Bob Gould 1937-2011 : Une évaluation politique

Le militant de « gauche » du Parti travailliste australien (Australian Labor Party - ALP) et libraire Bob Gould, décédé le 22 mai dernier à l'âge de 74 ans, a été décrit dans les notices nécrologiques de plusieurs comme un trotskyste. Rien n'est plus faux. Le trotskysme est, d'abord et avant tout, basé sur une perspective internationaliste. Or, la politique de Gould était fondée sur la doctrine du nationalisme australien, façonnée et développée sur l'hostilité organique du Parti travailliste australien face à l'idéologie « étrangère » du marxisme.

Pendant presque toute sa carrière politique, Gould n'a pas été trotskyste, mais un représentant australien de la tendance politique connue sous le nom de pablisme. Cette tendance tire son nom du secrétaire de la Quatrième Internationale dans les années de l'après-guerre, Michel Pablo. Le pablisme est apparu au début des années 1950 comme une révolte de la classe moyenne contre le programme et les principes du Parti mondial de la révolution socialiste fondé par Léon Trotsky en 1938.

Le pablisme a rejeté les deux fondements politiques centraux de la Quatrième Internationale, à savoir que la lutte pour le socialisme doit être fondée sur une stratégie internationale contre les idéologies nationalistes dominant le mouvement ouvrier dans chaque pays, et, découlant de cela, que la tâche du parti révolutionnaire, dans toutes les conditions, est de lutter pour l'indépendance politique de la classe ouvrière face à la bourgeoisie et tous ses représentants politiques et apologistes au sein du mouvement ouvrier.

Répudiant ces notions fondamentales, le pablisme a cherché à adapter le programme du trotskysme au milieu national en vigueur. Dans son travail politique qui s'étend sur cinq décennies et demie, Gould s'est révélé un ardent partisan du pablisme, tentant de développer des formules à consonance de « gauche » et « trotskyste » pour bloquer le développement d'une lutte politique indépendante pour l'internationalisme socialiste contre le Parti travailliste australien et la bureaucratie syndicale.

Gould est né en 1937. Il était le fils de Steve Gould, un ancien combattant de la Première Guerre mondiale qui avait combattu à Gallipoli et sur le front occidental. Steve Gould était un fervent partisan de Jack Lang, un politicien populiste de l'extrême droite nationaliste blanche australienne et premier ministre travailliste de la Nouveau-Galles du Sud (NSW) dans les années 1920 et au début des années 1930. Son père est resté un proche allié politique de Lang tout au long de sa vie. Les deux hommes ont été expulsés ensemble du Parti travailliste pour s'être opposés à la conscription lors de la Seconde Guerre mondiale. Lang a été réadmis au sein du Parti en 1971, suite à une motion présentée par deux députés - le trésorier du Parti travailliste et futur premier ministre australien Paul Keating, et Bob Gould.

C'est à l'adolescence que Gould commence sa vie politique active en 1954, rejoignant à la fois l'ALP et le Club travailliste de l'Université de Sydney qui était dominé par le Parti communiste de l'Australie (Communist Party of Australia - CPA). Sa relation exacte avec le Parti communiste à cette époque n'est pas tout à fait claire, mais il en a été membre en pratique et il assistait régulièrement aux réunions et aux rassemblements du parti. Son principal domaine d'action politique était au sein du Comité directeur du Parti travailliste de la Nouvelle-Galles du Sud (NSW Labor Party), formé en 1954 avec un apport considérable du Parti communiste pour combattre l'influence au sein de l'ALP de la faction « Grouper » de droite qui était appuyée par l'Église catholique. Le conflit était né de l'anticommunisme de la Guerre froide et devait conduire à une scission l'année suivante au Parti travailliste.

