Québec: Une immense manifestation soutient les étudiants en grève et dénonce la loi 78

Plus de 150 000 personnes sont descendues dans les rues de Montréal mardi pour marquer le 100e jour depuis le début de la grève étudiante au Québec et pour dénoncer la loi 78 du gouvernement libéral du Québec.

Adoptée en moins de 24 heures à la fin de la semaine dernière, la loi 78 criminalise la grève étudiante en rendant illégaux les piquets de grève partout sur le terrain des universités et des cégeps et en menaçant les professeurs de poursuite criminelle et d’amendes considérables s’ils font le moindre accommodement aux étudiants en grève ou s’ils n’accomplissent pas toutes leurs tâches normales.

Non à l’austérité au peuple pour financer la prospérité des riches », peut-on lire sur une des pancartes.

La loi 78 impose aussi de larges restrictions sur le droit de manifester partout, et sur tout sujet, dans la deuxième province la plus populeuse du Canada. Toute manifestation de plus de 50 personnes est illégale à moins que les organisateurs de la manifestation n’aient soumis à la police par écrit et plus de huit heures à l’avance l’itinéraire et la durée de la manifestation et qu’ils se soumettent à tout changement requis par la police. Les organisateurs des manifestations sont aussi légalement contraints à assister les autorités de sorte que les manifestants ne transgressent pas le trajet décidé par la police.

Le même jour que les libéraux ont fait adopter la loi 78 par l’Assemblée nationale, le gouvernement municipal de Montréal, réuni en session extraordinaire, a adopté son propre règlement d’urgence requérant l’autorisation de la police pour les itinéraires des manifestations et rendant illégal le port de toute forme de masque au visage, incluant le maquillage, le niqab ou un foulard, lors d’une manifestation.

L’élite patronale du Québec a fortement appuyé la loi 78, tout comme l’insistance du gouvernement sur le fait que ses plans pour augmenter les frais universitaires de 82 pour cent sur les sept prochaines années sont non négociables.

L’immense participation à la manifestation de mardi témoigne du large appui pour les étudiants et de la reconnaissance que la loi 78 constitue une attaque draconienne contre les droits démocratiques de tous.

Les manifestants ont dénoncé la loi 78 comme un assaut contre les droits démocratiques de tous

Il y avait de nombreuses pancartes faites par les manifestants dénonçant la loi 78. Sur l’une, on pouvait lire : « La liberté académique = la liberté d’expression et la liberté de rassemblement » ; sur une autre : « loi 78, mai 68 » ; une troisième : « Un gouvernement qui utilise la répression est un gouvernement qui a peur. Nous n’abandonnerons pas. »

Même si les étudiants formaient la majeure partie des manifestants, ils ont été rejoints par un grand nombre de travailleurs, un contraste significatif par rapport à la manifestation monstre en appui à la grève étudiante qui a eu lieu à Montréal le 22 mars. Il y avait des délégations syndicales, incluant des enseignants, des cols bleus de Montréal et des travailleurs des transports. Mais la plupart des travailleurs ne semblaient pas être venus dans le cadre d’une appartenance à un contingent organisé. Certains étaient de récents diplômés des universités ou des cégeps et d’autres étaient retraités.

Vers le milieu de la marche de mardi, la CLASSE (Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante) – l’association étudiante provinciale qui a amorcé le mouvement actuel de grève étudiante – a bifurqué de l’itinéraire approuvé par la police et a mené des dizaines de milliers de manifestants dans un circuit alternatif à travers le centre-ville de Montréal, paralysant brièvement la circulation à l’heure de pointe. La police n’est pas intervenue.

La marche séparée était destinée à montrer que la CLASSE, comme elle l’a annoncé lundi après la réunion de sa direction, s’engageait à ne pas se soumettre à la loi 78. « Nous croyons que nos droits fondamentaux doivent avoir préséance sur le respect d’une loi injuste », a annoncé le porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois. « Le gouvernement libéral parle d’intimidation depuis le début du conflit. Mais avec cette loi, il pratique l’intimidation. »

[IMAGE : La police était très présente à Montréal le weekend dernier, arrêtant plus de 450 personnes durant les manifestations de soir en appui à la grève étudiante.]

