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Une nouvelle émouvante explorant la tragédie rwandaise

Critique d'Un dimanche à la piscine à Kigali de Gil Courtemanche

Par Linda Slattery
Le 4 novembre 2003

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Gil Courtemanche, A Sunday at the Pool in Kigali, ISBN: 1400041074, Canongate Books Ltd., 2003, traduit par Patricia Claxton.

Gil Courtemanche, Édition du Boréal, Montréal, 2000.

Cette nouvelle qui a été publiée il y a trois ans en français vient d'être traduite en anglais. Son auteur, le Canadien Gil Courtemanche a été journaliste pendant 40 ans, et il a passé trois ans au Rwanda avant le génocide de 1994. Il explique que le livre a été écrit comme un hommage à ses amis qui sont morts là bas, ainsi qu'aux « héros oubliés » qui ont survécu.

En 1994, le gouvernement Hutu au pouvoir au Rwanda déclara prôner comme politique que les membres de la majorité Hutu tuent ceux de la minorité Tutsi. Au cours des 100 jours qui ont suivi, au moins 800 000 Tutsis et opposants Hutu ont été massacrés de la façon la plus barbare et imaginable. Un million de personnes sur une population de 7,5 millions auraient été tuées. Les gens ont été massacrés à un rythme encore plus rapide que dans les camps d'extermination nazis, et les rivières étaient engorgées de cadavres.

C'est dans ce contexte que s'ouvre la nouvelle, une tendre histoire d'amour entre la jeune beauté timide Gentille, qui est serveuse à l'Hôtel de Mille-Collines de Kigali, la capitale du Rwanda, et le journaliste et cinéaste d'âge moyen Bernard Valcourt. En même temps que leur amour se développe, la tension monte alors que les préparatifs du génocide s'accélèrent.

Le titre du livre fait référence au mariage de Gentille et de Valcourt près de la piscine de l'hôtel un dimanche après-midi où une foule de mille convives s'est rassemblée. Courtemanche met en contraste cette belle journée avec le sombre orage qui gronde. C'est en fait un livre de contrastes.

La scène du mariage contraste fortement avec le début de la nouvelle. Le premier chapitre s'ouvre avec une vivide description de tout un réseau de personnages peu agréables se trouvent autour de la même piscine, notamment des travailleurs de l'aide internationale cyniques, des membres du gouvernement Habyarimana, des parachutistes français salivant sur les prostituées, et le commandant des Nations Unis originaire du Canada. Une petite force de l'ONU était présente au Rwanda pour faire respecter l'accord de paix de Arusha signé en 1993 entre le Front patriotique rwandais principalement tutsi, basé en Ouganda et qui dirigeait alors le Rwanda, et le gouvernement Hutu. À la veille du génocide que les puissances impérialistes sentaient venir, la plupart des troupes de l'ONU se sont retirés.

Aux environs immédiats de l'Hôtel de Mille-Collines, explique Courtemanche, se trouve la partie de la ville « qui compte, qui prend les décisions, qui vole, tue et vit très bien merci ». Puis vient ensuite l'autre monde, le monde de la majorité, les Rwandais pauvres qui meurent de la malaria et du SIDA.

Il y a trois grands fils conducteurs dans la nouvelle. D'abord, il y a la riche toile des personnages que Courtemanche dépeint de façon convaincante et avec amour - de vraies personnes avec de vrais noms, ses amis en faits. Par exemple, il y a la chauffeuse de taxi Emerita, plus grande que nature. Courtemanche explique dans sa préface que parce que son livre est un ouvrage de fiction, les gestes de ses personnages ne correspondent pas avec ce qu'ils ont fait actuellement, mais qu'ils symbolisent plutôt leur nature essentielle. Emerita défie avec dédain les préjugés réactionnaires des miliciens alcooliques qui rodent de façon menaçante au coin des rues et prennent leur revanche. Puis il y a le restaurateur, Victor, qui s'en tire mieux que les autres, utilisant son argent pour verser des pots de vins aux miliciens et faire passer des Tutsis au delà des barrages routiers jusqu'au sanctuaire de l'Hôtel de Mille-Collines.