Cependant, un bouleversement politique beaucoup plus important n'allait pas tarder à venir. En février 1956, Khrouchtchev prononçait son « discours secret » au XXe Congrès du Parti communiste de l'Union soviétique, révélant quelques-uns des crimes monstrueux de Staline. Ce discours a produit une crise profonde au sein du Parti communiste. Gould a cherché à vérifier ces révélations, et il été parmi ceux qui ont été influencés par l'agitation publique menée à Sydney contre les staliniens par un jeune trotskyste britannique du nom de Gavin Kennedy. Kennedy avait été gagné au trotskysme après avoir rejoint une cellule du Parti travailliste à Londres au sein de laquelle des membres du groupe trotskyste britannique dirigé par Gerry Healy effectuaient du travail politique.

Gould et son proche associé de l'époque, Denis Freney, ne se sont cependant pas tournés vers le Comité international de la Quatrième Internationale. Au lieu de cela, ils ont rallié une tendance pabliste dirigée par Nick Origlass.

Origlass avait mené la lutte pour bâtir la section australienne de la Quatrième Internationale à la fin des années 1930, et il avait mené une lutte courageuse pour le programme du trotskysme pendant la Seconde Guerre mondiale. Lui et ses camarades ont défié les efforts combinés de la bureaucratie stalinienne et de l'État capitaliste pour détruire le mouvement trotskyste tout au long de la guerre et dans l'après-guerre immédiat. Mais, sous l'effet des puissantes pressions générées par le rétablissement de l'après-guerre et le boom économique, Origlass a été attiré par la perspective pabliste. En novembre 1953, le chef du Socialist Workers Party aux États-Unis, James P. Cannon, a publié une lettre ouverte au mouvement trotskyste mondial, appelant à une répudiation de la politique de Pablo et à un retour au « trotskysme orthodoxe ». Bien qu'Origlass se soit étroitement aligné sur les positions de Cannon et de Healy pendant des années, au début de 1954, il a déclaré qu'il n'y avait pas de soutien au sein de l'organisation australienne pour les positions de Cannon.

Gould décrira plus tard son temps dans le groupe Origlass comme son « université ». Le travail politique était centré sur le Parti travailliste et la Campagne pour le désarmement nucléaire, calqués sur l'organisation britannique.

Au début des années 1960, l'intervention impérialiste des États-Unis au Vietnam a commencé à s'intensifier, et le gouvernement australien libéral de Robert Menzies était tout disposé à y apporter son soutien. En 1964, il introduit la conscription militaire, grâce à un système de sélection basé sur les dates d'anniversaire, puis en mai 1965, le premier contingent de troupes australiennes est envoyé au Vietnam.

Gould et quelques-uns des plus jeunes membres de la Campagne pour le désarmement nucléaire utilisent la liste de diffusion du groupe pour mettre sur pied la Campagne d'action pour le Vietnam (Vietnam Action Campaign - VAC). À titre de secrétaire de la nouvelle organisation, il aide à organiser sa première manifestation contre la guerre du Vietnam en septembre 1965. Le mouvement se développant en Australie contre la guerre et la conscription s'inscrit dans une radicalisation de la jeunesse à l'échelle internationale qui aboutit à des manifestations de masse contre la guerre du Vietnam dans les années 1960 et au début des années 1970.

Il est indéniable que Gould a joué un rôle énergique dans la campagne antiguerre, entrant en conflit avec les sections du Parti communiste australien dominées par les appareils qui contrôlaient le soi-disant « mouvement pour la paix ». De tels conflits ne survenaient pas qu'à Sydney. Ils se sont produits en effet sous une forme ou une autre dans chaque section du mouvement antiguerre, engendrés par l'approfondissement de l'hostilité des jeunes politisés face aux tentatives des staliniens et des groupes religieux à confiner l'agitation antiguerre à lancer des slogans tels « Arrêt des bombardements! Négociations! » plutôt que de réclamer le retrait complet des troupes américaines et australiennes.

La véritable tâche des « trotskystes » dans le mouvement antiguerre était d'éduquer les étudiants et les jeunes travailleurs radicalisés afin qu'ils comprennent la politique réactionnaire des réformistes du Parti travailliste et des staliniens du Parti communiste, et pour les mener à embrasser une lutte politique au sein de la classe ouvrière pour une perspective socialiste révolutionnaire. Une telle orientation apparaissait comme une véritable abomination pour Gould.

