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wsws : Nouvelles et analyses : Histoire et culture

World Trade Center d’Oliver Stone : Une oeuvre médiocre et malhonnête

Par David Walsh
25 août 2006
(Publié en anglais le 12 août 2006)

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World Trade Center, réalisé par Oliver Stone, scénario d’Andrea Berloff

Cinq ans après les faits, les attentats terroristes du 11 septembre 2001 sur New York et Washington DC restent encore à investiguer. Les questions les plus essentielles entourant les évènements qui ont prétendument « tout changé » demeurent sans réponses et ne sont même pas posées.

World Trade Center d’Oliver Stone, réalisé peu après United 93 de Paul Greenglass, ne daigne aborder aucune des questions troublantes entourant le 11 septembre. Au contraire, l’œuvre de Stone est artistiquement médiocre et politiquement malhonnête.

Le film raconte l’histoire de deux policiers de l’Autorité portuaire, John McLoughlin (joué par Nicolas Cage) et Will Jemeno (Michaël Peña), qui, le matin du 11 septembre, reçoivent l’ordre d’aider à évacuer la première des tours du World Trade Center à être touchée et qui finissent par être eux-mêmes ensevelis sous les décombres. Pendant la majeure partie du film, nous voyons McLouglin et Jimeno en proie à la douleur et se parlant l’un à l’autre, coincés sous les tonnes de décombres des immenses gratte-ciels.

À un moment du film de Stone, le président Georges W. Bush fait son apparition sur un écran de télévision. « La fermeté de notre grand pays est mise à l’épreuve, mais ne vous y trompez pas, affirme-t-il, nous montrerons au monde que nous sommes à la hauteur. » Le maire de New York, Rudolph Giuliani fait une brève apparition. Des téléspectateurs horrifiés du monde entier regardent la scène.

La majeure partie du film alterne les scènes des deux hommes piégés avec des scènes de leurs femmes et de leur famille affolées dans la banlieue de New York et du New Jersey. Donna McLoughlin (Maria Bello), femme du policier ayant 21 ans de service dans la police, a quatre enfants, dont l’un l’accuse d’être indifférente parce que la famille reste à la maison dans l’attente de nouvelles. Finalement, Donna se rend à Manhattan pour chercher à savoir ce qui est advenu à son mari.

La femme de Jimeno, Allison (Maggie Gyllenhaal) plus jeune, est enceinte de cinq mois. Avec sa famille et sa belle-famille, elle attend anxieusement de l’autre côté de la rivière dans le New Jersey. Ayant reçu la fausse nouvelle que son mari est sauvé, Allison et d’autres membres de la famille se précipitent dans le Lower Manhattan, pour s’entendre dire seulement que Jimeno est encore sous les décombres.

Un ex-marine du Connecticut, Dave Kearnes (Michael Shannon), revêt son vieil uniforme et reprend du service, de façon non officielle, à Ground Zero. Patrouillant le site la nuit, il prend contact avec Jimeno et McLoughlin, qui sont finalement ramenés à la surface par des secouristes risquant leur propre vie dans le sauvetage.

Dans la réalité, les vrais McLouglin et Jimeno ont survécu à l’épreuve et le scénario d’Andrea Berloff est basé sur le compte rendu de leurs expériences.

Stone n’a jamais été un artiste sérieux. Ses « bons » films (Salvador, Platoon, Né un 4 juillet, JFK) n’étaient pas très bons et étaient lourds et pompeux. Quant à ses mauvais films (Les Doors, Tueurs nés, Héros du dimanche, Alexandre), ils sont tout simplement abominables.

