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Le vote des infirmières ouvre la voie à une lutte élargie contre le gouvernement québécois

Par Keith Jones
22 juillet 1999

Les infirmières québécoises viennent d'asséner tout un crochet au gouvernement provincial du Parti Québécois et à la direction de leur syndicat en votant pour continuer la lutte pour de meilleures conditions de travail et l'amélioration des soins de santé. Ce mercredi, 75% des infirmières ont rejeté par vote secret l'entente de principe que les négociateurs de la Fédération des Infirmières et Infirmiers du Québec (la FIIQ) et du gouvernement avait concoctée pour torpiller la grève militante des infirmières en cours depuis plus d'un mois. Quelques heures après que le vote ait été connu, les infirmières des établissements de santé à travers le Québec sont retournées sur les lignes de piquetage.

Plusieurs infirmières ont exprimé le mécontentement qu'elles ressentent face à la direction de la FIIQ et sa stratégie en cessant toute grève jusqu'à ce qu'ait eu lieu l'assemblée des 600 déléguées de la FIIQ ce vendredi où sera décidé comment la grève continuera. Le fait qu'on trouve parmi celles-là les infirmières de l'Hôpital Sacré-Coeur qui ont défié la «trêve» de trois jours imposée par la FIIQ le temps de voter pour l'entente, montre l'ampleur de la confusion qu'a générée la trahison de la direction de la FIIQ.

L'élite politique québécoise est très consciente que la lutte des infirmières peut amorcer un mouvement plus large qui défiera directement les politiques d'étranglement des programmes sociaux et publics, politique implantée à la demande de la grande entreprise. Dans son éditorial de jeudi, le quotidien montréalais La Presse accusait les agents de la police provinciale, la Sûreté du Québec, de miser «précisément sur l'aspect répressif de leur travail pour exercer une sorte de chantage. Ils savent bien que l'État aura peut-être besoin d'eux pour maintenir l'ordre au cours d'un automne qui s'annonce fort chaud en matière de relations de travail dans la fonction publique et espèrent que le gouvernement sera vite disposé à acheter la paix».

Avant même que les infirmières ne rejettent très clairement l'entente de principe, les médias faisaient déjà remarquer que leur grève marquait la fin du «modèle québécois», l'expression consacrée pour désigner la collaboration syndicats-gouvernement-employeurs. Les grandes entreprises au Québec, ainsi que leurs représentants politiques, le PQ indépendantiste et le Parti Libéral du Québec (PLQ) fédéraliste, se vantent depuis longtemps de «l'avantage compétitif du Québec», le nom de la collaboration étroite et institutionnalisée qu'ils ont développée avec les syndicats après la période de troubles sociaux généralisés du début des années 70. Les bureaucrates syndicaux, pour leur part, ont enrobé leur politique corporatiste de l'idéologie nationaliste.

Depuis près de deux décennies maintenant, les péquistes ou les libéraux, une fois au pouvoir, ont sabré les budgets destinés à financer le réseau public de la santé. Mais les racines de la grève actuelle se trouvent dans deux initiatives gouvernementales qui ont été appuyées par les syndicats, y compris la FIIQ, comme partie intégrante de leur politique de conciliation (qu'ils aiment appeler «dialogue»). La première, appuyée quand même avec une légère réserve par les syndicats, est le virage ambulatoire, qui a été présenté comme un programme devant améliorer les soins à domicile et les cliniques de jour mais ne visait en fait qu'à fermer des hôpitaux et réduire le budget dédié à la santé. L'autre est né du «sommet économique national» appelé par le gouvernement péquiste à l'automne 1996, où l'on vit les syndicats du Québec s'entendre avec le PQ et les grandes entreprises sur le fait que le principal objectif du gouvernement québécois devrait être l'élimination du déficit de la province pour l'an 2000.

Les infirmières débattent d'une nouvelle stratégie

Le vote retentissant des infirmières pour rejeter l'entente et continuer leur lutte est encore plus significatif du fait que 63% d'entre elles y aient participé, et que l'entente en question avait été entérinée par 62% des 600 délégués du Conseil Confédéral samedi dernier.

L'unité entre les infirmières francophones et anglophones est manifeste dans cette grève, comme le souligne le rejet massif de l'entente dans pratiquement tous les hôpitaux de Montréal. Les infirmières du Montreal Children's Hospital (l'Hôpital de Montréal pour enfants) ont rejeté l'entente à 95%, alors que celles de l'Hôpital Sacré-Coeur, un des plus importants hôpitaux francophones, l'ont rejeté à 88%.