Bien au contraire, Gould cherchait à promouvoir des illusions dans le Parti travailliste et ses dirigeants. Rappelant ses expériences dans le mouvement antiguerre, Gould allait écrire plus tard que « l'ensemble du mouvement ouvrier officiel, notamment Arthur Calwell, le courageux leader parlementaire du Parti travailliste, s'est fortement opposé à l'envoi de troupes australiennes au Vietnam, et a exigé leur retrait. »

C'est là une distorsion complète de l'histoire. Le Parti travailliste n'a jamais contesté l'intervention américaine au Vietnam, et encore moins remis en question l'incident du golfe du Tonkin, en août 1964, qui a servi à justifier le déclenchement des opérations militaires contre le Vietnam du Nord. Ainsi, en février 1965, le comité parlementaire du Parti travailliste en matière d'Affaires étrangères, alors présidé par le leader « de gauche » bien en vue Jim Cairns et qui allait plus tard devenir le politicien travailliste « antiguerre » le plus important, a publié une déclaration soutenant les frappes américaines contre le Vietnam du Nord.

L'opposition de Calwell à la guerre était liée à sa crainte de voir la lutte contre la conscription se développer hors du contrôle du Parti travailliste. Calwell s'était politiquement aiguisé les dents alors qu'il était jeune dans les luttes anti-conscription de la Première Guerre mondiale. Ces luttes avaient justement divisé le Parti travailliste et joué un rôle non négligeable dans la radicalisation qui avait conduit à la fondation du Parti communiste en 1920.

En ce qui concerne le Vietnam, l'opposition de Calwell contre la guerre relevait d'une approche pragmatique, et non de principe. Il ne s'est pas opposé à l'impérialisme américain comme tel, et il insistait pour que l'ALP continue de soutenir l'alliance avec les États-Unis en vertu du traité ANZUS. Calwell a toujours qualifié la guerre du Vietnam comme une « guerre sale, pourrie et ingagnable » - l'implication étant que si les États-Unis avaient eu plus de succès, ils auraient bénéficié du soutien du Parti travailliste.

En août 1967, Gould a fondé un groupe de jeunes nommé « Resistance » avec ses deux plus proches collaborateurs du VAC, Jim et John Percy. Le groupe Resistance a ouvert la librairie Third World Bookshop à Sydney, marquant ainsi le début de ce qui allait devenir l'activité principale de Gould pour le restant de sa vie.

Deux ans plus tard, en 1969, Gould et les frères Percy fondent l'International Marxist League (IML) qui prétendait avoir une orientation « trotskyste ». Toutefois, l'IML devait n'avoir qu'une existence de très courte durée. Les frères Percy se sont tournés vers le Socialist Workers Party des États-Unis, et ont cherché à établir une section australienne du Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale (SU) - l'Internationale pabliste.

Cette initiative a mené les frères Percy en conflit avec Gould, qui s'opposait à la fois à toute affiliation internationale, et à toute structure organisationnelle formelle, de peur qu'elles ne limitent sa liberté de manouvre dans la sphère nationale et diminue son contrôle. L'organisation s'est donc scindée et les frères Percy ont ensuite fondé la Socialist Workers League. Gould de son côté a conservé la propriété et le contrôle de la librairie.

Même si la scission avec les frères Percy a été amère, notamment parce qu'il y avait une question de propriété, celle-ci n'était pas, en dernière analyse, basée sur des différences fondamentales. En dépit de tous leurs conflits, les deux tendances nourrissaient la même hostilité envers les fondements programmatiques du trotskysme qui avait déjà été énoncée par Pablo. En 1985, seulement 15 ans après la scission avec Gould, l'organisation des frères Percy, devenue depuis le Socialist Workers Party, poussait la perspective liquidationniste du pablisme à sa conclusion logique, en déclarant que la fondation de la Quatrième Internationale avait été « une farce », et elle se séparait du SU.