Sur Héros du dimanche, il y a six ans, j’avais écrit : « Dans tous les cas, le résultat final est à la fois cliché, impersonnel et hystérique. Presque tout le monde joue de façon détestable dans tout le film. » Sur Alexandre, en 2005 : « Alexandre nous en dit très peu sur le personnage principal ou sur le type de société dont il est issu ou qu’il voulait créer. Sa conduite est plutôt stupide. On ne sait pas trop où Stone veut en venir, sinon de suggérer que conquérir le monde est un travail épuisant et dommageable psychologiquement. Il veut que nous admirions la jeunesse et l’héroïsme, mais à une sensibilité qui fait difficilement la différence entre les exploits de Jim Morrison des Doors et ceux d’Alexandre de Macédoine, il manque probablement un ingrédient fondamental. »

Le scénario de Berloff pour World Trade Center, même s’il se base sur des faits réels, est bourré de clichés et manque de naturel. Évidemment, l’histoire s’en ressent. Même les plaisanteries entre policiers de l’Autorité portuaire, au début du film, sonnent faux. Certains passages sont objectivement émouvants et les acteurs font de leur mieux, mais le film est émotionnellement manipulateur et cherche à faire pleurer. « Est-ce que papa va rentrer à la maison ? » demande la fille d’Allison à un certain moment. « Ils ont fait ce qu’ils avaient à faire », nous dit-on gravement à un autre moment. Même si aucune dépense ni aucun effet théâtral n’a été épargné, la situation de McLoughlin et de Jimeno n’est jamais vraiment communiquée — parce que, à la base, le film est profondément évasif et malhonnête et cela se retrouve à chaque moment décisif du film.

Stone et ses collègues affirment que World Trade Center n’est « pas un film politique ». Dans diverses interviews, le réalisateur a répété ceci. « La beauté de ma prémisse de départ était de vous transporter dans la vie de ces deux hommes » a dit Stone au Chicago Sun-Times. « Je voulais me limiter à deux hommes et sentir leur peur, leur force et leur courage. J’ai pensé que c’était une façon nouvelle de purger notre système de cette tragédie. »

Dans des commentaires au New York Times, le réalisateur est allé encore plus loin : «En fait, ce n’est pas sur le World Trade Center. C’est sur tout homme et toute femme qui est confronté à sa fin de vie et sur comment survivre dans cette situation. »

L’idée qu’il ne s’agit que d’un hommage au courage et à la force d’individus confrontés à une journée tragique est absurde et il est douteux que Stone y croie lui-même. Si ce film ne traite que d’héroïsme individuel ou de la manière dont des hommes et des femmes font face à leur fin de vie, alors pourquoi dépenser 63 millions de dollars pour recréer les ruines du World Trade Center ?

Le point de vue du réalisateur lui-même, qui ressort de temps en temps, semble être que le 11 septembre a été une occasion extraordinaire pour unifier la nation, mais qui a été détournée par les néo-conservateurs de l’administration Bush : « Tout ce que je peux dire, c’est que nous avions la compassion du monde entier ce jour-là. Le reste de la planète était avec nous. Nous avions le droit de poursuivre ces assassins. Nous aurions boucler la boucle. Nous n’avions pas besoin de toujours plus de terreur, de rupture constitutionnelle et de davantage de douleur. » L’Irak, argumente-t-il comme de nombreux autres démocrates d’avant-plan, « n’est pas la bonne guerre. »

Dans la période qui a immédiatement suivi les attentats terroristes, Stone avait un point de vue plus à « gauche » sur les évènements. Le 6 octobre 2001 lors d’un forum au Festival du film de New York, il a dénoncé le « nouvel ordre mondial » et a affirmé que « la révolte du 11 septembre reflétait un " Je vous emmerde ! J’emmerde votre ordre ! " » Il avait suggéré que ceux dans le monde arabe qui célébraient la chute du World Trade Center réagissaient comme ceux qui avaient réagi avec joie aux Révolutions française et russe. Stone avait aussi apparemment fait un lien entre les attentats et le vol des élections de 2000 par le camp Bush, qu’il avait décrit comme étant la confirmation de l’échec de la démocratie.

Accorder quelque degré de légitimité politique aux attaques haineuses du 11 septembre, lors desquelles 2700 êtres humains innocents ont perdu la vie dans des conditions horribles, était une erreur et un signe de désorientation. La transformation de Stone en un fabricant de mythes patriotiques n’est pas une amélioration. Il affirme : « Ne me casez pas ; je suis quelqu’un qui change. » Nous avons l’impression cependant qu’un manque de principes et de tout sens des responsabilités politiques est une constante.