L'entente n'a jamais même été près de satisfaire les infirmières. La création de nouveaux postes ne suffisait pas même à combler le manque à gagner créé en 1997 alors que 3500 infirmières parmi les plus expérimentées ont été poussées à accepter une préretraite par le gouvernement et leur syndicat. Depuis 10 ans, les infirmières ont subi une baisse de salaire en termes de dollars constants, et une augmentation dramatique de leur charge de travail, ce qui n'a pas empêché la direction de la FIIQ d'accepter l'offre gouvernementale d'une augmentation de 5% pour 3 ans et d'un rattrapage limité, si jamais une étude de leur situation comparative, dont les paramètres sont de toute façon déterminés par le gouvernement, s'avérait favorable. Et pour couronner le tout, la direction de la FIIQ a défendu une entente sans protocole de retour au travail, c'est-à-dire qui laissait les infirmières complètement exposées aux pénalités draconiennes prévues par les lois 160 et 72.

Les administrations des hôpitaux ont déjà commencé à imposer une amende valant deux jours de salaire pour chaque de grève aux infirmières. Avec des pertes qui ont déjà atteint 7500 dollars dans certains cas, les infirmières auraient littéralement financé les «gains» de l'entente de principe.

La colère des infirmières est d'autant renforcée qu'elles bénéficient de l'appui de vastes couches de la population, préoccupées par la détérioration rapide du réseau public de santé.

Au grand dam du gouvernement et des éditorialistes, la campagne de mobilisation de l'opinion publique contre la grève qui consistait à dénoncer les infirmières pour défier la loi et pour tenir les patients en otage n'a jamais levé. Soir après soir, des reportages montraient des patients qui appuyaient les infirmières. Dans une interview qu'il donnait mardi, même le directeur-général du Centre universitaire de McGill, un complexe de quatre hôpitaux employant 3000 infirmières, exprimait la sympathie qu'il éprouvait face à la grève: «Nous sommes d'accord avec les infirmières», a dit le Dr Hugh Scott, «sur l'état de délabrement de notre système de santé et elles ont attiré l'attention sur les questions importantes.»

La présidente de la FIIQ, Jennie Skene, qui une journée avant le vote décrivait l'opposition à l'entente pourrie comme le fait d'une minorité de dissidentes, a dit, lors de la conférence de presse où furent annoncés les résultats du vote, que le rejet était un vote de non-confiance pour le gouvernement qui a imposé des coupures sauvages au nom d'une réforme de la santé. «Cette entente a été rejetée parce que les infirmières ne font pas confiance à leurs vis-à-vis patronaux, comme elles ne font plus confiance au gouvernement et à sa capacité de leur rendre enfin justice», a-t-elle déclarée. Elle a aussi déclaré qu'elle ne considérait pas démissionner.

Selon Skene, le Conseil confédéral de la FIIQ va discuter des différentes options qui s'offrent maintenant aux infirmières, y compris la démission en bloc, la poursuite de la grève sans services essentiels, ou le report de toute action à l'automne lorsque les autres travailleurs du secteur public vont commencer leur mobilisation.

France Picarou, présidente du syndicat à l'Hôpital Sacré-Coeur et dirigeante des dissidents au sein de la bureaucratie de la FIIQ, a demandé que le contrat des infirmières soit décidé par un arbitre. «L'arbitrage serait une meilleure voie, même si [le premier ministre] Bouchard et [le chef du PLQ] Charest s'y opposent.»

La ministre de la Santé, Pauline Marois, avait dit qu'elle commenterait le vote après le dévoilement des résultats mercredi soir, mais elle est revenue sur sa promesse. Un de ses porte-parole a plus tard annoncé que le gouvernement n'avait pas l'intention de modifier quoi que se soit de l'entente qui venait d'être rejetée.

La nécessité d'une lutte politique

Les infirmières éprouvent présentement un sentiment de satisfaction, et même de jubilation. Lundi et mardi, c'était plutôt la colère et la perplexité qui les habitaient lorsqu'elles prenaient connaissance des termes de l'entente. Et mercredi, malgré que pèsent toujours les menaces d'amendes imposantes, et malgré la trahison de la direction de la FIIQ, elles ont de façon large et catégorique affirmé leur détermination à continuer la lutte.

Toutefois, le gouvernement péquiste n'a pas été mis K.O. Les infirmières ont vu leur direction syndicale se liguer avec le gouvernement contre elles. Si Skene et la bureaucratie de la FIIQ ont voulu mettre un terme à la grève, ce n'est pas parce qu'elles craignaient le gouvernement, mais plutôt le grand appui du public envers la grève des infirmières. Elles craignaient que si les infirmières arrivaient à défier avec succès les lois antisyndicales et les amendes du gouvernement québécois, l'autorité du PQ serait minée, ce qui pourrait inciter d'autres sections de la classe ouvrière à entreprendre le même type d'action.