En 1969 une autre tendance politique est également apparue - l'une avec laquelle Gould allait avoir une relation très différente. Un certain nombre de jeunes militants à Sydney avaient créé un groupe de discussion marxiste dans le but de chercher une solution de rechange à la politique de protestation du mouvement antiguerre. Avec des tendances partageant les mêmes idées dans d'autres villes, des membres du groupe ont fondé en avril 1972 la Socialist Labour League (l'ancêtre du Socialist Equality Party - SEP), qui allait devenir la section australienne du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), le mouvement trotskyste mondial, au mois de novembre de la même année. La SLL a été spécialement créée sur la base de la lutte contre le pablisme, et plus particulièrement sur la lutte menée par les trotskystes britanniques entre 1961 et 1963 contre la réunification du SWP américain avec l'Internationale pabliste. L'organisation était donc politiquement hostile à Gould.

L'un des signes de la dégénérescence politique survenue au sein de la direction du mouvement trotskyste britannique entre 1972 et 1985, et qui a conduit le CIQI à prendre ses distances du Workers Revolutionary Party (WRP) en 1985-1986, a été le rapprochement en 1975 par Gerry Healy, le leader du WRP, vers Bob Gould. En 1978-1979, les dirigeants du WRP tentaient d'opérer une fusion entre la SLL d'une part, et Gould et ses partisans de l'autre. Mais la tentative s'est révélée vaine. Telle était l'hostilité parmi les membres du SLL envers la politique pabliste de Gould et son opportunisme de manouvre au sein du Parti travailliste - une hostilité fondée sur le programme pour lequel Healy avait combattu avec tant de ténacité dans une période antérieure, et qui s'était révélé si attrayant pour les fondateurs de la SLL.

Dans tous les tours et les détours de la carrière politique de Gould, on retrouve une constante : son adhésion au Parti travailliste et son insistance sur le fait que tout mouvement de la classe ouvrière serait exprimé en son sein, et que ce n'est que de lui qu'un mouvement socialiste apparaîtrait. Bref, selon Gould, la classe ouvrière ne pouvait tout simplement pas se développer indépendamment de l'ALP.

L'une des principales caractéristiques de la perspective politique de Pablo que Gould a sans nul doute trouvée intéressante lorsqu'il a quitté le Parti communiste était justement que les « trotskystes » devaient entrer dans le Parti travailliste. Cela devait être entrepris, non pas comme tactique à court terme, mais afin qu'ils puissent « s'intégrer » dans le « mouvement réel des masses » et l'influencer de l'intérieur.

Comme tactique, et non pas comme stratégie, l'entrisme avait une certaine validité dans le boom de l'après-guerre des années 1950 et 1960, et peut-être même jusque dans les années 1970. Durant cette période, les luttes de la classe ouvrière trouvaient en effet une certaine expression limitée à l'intérieur de l'ALP, dans des conditions où le parti avait toujours une base dans la classe ouvrière et comprenait dans ses rangs des travailleurs et des intellectuels qui se considéraient comme luttant pour le socialisme. Mais cette ère a pris fin avec le coup de Canberra en novembre 1975, lorsque le gouvernement travailliste Whitlam a été évincé par le gouverneur général. Ce coup n'était en soi qu'une expression des grands changements économiques résultant de l'effondrement du boom capitaliste de l'après-guerre.

Ayant refusé de lever le petit doigt contre le limogeage du gouvernement travailliste -malgré l'opposition massive de la classe ouvrière et de larges sections des classes moyennes face au coup d'État - le Parti travailliste s'est déplacé rapidement vers la droite.

Les attaques du « libre marché » contre la classe ouvrière qui ont été lancées par les gouvernements Thatcher et Reagan dans les années 1980 ont été reprises en Australie par le gouvernement travailliste Hawke-Keating arrivé au pouvoir en 1983. Cette offensive a été soutenue par l'ensemble de la bureaucratie syndicale, avec les éléments de la « gauche » du Parti travailliste et les staliniens du Parti communiste qui ont joué un rôle clé dans l'accord du gouvernement sur les prix et les revenus. En l'espace de dix ans, les syndicats ont cessé de fonctionner de façon un tant soit peu significative en tant qu'organisations de défense de la classe ouvrière. Comme leurs homologues étrangers, ils se sont transformés en appareils bureaucratiques servant à imposer le programme dicté par les élites financières et des entreprises.

