La France rétablit les contrôles douaniers à la frontière avec l’Italie au milieu d’un conflit concernant les migrants africains

Par Kumaran Ira
15 avril 2011
La semaine passée, la France a entrepris une démarche sans précédent en rétablissant le 7 avril les contrôles douaniers aux frontières avec l’Italie après que Rome ait accordé des visas temporaires à des milliers d’immigrés africains. Au cours des trois mois qui ont suivi l’éclatement des protestations de masse et les luttes révolutionnaires en Afrique du Nord, un nombre grandissant de réfugiés africains est arrivé en Italie ; l’on estime que quelque 26.000 immigrés se trouvent sur le sol italien, dont 21.000 disent venir de Tunisie.

En vertu de l’accord de Schengen de l’Union européenne, qui avait été adopté en 1997, les immigrés peuvent circuler librement dans l’espace Schengen qui couvre la plus grande partie des pays de l’Union européenne, à l’exception du Royaume Uni et de l’Irlande. L’accord stipule qu’il ne doit pas y avoir de contrôles douaniers aux points de transit entre les pays, tels la France et l’Italie, qui ont signé l’accord de Schengen.

Craignant qu’un flot d’immigrés n’arrive en France où réside une vaste communauté nord-africaine, le gouvernement conservateur du président Nicolas Sarkozy a ignoré de fait l’accord de Schengen en ce qui concerne l’Italie. Dans le même temps, il a vivement critiqué l’Italie pour sa décision d’accorder des visas temporaires à ces migrants.

La France a resserré les contrôles frontaliers en ajoutant plus de 300 policiers de plus aux patrouilles qui surveillent les routes et les sentiers menant sur le territoire français, ainsi que les contrôles du trafic ferroviaire.

En mars, plus de 3.300 migrants tunisiens venus du Sud de l’Italie étaient arrivés dans la ville de Ventimiglia, située à 10 km de la frontière française. Ventimiglia est un point de transit d’où les réfugiés tentent de franchir la frontière vers la France, par train ou à pied. Cependant, ils sont régulièrement refoulés vers le territoire italien par les autorités françaises qui ont adopté une politique plus stricte à l’égard des réfugiés.

Le ministre français de l’Intérieur Claude Guéant a dit que la France avait interpellé en mars 2.800 migrants tunisiens sans papiers et que la plupart avaient déjà été renvoyés en Italie.

La décision unilatérale de la France de rétablir les contrôles frontaliers souligne l’extrême fragilité des bases juridiques de l’Union européenne capitaliste.

Ce n’est pas la première fois que l’élite dirigeante française a méprisé les principes juridiques de l’Union européenne. L’année dernière, bien que le Conseil de l’Europe ait condamné la France pour avoir interdit le port de la burqa comme étant antidémocratique et discriminatoire, le gouvernement Sarkozy a ratifié la loi anti-burqa. Elle entrera le 11 avril en vigueur en France qui est le premier pays occidental à appliquer une telle interdiction.

Jeudi dernier, après que l’Italie ait délivré des visas temporaires, Claude Guéant à dit au micro d’Europe1 : « La France ne subira pas une immigration à caractère économique ». Le même jour, il a donné des instructions aux préfets leur ordonnant de limiter l’impact des arrivées en France d’immigrés transitant par l’Italie.

La circulaire prévoit qu’un immigré qui désire franchir la frontière française doit « être muni d’un document de voyage en cours de validité reconnu par la France » et « d’un document de séjour en cours de validité », « justifier de ressources suffisantes, soit 62 euros par jour et par personne. » Les immigrés ne doivent pas « constituer… une menace pour l’ordre public » et « ne pas être entrés en France depuis plus de trois mois. »

L’Italie a accusé la France de violer l’accord de Schengen. Le ministre italien de l’Intérieur, Roberto Maroni, a dit, « Les Tunisiens auxquels nous accorderont le permis de séjour auront le droit de circuler. La France ne peut pas l’empêcher sauf en sortant de Schengen ou en suspendant le traité. »

La commissaire européenne en charge des Affaires intérieures, Cecilia Malmström, a critiqué la décision de Sarkozy bien que défendant la position réactionnaire pour que les migrants sans papiers soient renvoyés dans leur pays respectif. En vertu de l’accord de Schengen de l’UE, « vous n’êtes pas autorisés à faire des contrôles aux frontières » à moins qu’il y ait « une menace grave à l’ordre public or nous ne sommes pas dans ce cas, » a-t-elle dit.

La France a répondu qu’en vertu des accords de Chambéry, une convention bilatérale entre la France et l’Italie datant d’avant l’accord de Schengen, elle avait le droit de renvoyer des migrants sans papiers en Italie à des fins d’expulsion, si les responsables français ont des preuves qu’ils son venus d’Italie.

La décision du gouvernement Sarkozy d’intensifier le sentiment anti-immigré a lieu alors qu’on assiste à une montée du parti néofasciste Front National (FN) qui a tiré profit de la promotion du sentiment anti-immigré par Sarkozy et les partis bourgeois de « gauche ». Le FN est à présent déterminé à défier l’Union pour un mouvement populaire (UMP) de Sarkozy lors des élections présidentielles de 2012.

Les sondages d’opinion indiquent que l’UMP risque d’être éliminée dès le premier tour des élections en 2012. Le gouvernement Sarkozy est profondément impopulaire et a enduré une défaite lors des élections cantonales.

Dans ces conditions, le gouvernement Sarkozy en appelle au vote FN par le biais d’une politique raciste en faisant la promotion de sentiments antimusulmans et anti-immigrés. La semaine passée, l’UMP a lancé un débat controversé sur la pratique de l’Islam en France, attisant encore davantage le sentiment antimusulman. Dans le même temps, le gouvernement est en train de préparer un projet de loi sur l’immigration qui sera examinée en seconde lecture au Sénat le 12 avril.

Guéant qui projette d’expulser quelque 28.000 immigrés sans papiers d’ici fin 2011, a attaqué dernièrement les immigrés en disant : « Les Français, à force d’immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, ou bien ils ont le sentiment de voir des pratiques qui s’imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale. »

Le journal italien de droite La Stampa a écrit, « la lutte contre l’immigration (pas seulement clandestine) constitue le noyau dur de la présidence Sarkozy, tout comme la ‘sécurité’, véritable moteur de sa politique, dont l’origine et le développement sont dus à la confrontation avec l’extrême droite de Jean-Marie Le Pen [ancien dirigeant du FN]. »

Après un échange de critiques diplomatiques acerbes entre Paris et Rome, Claude Guéant a rencontré vendredi dernier à Milan son homologue Roberto Maroni. Il a été rapporté que les deux pays seraient parvenus à un accord pour organiser des patrouilles communes au large des côtes tunisiennes pour empêcher que les migrants ne se dirigent vers Europe.

De telles mesures soulignent le mépris total de la France, de l’Italie et d’autres gouvernements européens à l’égard des droits des migrants qui fuient l’oppression ou la misère dans leurs pays d’origine.

Le gouvernement français a défendu sa persécution réactionnaire des immigrés. Guéant a dit, « Ni l’Italie ni la France n’ont vocation à accueillir les migrants tunisiens qui sont venus en Europe pour des raisons économiques, nous allons donc travailler ensemble pour les rapatrier. »

Guéant a aussi dit que la France poursuivrait sa politique en envoyant des patrouilles aux frontières avec l’Italie pour stopper les migrants, il a insisté en disant qu’elle avait tout à fait le droit de renvoyer les migrants en Italie.

(Article original paru le 11 avril 2011)

Loading