Les soulèvements au Moyen-Orient

Les Egyptiens protestent contre la justification par l’Etat de la violence policière

Par Patrick Martin
8 juillet 2011

Des milliers de personnes ont défilé dans les principales villes égyptiennes pour exiger des sanction judiciaires contre les policiers qui ont tué des manifestants durant le mouvement révolutionnaire qui a contraint à la démission le dictateur de longue date, Hosni Moubarak. La police a tué 29 personnes et blessé plus de 1.000 entre le 25 janvier et le 11 février, mais pas un seul policier ni responsable du régime n’a été traduit en justice.

Quatorze policiers sont actuellement jugés devant le tribunal criminel de Suez pour meurtre et tentative de meurtre durant les 18 jours de troubles politiques qui ont conduit à la démission du président Moubarak le 11 février. Tout comme la place Tahrir au Caire, Suez a été le théâtre de la répression la plus sanglante de la part de la dictature de Moubarak, avec 29 personnes tuées et plus de 1.000 blessées. Les policiers jugés sont accusés d’avoir tué 17 personnes et blessé 350.

Cette nouvelle vague de protestations a été déclenchée au Caire lundi par la décision du juge de libérer sept policiers accusés du meurtre de manifestants dans la ville industrielle de Suez.

Dans ses remarques faites à l’audience, et signalées par l’agence d’information égyptienne MENA, le juge semblait avoir adopté une ligne dure à l’égard des accusés en déclarant, « Le sang de ceux qui ont été tués n’aura pas été versé en vain. » Mais il a ensuite ordonné leur mise en liberté sous caution en attendant le procès qui se tiendra le 15 septembre, et les a placés sous la protection du conseil militaire au pouvoir.

Les familles des victimes, présentes dans la salle d’audience, ont explosé de colère, attaquant les agents de sûreté et essayant de s’introduire dans le bureau du juge pour être ensuite refoulées par les soldats. Puis, elles ont défilé sur la principale autoroute reliant Le Caire à Suez qu’elles ont bloquée pendant plusieurs heures et ont été rejointes par des conducteurs de poids lourds et des habitants de Suez.

Pour finir, la foule a poursuivi son chemin vers Suez où elle a occupé la place Arbein dans le centre ville, bloquant la circulation et scandant des slogans tels « A bas la junte militaire », à l’adresse des successeurs de Moubarak au Conseil Suprême des forces armées (SCAF) qui est au pouvoir. Une manifestation identique a débuté à Alexandrie, deuxième plus grande ville d’Egypte, où des manifestants ont défilé le long de la Corniche et occupé une importante mosquée.

Un porte-parole du ministère public a dit qu’un effort serait fait mercredi pour convaincre la cour d’invalider sa décision et de remettre les policiers en prison mais les manifestants à Suez n’ont pas été apaisés et ont promis de poursuivre toute la semaine leur occupation de la place Arbein. Mardi matin, les manifestants ont combattu une attaque violente d’une bande de gros bras pro-régime armés d’épées et de gourdins.

Dans la période précédant les manifestations prévues vendredi sur la place Tahrir, et qui devraient être les plus importantes depuis l’éviction de Moubarak, la libération provocatrice de la police à Suez ne fera qu’attiser la colère populaire dans le pays.

Sit-in au Caire

Durant les jours qui ont précédé les protestations du 8 juillet la tension s’est accrue au Caire. La place Tahrir est elle-même occupée depuis le 28 juin et les affrontements entre la police et les familles des personnes tuées durant le mouvement anti-Moubarak ont déclenché une vague de répression policière lors de laquelle plus de 1.000 personnes ont été blessées. (Voir : Egyptian military carries out bloody crackdown on protests)

Le Mouvement du 6 Avril, coalition de groupes de jeunes qui avait été le fer de lance du soulèvement de janvier, a réagi à la violence policière en appelant à une marche d’un million le 8 juillet. Les groupes de jeunes exigent des peines exemplaires à la fois pour la police et les gros bras qui ont tué les manifestants pacifiques ainsi que pour les responsables au sommet de la hiérarchie, dont Moubarak, qui avaient donné l’ordre pour le bain de sang.

L’un des occupants de la place Tahrir a dit au journal en ligne Bikya Masr, « Nous sommes ici parce que les choses ont besoin de changer et pour le mieux, et rapidement. »

Pancarte disant, « Les gens veulent la chute du régime parce qu’il n’est pas encore tombé. Et nous ne quitterons pas la place avant qu’il ne tombe. Révolution jusqu’à la victoire. Crains les méchants révolutionnaires, oh gouvernement et conseil invalides. »

Le régime militaire a réagi aux protestations renouvelées par de nouvelles menaces de répression. Le ministère de l’Industrie a publié un rapport mettant en garde contre des projets de fomenter le « chaos national », affirmant que les groupes de jeunes susciteraient des attaques contre la police avec le slogan de « La révolution affamée. » Le ministère a donné des ordres aux commandements de la police et de l’armée pour renforcer les mesures de sécurité, notamment des bâtiments gouvernementaux.

S'attendant à ce que des gros bras pro-régime attaquent la manifestation, le Mouvement du 6 Avril a dit que le sit-in nocturne du 8 juillet sera réservé aux hommes, et conseille fortement aux femmes qui y participent de rentrer à la tombée de la nuit.