Plus le Parti travailliste et les syndicats fonctionnaient comme des agences ouvertes des élites dirigeantes, et plus Gould devenait véhément dans son insistance sur le fait que ce n'était que dans les limites de ces organisations qu'une lutte politique significative pourrait avoir lieu, et plus hostile encore se montrait-il à toute lutte indépendante contre elles.

Le contenu réactionnaire de la politique de Gould a éclaté au grand jour lors de la dernière grande lutte dans laquelle il s'est impliqué, à savoir le conflit à propos de la décision du gouvernement travailliste de la Nouvelle-Galles du Sud en 2008 de privatiser le réseau électrique de l'État. Le gouvernement a pris cette décision suite à l'insistance de puissants intérêts financiers, et contre l'opposition des membres du Parti travailliste, des travailleurs de l'électricité et du public en général.

À l'époque, le Socialist Equality Party (SEP) avait averti qu'on ne pouvait accorder la moindre confiance à l'opposition verbale de sections de la direction syndicale et des leaders en vue de l'ALP, et a expliqué que la lutte contre la liquidation des infrastructures de l'État ne pourrait aller de l'avant tant qu'elle ne se transformait pas en une lutte politique contre le Parti travailliste et l'ensemble des directions syndicales. Quelle que soit la rhétorique de ces derniers, ils s'aligneraient en dernière analyse derrière les exigences de l'élite financière.

La réaction de Gould a été de dénoncer le World Socialist Web Sitecomme « agent publicitaire de la classe dirigeante » et le SEP comme « défaitiste » et « traître pro-conservateur », affirmant sur un ton menaçant que « les gens qui passent du côté de l'ennemi sont toujours considérés comme des traîtres, et il n'y a pas de pitié à avoir pour les traîtres politiques ».

Le seuil politique avait été franchi. Gould, qui avait passé toute sa vie politique à attaquer l'aile droite du Parti travailliste, la défendait maintenant, en utilisant ses méthodes réactionnaires pour attaquer ses adversaires socialistes.

L'issue du conflit sur la privatisation de l'électricité a pleinement confirmé l'analyse du SEP. À la fin de 2010, lorsque la privatisation s'est éventuellement effectuée aux derniers jours du gouvernement travailliste Keneally, John Robertson, ancien chef des syndicats de la Nouvelle-Galles du Sud - un homme en qui Gould ne voyait aucun signe de trahison - était ministre au sein même du gouvernement qui adoptait la législation permettant la privatisation.

Au cours de sa vie, chaque individu exprime, d'une manière ou d'une autre, les grandes tendances sociales et politiques de son époque. Bob Gould est devenu proéminent dans la vie politique avec la radicalisation de la jeunesse qui a caractérisé le mouvement antiguerre du Vietnam.

Son évolution au cours des 40 dernières années a également été liée à des changements sociaux et politiques précis. Les représentants de la classe moyenne du mouvement antiguerre des années 1960 et du début des années 1970 sont devenus des « pseudo-gauchistes » pro-impérialistes. Par exemple, divers opposants « anti-impérialistes » de la guerre du Vietnam se rallient actuellement ouvertement aux bombardements de l'OTAN contre la Libye. Gould a été un pionnier dans ce processus.

Un tournant décisif est survenu en 1999, avec l'apparition de ce qui a été qualifié d'« impérialisme éthique » - une version actualisée du « fardeau de l'homme blanc ». Les grandes puissances impérialistes se sont alors approprié le droit de mener une action militaire et de renverser des régimes réputés avoir violé les « droits humains ». La nouvelle doctrine a été lancée en avril 1999, avec la campagne de bombardements de la Serbie par les forces américaines et l'OTAN, sur la base du motif qu'elle était nécessaire pour empêcher le génocide de la population du Kosovo. L'impérialisme éthique a ensuite été invoqué plus tard la même année pour justifier l'intervention militaire australienne au Timor oriental.