En tout cas, Stone, quel que soit son niveau de conscience, a fait un film très politisé. Ceci dit, sa politique prend une forme particulière. Dans World Trade Center, aucun effort n’a été fait pour établir le moindre contexte historique ou politique pour les attaques du 11 septembre. Au contraire, le film de Stone est soumis au principe qu’il ne faut rien expliquer. Le spectateur, et cela est clair, ne saura que ce que McLoughlin et Jimeno savaient ce jour-là. En quoi est-ce un avantage ? À quoi sert l’art dans ce cas ? Cela était la prémisse d’United 93 et, sur ce même point, il a aussi échoué.

Si coller aux faits empiriques bruts, ou déclarer le faire, est une mauvaise règle à suivre pour un historien ou un journaliste, cela est presque toujours fatal pour un artiste. Le but de l’art est d’illuminer, de développer, d’agrandir. L’art vit ou meurt en fonction de l’intensité imaginative et récréative qui est déployée, même dans les œuvres documentaires ou qui ne sont pas de fiction — et dans ces cas, l’intervention consciente de l’artiste pour organiser ses documents est peut-être d’autant plus importante.

Il est impossible de comprendre le moindre incident de ce 11 septembre hors de son contexte plus large. Le film, naturellement, n’aborde pas cette question, mais c’est le manque même de préparation de la ville face à un tel attentat qui a résulté en de si nombreux décès chez les pompiers en particulier. Ces derniers n’étaient pas en mesure de communiquer entre eux ou avec la police. Les pompiers de la tour nord du World Trade Center, par exemple, dont 121  sont morts, n’ont jamais pu entendre l’ordre d’évacuation à cause de l’équipement défectueux, à un moment où tous les civils qui avaient pu être joints étaient déjà sortis du bâtiment.

Pendant ce temps, Rudolph Giuliani a utilisé le 11 septembre comme longue séance de photos. Comme le WSWS l’a noté, le maire « n’a pas fait grand-chose d’autre que d’apparaître de façon répétée devant les caméras ». Lors des audiences de la commission nationale en mai 2004, Giuliani a été chahuté par un certain nombre de proches de ceux qui avaient été tués lors des attentats. (Dans un livre récent, comme l’a noté le New York Times du 6 août, les dirigeants de la commission, Thomas Kean et Lee Hamilton, ont admis qu’ils n’avaient pas posé « les questions difficiles » à Giuliani parce qu’ils avaient peur de la « colère publique » — c’est-à-dire des médias de droite.)

La situation sociale et sociopsychologique générale est un fait fondamental au cinéma ; elle doit imbiber l’œuvre. Le film de Stone, toutefois, décrit une société américaine sans contradictions aiguës. Les meilleurs films qu’a produits Hollywood sur la Deuxième Guerre mondiale n’ont jamais brossé un portrait aussi faux. Même les titres de certaines œuvres, Les sacrifiés, l’ironique Les plus belles années de notre vie reconnaissaient les difficultés et le mécontentement social. Dans World Trade Center, le mythe d’une Amérique harmonieuse, nationalement unifiée, façonne les images et falsifie les moments critiques, y compris les moments intimes.

Les éléments explicitement politiques ne manquent pas non plus dans ce film « non politique ». Un policier de Sheboygan, dans le Wisconsin, sur lequel la caméra s’attarde on ne sait trop pourquoi, appelle les terroristes « bâtards ». Les images de l’ex-marine, Karnes, dans son uniforme, cherchant avec détermination dans les ruines fumantes sont particulièrement insidieuses. Ayant repéré des hommes coincés, en compagnie d’un autre marine, il leur crie : « Nous sommes des marines. Nous ne vous abandonnerons pas. Vous êtres notre mission. » Plus tard dans le film, Karnes regarde droit devant lui et déclare, menaçant, « Ils auront besoin d’hommes de valeur pour venger tout cela. »

Le travail de Stone est entièrement conformiste et encourage diverses formes d’arriération sociale. Cela est très évident dans une scène en particulier : un membre de la belle-famille de Allison, à genoux et priant en pleurs. La caméra s’attarde sur la femme, dans le style inimitable de Stone, qui consiste à cogner sur la tête du spectateur jusqu’à ce qu’il ou elle crie : « J’abandonne, tu as gagné ! » On nous sert à deux reprises une vision de Jésus Christ qui semble-t-il est apparu à Jimeno dans ces circonstances clairement désespérées.

