux contenants, Khorshid décide d'orchestrer cet ensemble rythmique et réussit à imposer son autorité en recréant la cinquième symphonie de Beethoven avec des chaudrons pour instruments et des ouvriers, en majorité des enfants, pour musiciens. Cette scène est extraordinaire.

Makhmalbaf nous présente l'incompatibilité entre l'art et le travail de différentes façons. La plus évidente est certainement dans le fait que le patron de Khorshid soit un fabricant d'instruments de musique et qu'il soit si insensible aux besoins de Khorshid. Il est agressif et oppressif, utilisant la violence physique contre son jeune employé en le tirant par les oreilles. Une des scènes remarquables du film, à cet égard, survient lorsque Khorshid explique, par l'entremise de la jeune fille, qu'il est en retard à cause d'un musicien qui jouait si bien qu'il n'avait pu s'empêcher de suivre pour l'écouter. En colère, le patron exige de Khorshid, s'il veut pouvoir reprendre son travail, qu'il retrouve ce musicien pour que ce dernier vienne présenter ses excuses au patron.

Dans une autre scène, alors que Khorshid est égaré il rencontre un groupe bohème de musiciens et il leur raconte les problèmes auxquels il fait face, notamment son expulsion imminente. Un des musiciens lui propose d'aller jouer de la musique au propriétaire en guise de paiement. Et Khorshid de répondre que le propriétaire n'aime pas la musique,« il aime l'argent ».

Il y a beaucoup à dire sur ce film, mais surtout beaucoup à voir et à ressentir. Ce film est avant tout une belle poésie. Les gens sont heureux et malheureux, la vie est complexe et il n'y a pas de réponse facile aux problèmes. Makhmalbaf nous montre de magnifiques scènes et veut transmettre le bonheur de la vie, ce qu'elle nous réserve si on veut bien se laisser guider par nos sens. Mais pourquoi y a-t-il cette cruauté ? Comment, par quel moyen comprendre les causes des injustices ? La réponse n'est pas donnée et ce n'est pas important pour le film, mais ce qui est clair c'est que pour Makhmalbaf, les réponses ne sont pas visible à l'oeil mais cachées sous la surface du monde apparent.

 

 

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