En septembre-octobre 1999, Gould a joué un rôle prépondérant dans la campagne « de gauche » de la classe moyenne qui réclamait une intervention militaire de l'Australie pour défendre le peuple du Timor oriental, qui, dans sa lutte pour l'indépendance, avait été attaqué par des escadrons de l'armée indonésienne. Les mêmes arguments utilisés actuellement pour justifier l'attaque contre la Libye avaient alors été avancés à nouveau. Il n'y avait « pas d'autre solution » qu'une intervention si on voulait empêcher un « massacre ». En fait, la motivation réelle du gouvernement australien dans le déploiement de forces au Timor oriental n'était pas de protéger le peuple du Timor oriental, mais bien de défendre ses intérêts impérialistes, soutenus par les États-Unis, contre des puissances rivales, en particulier l'ancienne puissance coloniale qu'est le Portugal.

Dans un article publié en octobre 1999 et intitulé « Marching with the war drums »

(Marchant au rythme des tambours de guerre), Gould a reconnu ouvertement qu'il s'alignait sur les puissances impérialistes. « Selon moi, écrivait-il, le FMI, la Banque mondiale et le Pentagone sont certes des alliés très dangereux, mais je suis néanmoins soulagé que dans le cas présent, leurs pressions ont été suffisantes pour permettre l'ouverture d'une fenêtre d'opportunité qui, si nous mobilisons suffisamment l'opinion publique en Australie, permettra à l'armée australienne d'être l'une des sages-femmes d'une nouvelle nation indépendante au Timor oriental. »

L'attitude pro-impérialiste de Gould s'inscrivait dans un mouvement plus large. Relatant son expérience avec les manifestations pro-intervention, il écrivait : « J'ai été frappé par la manière quasi universelle où presque tout le monde de ma génération qui s'est opposé à la guerre du Vietnam est venu très rapidement à la même conclusion que moi. »

La signification de la campagne de « la gauche » qui s'était autrefois opposée à la guerre du Vietnam en faveur d'une intervention militaire au Timor n'a pas échappé aux sections les plus perspicaces de la classe dirigeante. Comme l'Australian Financial Review commentait : « Cet appel aux armes a, pour la première fois, donné une grande légitimité à l'idée que l'Australie devrait être en mesure d'intervenir militairement en dehors de son territoire. »

Plus d'une décennie plus tard, les forces australiennes sont toujours au Timor oriental. Elles ont joué un rôle clé en y effectuant un « changement de régime » en 2006. Depuis 2001, elles ont participé aux guerres d'Afghanistan et d'Irak, et elles continuent de jouer un rôle significatif dans l'occupation de ces pays par les États-Unis et l'OTAN. En 2003, elles ont été déployées aux îles Salomon, et y sont toujours. Gould a joué un rôle dans la création des conditions politiques qui ont permis à ces interventions criminelles d'avoir lieu.

Avant toute chose, tout au long de sa carrière politique, Gould s'est opposé à la lutte pour le développement du marxisme au sein de la classe ouvrière, insistant sur le fait que cette approche relevait du « sectarisme ». Il était nécessaire, soutenait-il, de poursuivre un cours soi-disant « réaliste ». Cette hostilité bien ancrée à la lutte pour une politique de principes signifiait que, après avoir fait ses débuts comme agitateur antiguerre et anti-impérialiste, il a fini par contribuer à l'établissement de nouveaux mécanismes idéologiques pour justifier le militarisme impérialiste.

En tant que personnage politique, Gould avait ses propres particularités et excentricités personnelles, ainsi qu'une apparence plutôt bohème, qui se reflétaient dans l'agencement et l'organisation chaotiques de sa librairie. En tant que propriétaire de librairie, il a fonctionné à la fois comme récepteur et comme émetteur d'information politique. Mais au fond, il représentait cette couche de la classe moyenne, de la bureaucratie syndicale et du Parti travailliste qui a travaillé à subordonner politiquement la classe ouvrière à l'État capitaliste dans l'après-guerre.