Le patriotisme, le militarisme, la religion, Bush et Giuliani : Stone n’a vraiment pas de quoi être fier. L’extrême-droite, toutefois, pense beaucoup de bien du film World Trade Center. Le chroniqueur réactionnaire Cal Thomas a dit du film qu’il était « un des meilleurs films pro-américain, pro-famille, pro-foi, pro-mâle, patriotique, que Dieu bénisse l’Amérique, que l’on verra jamais». L. Brent Bozell III, président du Centre de recherche sur les médias, une organisation de droite, et fondateur du Conseil des parents pour la télévision a décrit World Trade Center comme un « chef d’œuvre ». Ces commentaires donnent l’impression de vouloir se raccrocher à n’importe quoi. On doute, en fait, qu’un film aussi peu sincère puisse avoir un impact important sur ceux qui le voient.

Incidemment, ce qu’a fait Paramount pour World Trade Center est un autre exemple répugnant de la capitulation des studios d’Hollywood devant l’extrême-droite. Le Los Angeles Times rapporte que Paramount « était si inquiet de la réputation de lanceur de bombes d’Oliver Stone que, pour vendre le film dans la communauté conservatrice, le studio a embauché une firme de communications [Creative Response Concepts] qui a joué un rôle important pour différentes causes conservatrices, notamment le groupe des Vétérans pour la vérité du Swift Boat qui a attaqué le passé militaire au Vietnam du sénateur John F. Kerry lors de la campagne présidentielle de 2004. Paramount a aussi tenté d’empêcher qu’il y ait un contrecoup à Washington en organisant des présentations du film et de sa bande-annonce pour les membres du Congrès. »

Pourquoi Stone a-t-il fait ce film ? Comme il le dit, il « change » et il se peut fort bien que ses propres vues confuses et désorientées glissent de façon générale vers la droite. Le climat d’intimidation qui a suivi les attaques du 11 septembre et qui ne s’est jamais dissipé a clairement eu un impact sur une couche sociale toute entière, notamment à Hollywood. Combien de personnalités importantes du cinéma a-t-on vu dénoncer l’administration Bush pour ses activités criminelles ?

Il y a cependant une autre question, peut-être encore plus troublante et qui n’est pas seulement associée à l’évolution personnelle de Stone (même s’il y est peut-être particulièrement sensible) : l’obsession de la célébrité aux Etats-Unis, le désir d’être sous les feux de la rampe, la peur de l’isolement et de la désapprobation. Comme nous l’avions noté il y a sept ans, à l’époque où les Academy Awards rendaient hommage au délateur Elia Kazan, « Aux Etats-Unis, après tout, si vous n’êtes pas quelqu’un qui a réussi, une star, vous n’êtes rien, une nullité humaine. »

Stone connaît une traversée du désert depuis une douzaine d’années au moins. Ses films récents, Alexandre en particulier, n’ont pas connu de succès aux Etats-Unis. La réalisation de World Trade Center ne lui est pas tombée tout cuit dans le bec. Comme Stone le reconnaît, il a fait campagne pour obtenir ce travail. Clairement, il a senti qu’il tenait là une chance de revenir dans les bonnes grâces de l’industrie, de rentrer au bercail. Et, de toute évidence, la stratégie a marché.

Le réalisateur a fait un commentaire révélateur dans un entretien accordé au New York Times, dont le journaliste a fait remarquer que Paul Haggis (Crash) réalise une adaptation d’un livre de l’ancien analyste des service du renseignement, Richard Clarke, intitulé Contre tous les ennemis, et qui prend à partie l’administration Bush pour ses échecs. « Quand on a demandé à Stone si ce n’était pas là le genre de film auquel il aurait autrefois essayé de s’attaquer, Stone s’est d’abord esclaffé « Je ne pourrais pas le faire. J’aurais été brûlé vif. » Il a ensuite ajouté « Ce [World Trade Center] n’est pas un film politique. C’est ce qu’ils m’ont seriné. » 

Comment peut-on produire quelque chose de valeur avec une couardise et un cynisme pareils?

 





 

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