La répétition générale d'une telle violence a eu lieu dimanche soir lorsque des gros bras, se faisant passer pour des vendeurs ambulants, ont subitement lancé une attaque non provoquée contre les manifestants occupant la place Tahrir. Ils ont brandi des couteaux, des barres de fer et des bonbonnes de gaz, et incendié plusieurs tentes utilisées pour le sit-in.

Trois rapports ont été publiés ces derniers jours par des organisations égyptiennes de droits humains soulignant l’ampleur à la fois de la répression politique par l’armée et la résistance de la classe ouvrière à la répression.

Le Réseau arabe pour l’Information sur les Droits humains a relaté lundi qu’au moins 10.000 civils ont été jugés et condamnés par des tribunaux militaires depuis l’éviction de Moubarak. Plusieurs milliers se trouvent encore en prison, purgeant leur peine, a dit le groupe.

« Ce ne sera pas une exagération de dire que [le] pouvoir judiciaire est le seul domaine à n’avoir connu aucun changement après la révolution du 25 janvier, » a précisé le groupe.

Un rapport publié mardi par la commission d’établissement des faits du Conseil national des Droits humains a trouvé que les affrontements des 28 et 29 juin sur la place Tahrir avaient été prémédités. Alors que les familles des martyrs de la révolution de janvier ont réagi spontanément contre la provocation, l’intervention de la police contre elles a été une escalade délibérée de la violence. Ceci a inclus dans certains cas le recours à des balles réelles tirées contre des gens non armés.

Finalement, un rapport publié par l’Association des Droits humains Awlad Al-Ard a constaté que durant la première moitié de 2011, il y a eu 338 sit-ins, 158 grèves, 259 manifestations et 161 protestations de travailleurs, exigeant tous de meilleures conditions de travail. Durant ce mouvement de grève, plus de 11.000 travailleurs ont perdu leur emploi et 12 se sont suicidés en raison des conditions brutales dans lesquelles ils travaillaient.

Le mouvement de grève a joué un rôle décisif dans le renversement de Moubarak et les confrontations continuent entre la classe ouvrière et le régime militaire. Lundi, la police militaire a arrêté cinq travailleurs qui avaient pris part à une grève contre les Autorités du Canal de Suez. Les cinq travailleurs ont été nommés dans la presse égyptienne comme étant Nasser El Berdessy, Nadia Youssef, Metawei Harb, Mohamed Haggag et Mahmoud Shaaban.

La grève avait débuté le 14 juin dans sept entreprises contrôlées par les Autorités pour exiger le renvoi de son directeur général, le général Ahmed Fadel qui avait refusé d’appliquer un accord du 19 avril réclamant une augmentation de salaire de 40 pour cent pour tous les travailleurs à compter de juin. Le Canal de Suez est une énorme source de revenu qui va en grande partie dans les coffres de l’armée.

Le principal partisan du régime militaire en Egypte est le gouvernement Obama qui oeuvre consciemment et délibérément pour écraser ce mouvement de masse et maintenir la domination du capital égyptien et international dans ce pays semi-colonial.

Le 30 juin, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton a annoncé que le gouvernement américain avait établi un contact direct avec les Frères musulmans, principal groupe islamiste, qui avait autrefois été interdit par Moubarak.

La déclaration de Clinton a été faite après la visite en Egypte d’une délégation de haut rang d’hommes d’affaires américains dont les cadres dirigeants d’ExxonMobil, de Coca Cola et de Citigroup, et conduite par deux sénateurs américains, l’ancien candidat présidentiel démocrate John Kerry et l’ancien candidat présidentiel républicain, John McCain. Ces deux sénateurs venaient tout juste de soutenir une résolution approuvant l’attaque militaire américaine contre la Libye, voisin de l’Egypte à l’Ouest.

Washington a identifié les Frères musulmans comme un allié potentiel du conseil militaire contre la classe ouvrière égyptienne. Ce rapprochement a été facilité par l’adoption manifeste de la politique d’austérité par les Frères musulmans.

Le Parti de la Liberté et de la Justice, bras électoral mis en place par les Frères musulmans pour les prochaines élections parlementaires de septembre, a publié un plan économique pour rassurer les investisseurs étrangers. La déclaration déplore le « large déficit budgétaire », soutenant les efforts de l’armée pour réduire des dépenses sociales.

En vertu d’une révision budgétaire publiée par le ministère des Finances, approuvée par le gouvernement et appuyée par Mohamed Hussein Tantawi, le commandant en chef des forces armées et le chef de la junte militaire, les dépenses consacrées aux services essentiels pour les masses égyptiennes vont en fait, suite au renversement de Moubarak, diminuer plutôt que d’augmenter. Les dépenses totales consacrées à l’éducation chuteront pour passer de 55 milliards de livres égyptiennes à 52 milliards, celles du logement de 21 milliards de livres à 16,7 milliards et de la santé de 24 milliards de livres à 23,8 milliards.

Ces coupes sont faites dans une situation où 32 millions de personnes, soit 40 pour cent de la population égyptienne, vivent sous le seuil officiel de pauvreté, soit avec 2 dollars par jour. 12,2 millions d’entre eux vivent dans des bidonvilles autour du Caire, d’Alexandrie et d’autres villes.

(Article original paru le 6 juillet 2011)

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