Des représentants des diverses tendances de ce milieu social et politique ont assisté à ses funérailles pour rendre hommage à son rôle et reconnaître que, quelles que soient les différences survenues de temps en temps, ils étaient tous liés par des intérêts plus profonds.

La hiérarchie du Parti travailliste était bien représentée. Parmi les personnes présentes, il y avait Barrie Unsworth, pendant longtemps le chef de la machine de droite qui est maintenant à la tête du Parti travailliste de la Nouvelle-Galles du Sud, et ancien premier ministre d'État et secrétaire du Conseil travailliste de la Nouvelle-Galles du Sud (NSW Labor Council - maintenant Unions NSW). Il était accompagné de ses collègues de la droite du Parti travailliste, Michael Lee, l'ancien ministre du Cabinet du gouvernement Keating, et l'ex-président de la Chambre des représentants, Leo McLeay. D'éminents staliniens étaient également présents, dont Jack Mundey, qui a été pendant un temps président de la Fédération des travailleurs de la construction de la Nouvelle-Galles du Sud et est l'un des dirigeants du Parti communiste. Lee Rhiannon, membre à plein temps du Parti socialiste stalinien pro-Moscou et maintenant sénateur des Verts de la Nouvelle-Galles du Sud a également fait une apparition.

Les représentants de la « gauche » du Parti travailliste comprenaient l'ex-député de la Nouvelle-Galles du Sud et premier ministre Carmel Tebbutt, de même que Meredith Burgmann, ex-présidente de la Chambre haute de la Nouvelle-Galles du Sud. L'actuel secrétaire national adjoint de l'ALP, Nick Martin a été l'une des personnes qui a pris la parole.

Au parlement de la Nouvelle-Galles du Sud, John Robertson, chef du Parti travailliste de la Nouvelle-Galles du Sud, a rendu hommage à Gould, saluant en lui un « grand contributeur de la capitale intellectuelle et politique [Sydney] depuis plusieurs décennies. » Il a été rejoint par Brad Hazzard, ministre du gouvernement d'État libéral nouvellement élu, qui a soutenu qu'à « cette occasion, le gouvernement et l'opposition ne font qu'un. »

Le milieu des pseudo-gauchistes était également bien représenté lors des funérailles, avec Phil Sandford, défenseur des opportunistes du WRP lors de la scission de 1985-1986 au sein du CIQI, qui a prononcé un discours louant Gould comme un « révolutionnaire », un « trotskyste » et un « long membre à vie de l'ALP. »

On pouvait sentir parmi les participants aux funérailles que ceux-ci s'étaient non seulement rassemblés pour pleurer la mort de Gould, mais que son décès coïncidait également avec la désintégration de l'appareil du Parti travailliste auquel, d'une manière ou d'une autre, ils avaient tous consacré leur vie. Nick Martin a rappelé ce que Gould lui avait dit peu avant sa mort : « Nous faisons face à un grand défi maintenant pour sauver l'ALP, ce qui exigera un niveau d'unité comme jamais auparavant. »

Tout au long de sa vie politique, Gould s'est battu pour empêcher que la classe ouvrière ne se sépare politiquement de façon consciente des politiques travaillistes et qu'elle lutte pour le socialisme révolutionnaire. Mais les conditions objectives qui ont soutenu cette politique n'existent plus. Les vastes changements dans la structure même du capitalisme mondial et qui ont un impact sur la classe ouvrière dans tous les coins du monde signalent l'arrivée d'une nouvelle période de luttes révolutionnaires. Les travailleurs et les jeunes qui comprennent la nécessité de lutter pour un avenir socialiste adopteront le programme du trotskysme.

C'était donc quelque peu symbolique que le corps de Gould ait reposé avec deux gros volumes des procès-verbaux du caucus de l'ALP sur son cercueil.

(Article original paru le 13 juin 2011)

 

 

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