Plusieurs infirmières ont déjà reconnu la nécessité d'élargir la lutte. Dès le début, la bureaucratie de la FIIQ a essayé d'isoler les infirmières des autres travailleurs du secteur public, dans l'espoir que le gouvernement Bouchard pourrait leur faire quelques concessions. En échange, la FIIQ aurait continué à appuyer les mesures d'austérité du gouvernement.

Il n'est pas exclu que les dirigeants de la FIIQ promettent maintenant de se joindre à la lutte des autres travailleurs du secteur public, qui commencera d'ici quelques semaines, pour tenter de diluer le courant de dissidence de la base et pour resserrer les liens avec les autres bureaucrates syndicaux afin de mieux étrangler la lutte des infirmières.

Il n'y a pas de raison de reporter à plus tard une lutte unifiée de tous les travailleurs du secteur public. Les infirmières ont montré la voie à la classe ouvrière du Québec et dans le reste du Canada, premièrement en défiant la batterie de lois utilisée par le gouvernement péquiste pour briser leur grève, et maintenant en se révoltant contre la capitulation de leur direction syndicale. Elles se sont gagné l'appui massif de l'opinion publique. Il n'y a pas de meilleur moment qu'aujourd'hui pour lancer l'appel pour une vaste mobilisation de la classe ouvrière contre la destruction du système de santé par le gouvernement péquiste.

Il y a une condition sine qua non pour faire avancer la lutte des infirmières: elles doivent retirer la direction de la grève des mains de Jennie Skene et des autres représentantes de la FIIQ, et répudier l'appui politique que ces dernières ont donné au gouvernement péquiste. Un comité de grève central doit être établi avec des représentants de tous les hôpitaux et établissement de santé en grève, élus parmi les infirmières de la base.

Au même moment, elles doivent se tourner ouvertement vers la classe ouvrière, en appelant les autres travailleurs du secteur public, les travailleurs en industrie et tous les autres à se joindre à elles maintenant dans un mouvement de grève générale pour défendre le système de santé, annuler les coupures passées, satisfaire les demandes légitimes des infirmières, annuler toutes les amendes et toutes les sanctions, et retirer les lois antisyndicales. Une telle campagne gagnerait un large appui non seulement au Québec, mais aussi parmi les travailleurs à travers le Canada, surtout au sein des travailleurs du secteur public qui sont dans des luttes semblables à celle des infirmières.

Comme la lutte des enseignants en Ontario en 1997 et la révolte des travailleurs français du secteur public en novembre et décembre 1995, la grève des infirmières du Québec a montré le peu d'appui au sein de la population pour les plans de démantèlement des programmes sociaux publics avancés par les grandes entreprises. Ces politiques dominent largement la scène politique actuelle pour deux raisons principales. La première est qu'elles ont été soutenues activement par les syndicats et les partis sociaux-démocrates et staliniens, en qui les travailleurs ont traditionnellement mis leur confiance. La deuxième est l'espoir illusoire que des mouvements même massifs de protestation contre le démantèlement des programmes sociaux pourraient forcer la classe dirigeante à revenir aux politiques du boum d'après-guerre qui ont mené à l'État-Providence.

Si les infirmières, en luttant pour ce qui à leurs yeux, et aux yeux de presque tout le public, est entièrement raisonnable, se trouvent dans l'obligation de briser la loi, et d'entrer en collision frontale avec le gouvernement, c'est parce que la défense des programmes sociaux se bute aux plans de la grande entreprise visant à subordonner tous les aspects de la politique sociale aux impératifs du marché. Même si elles n'en sont pas encore conscientes, les infirmières ont défié la stratégie de classe non seulement du gouvernement péquiste de Bouchard, mais aussi de toute la bourgeoisie canadienne, en commençant par celle du gouvernement fédéral libéral de Chrétien, qui, de tous les gouvernements au Canada, est celui qui a le plus diminué les dépenses sociales, tant en termes absolus que relatifs.

Au démantèlement des programmes sociaux qui n'a d'autre but que d'assurer la compétitivité des entreprises, les travailleurs doivent opposer la lutte pour un gouvernement ouvrier, qui réorganisera radicalement l'économie pour que les grands gains de productivité qui résultent de la révolution technologique présente puissent être utilisés à améliorer le sort de la grande majorité de la population et pas seulement celle d'une petite minorité.

La lutte des infirmières peut devenir un catalyseur important pour le déclenchement d'une vaste contre-offensive politique de la classe ouvrière. Mais elle doit briser les limites trop étroites de la lutte syndicale pour une convention collective. Les infirmières doivent transformer leur lutte pour qu'elle devienne le fer de lance d'un mouvement qui mobilise les travailleurs du secteur public au Québec et à travers le Canada, et entreprenne des actions au niveau politique et industriel pour défendre la santé et tous les programmes sociaux.

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