Le livre est également une « chronique et un témoignage », dit Courtemanche. Le second fil du livre témoigne de l'épidémie du SIDA au Rwanda et de la façon dont elle empiète sur la vie quotidienne. Son personnage central, Valcourt, tourne un film sur le SIDA, et est ému par le fait que le tiers de la population adulte à Kigali est séropositive. Il filme les derniers jours de son ami Méthode, qui meurt d'une maladie qui n'existe pas selon le gouvernement.

Comme la majorité des gens en Afrique atteints du SIDA, Méthode n'a pas accès aux médicaments qui lui sauveraient la vie et qui sont disponibles dans les pays occidentaux. Son frère Raphaël ne peut se permettre de les lui acheter compte tenu de ses maigres revenus. Un traitement d'une semaine à l'antibiotique Nizoral équivaut à son salaire hebdomadaire d'employé de banque. Valcourt constate amèrement que le vélomoteur de Raphaël qui lui sert de petit coussin, disparaît bientôt : avec Méthode rendue à l'hôpital, « pour se conformer aux diktats du Fonds Monétaire International », la nourriture et les soins, de même que les médicaments, doivent être payés par le patient et sa famille.

Valcourt devient narrateur. Il accompagne un jeune diplomate canadien au Centre hospitalier de Kigali pour identifier le corps d'un prêtre assassiné, François Cardinal. Alors que le diplomate essaie de justifier les diktats du FMI, Valcourt lui répond qu'« un hôpital ayant subi un ajustement structurel, c'est un endroit où l'on paie pour mourir ».

L'hôpital est sale, dépourvu de médicaments. Les femmes, autrefois infirmières, sont assises dans un coin et brodent pendant que les patients souffrent l'agonie sans le moindre soulagement. Valcourt a beaucoup de respect pour ses amis séropositifs. Bien qu'ils vivent dans l'antichambre de la mort, il découvre en eux une intransigeance de l'esprit qui les contraint à vivre leur vie au maximum du mieux qu'ils peuvent.

Le troisième fil de la nouvelle, et non le moindre, est la prise de conscience croissante de Valcourt face à ce qui se prépare au Rwanda, et sa lutte pour comprendre les raisons derrière ce qui a été qualifié d'holocauste africain.

Le génocide n'était pas le quelconque aboutissement de vieilles rivalités tribales, mais bien l'expression d'un phénomène beaucoup plus moderne dont les racines plongent dans la domination du Rwanda par l'impérialisme. Courtemanche est bien conscient qu'avant la Deuxième Guerre mondiale, alors que le Rwanda était encore une colonie belge, les Belges ont semé les premières divisions entre les Tutsis pastoraux et les Hutus agriculteurs. Il décrit cela de façon claire en relatant l'histoire de son personnage Gentille, dont les aïeux hutus se font passer pour des Tutsis pour avancer dans la vie.

Les Belges ont entretenu une élite tutsie par le biais de laquelle ils ont dirigé le pays. L'idée de la supériorité tutsie était justifiée sur la base du mythe chamitique, dérivé de l'histoire biblique de cham, qui était employée dans ce contexte pour présenter les Tutsis comme une race supérieure. Après la guerre, face à la montée du nationalisme hutu, les Hutus sont devenus l'élite favorisée. La politique impérialiste du « diviser pour régner » est derrière les massacres et la violence inter-ethnique qui ont caractérisé l'histoire du Rwanda des temps modernes.

Lors de ses conversations avec son ami le Père Louis, il apprend que le colonel Théoneste s'est confessé au prêtre d'avoir préparer le massacre final des Tutsis. Valcourt déclare alors que « les membres du gouvernement, et la moitié des experts internationaux du FMI et de la Banque Mondiale » devraient être emprisonnés pour ce qui se passe au Rwanda.

L'intervention du Fonds Monétaire International a en effet été un facteur déterminant dans la création des conditions qui ont entraîné le génocide. La pénible situation économique au Rwanda a été immensément aggravée par l'imposition par le FMI de mesures d'austérité des plus sévères qui ont provoqué un appauvrissement démesuré.

Comme dans tous les pays d'Afrique, l'indépendance, survenue en 1962 au Rwanda, n'a pas apporté le développement industriel mais plutôt l'exportation de denrées en échange de biens manufacturés en Occident. Le café était la principale exportation du Rwanda, représentant 80 % des avoirs en devises étrangères du Rwanda.

En 1987, le prix mondial des denrées a chuté, y compris celui du café, et le Fond de stabilisation du café, qui permettait l'achat du café des fermiers rwandais à un prix fixe, a commencé à accumuler une dette importante. Entre 1987 et 1991, la valeur des exportations a décliné de moitié, et le gouvernement faisait face à la banqueroute.

Une visite de représentants du FMI au Rwanda en 1988 intensifia encore plus cette crise. Dans le cadre d'un programme de réajustement structurel, la libéralisation du commerce fut introduite, de même que la levée des subsides à l'agriculture, les privatisations et une dévaluation de la monnaie de l'ordre des 50 %, des mesures qui entraînèrent une importante augmentation des prix du combustible et des articles de consommation essentiels. Les services publics tels que la santé et l'éducation se sont alors effondrés, et le chômage a augmenté massivement. Des cas de malnutrition sévères ont commencé à apparaître parmi les enfants et le manque de médicaments a entraîné une augmentation des cas de malaria de l'ordre des 20 %.

Armé de cette information du Père Louis, et notamment d'une liste de noms et d'endroits où la milice hutu cachait des armes, Valcourt va voir le major-général de l'ONU qui se contente de le référer tout simplement à un officier de liaison, un extrémiste hutu reconnu. Il envoie alors des articles à diverses publications, mais une seule, mineure, accepte de les publier - un petit hebdomadaire catholique belge. Valcourt en conclut qu'il est inutile d'en appeler à l'ONU et aux gouvernements. Bien qu'il soit conscient que le gouvernement français appuie le gouvernement rwandais, son attitude générale en ce qui a trait au génocide est que l'ONU et tous les gouvernements occidentaux sont coupables du crime d'indifférence. Les impérialismes français et américain étaient les plus impliqués cependant, se livrant une lutte directe de pouvoir pour assurer leur influence dans cette partie du monde.

Alors que les Français ont armé le pouvoir hutu tant avant que pendant le génocide, en plus d'avoir envoyé des troupes pour escorter les représentants du pouvoir hutu en toute sécurité hors du Rwanda lorsque ces derniers retraitaient devant l'assaut du RPF tutsi, le RPF a été entraîné et armé par les États-Unis. On a maintenant des preuves que l'impérialisme américain était engagé plus en profondeur qu'on ne le pensait auparavant, les Etats-Unis étant la puissance derrière le tir qui a abattu l'avion du président rwandais, l'événement qui a signalé le début du génocide. La victoire militaire du RPF a été un coup asséné aux intérêts français.

Ce livre est à la fois choquant par sa description de la cruauté et de la barbarie du génocide, et en même temps d'une beauté évocatrice. Un exemple en est ce passage :

« Comme toujours ici, la nuit tombe par surprise, une vague enveloppante d'obscurité qui se fond au-dessus de la terre rouge ».

À la fin de la nouvelle, nous retrouvons Valcourt, toujours au Rwanda, travaillant avec un groupe de défense des droits des personnes accusées de génocide. Il a adopté une petite fille hutu et n'est pas très aimé du nouveau gouvernement RPF.

Courtemanche a évité de tomber dans le piège de dépeindre le RPF comme un mouvement libérateur. Il a montré les hommes sous leurs jours le plus bestial et le plus tendre. L'institutrice Marie, qui réussit à survivre au génocide avec ses sept enfants parce qu'elle est cachée par un ami hutu, embrasse Valcourt au front qui ressent « comme un léger souffle chaud et doux, semblable au passage d'une hirondelle ».

Si le livre ne se termine pas sur une note amère ou pessimiste, c'est parce que l'auteur, par l'entremise de son personnage Valcourt, regarde l'histoire pour comprendre le génocide. Le livre a suscité énormément d'intérêt, au point tel qu'il a été traduit en 14 langues et qu'il va être porté à l'écran. Malgré les limites politiques de Courtemanche, ce livre primé et d'actualité mérite vraiment d'être lu.



 

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