La défiance de la CLASSE, cependant, ne part pas du point de vue de faire de la grève étudiante le catalyseur pour la mobilisation de la classe ouvrière contre le programme d’austérité du gouvernement libéral et de la classe dirigeante québécoise et canadienne dans son ensemble. Plutôt, elle demeure entièrement dans le cadre d’une protestation sur une seule question destinée à mettre de la pression sur le premier ministre Jean Charest et son gouvernement libéral pour qu’ils négocient une entente, une perspective reflétée dans le slogan défendu par plusieurs des manifestants de mardi : « Crions plus fort pour que personne ne nous ignore ! »

Sur la base de cette perspective, les négociateurs de la CLASSE ont déjà apposé leur signature à une entente avec le gouvernement – qui a ensuite été rejetée massivement par les étudiants – qui imposait entièrement l’augmentation des frais universitaires et qui aurait établi un comité tripartite dominé par la grande entreprise pour réduire les dépenses universitaires.

Même si la police n’est pas intervenue immédiatement pour arrêter les dirigeants de la CLASSE d’avoir défié la loi 78, le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, a insisté sur le fait que le gouvernement ne va pas tolérer la désobéissance civile. « La désobéissance civile, a-t-il déclaré, c’est un beau mot pour dire vandalisme. »

Plus tard mardi, l’État a répliqué, invoquant pour la première fois les clauses draconiennes de la loi 78.

Depuis près de quatre semaines, il y a eu des manifestations de nuit à Montréal en appui aux étudiants. Mardi soir, dès que les manifestants eurent convergé vers le parc qui est devenu le point de ralliement pour ces manifestations de nuit, la police a déclaré le rassemblement illégal sous la loi 78, vu que les manifestants n’avaient pas obtenu l’approbation de la police pour la manifestation.

Cela a été clairement fait dans un double but. Premièrement, pour montrer que malgré la manifestation massive durant la journée, le gouvernement a l’intention de poursuivre sa campagne pour arrêter par la force la grève étudiante. Deuxièmement, pour provoquer une confrontation violente pouvant être utilisée pour noyer la couverture de l’immense manifestation et fournir de l’eau au moulin à la campagne des médias du gouvernement et la grande entreprise qui salissent les étudiants en les présentant comme étant violents.

Contrairement à la CLASSE, les deux autres associations étudiantes de la province, la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec) et la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec) ont déclaré qu’elles se conformeraient à la loi 78, tout en contestant sa constitutionnalité devant les tribunaux.

La FECQ et la FEUQ, qui ont des liens étroits avec la bureaucratie syndicale, intensifient leur campagne pour défaire le gouvernement aux prochaines élections. L’appel aux étudiants à poursuivre leur grève aux urnes est une tentative claire de tenter d’augmenter les chances électorales du Parti québécois, un parti de la grande entreprise. Lorsqu’il a été au pouvoir pour la dernière fois, il a mis en oeuvre les plus grandes coupes sociales de l’histoire du Québec, pour ensuite réduire les impôts de la grande entreprise et des sections les plus privilégiées de la population.

Les syndicats ont dénoncé la loi 78 comme une grave attaque contre les droits démocratiques, mais ont aussi dit qu’ils vont se conformer à la loi, qui stipule qu’ils doivent utiliser tous les moyens à leur disposition pour faire en sorte que les professeurs et les autres employés des universités et des cégeps assistent le gouvernement dans la suppression de la grève étudiante. Plus tôt, les syndicats avaient joué un rôle majeur en mettant de la pression sur les associations étudiantes pour qu’elles acceptent l’entente à rabais qui a été subséquemment rejetée par les étudiants.

Lors de la marche de mardi, les partisans du Parti de l’égalité socialiste et de l’Internationale étudiante pour l’égalité sociale ont distribué un millier de copies d’une déclaration intitulée : « Face à la répression étatique, les étudiants doivent se tourner vers la classe ouvrière. »

Il y est écrit : « Le passage de la loi 78 qui criminalise la lutte étudiante et bafoue le droit de manifester démontre que la classe dirigeante est prête à utiliser des méthodes autoritaires et antidémocratiques pour imposer son programme de classe – le démantèlement des services publics et l'appauvrissement de larges couches de la population.

« Cet assaut sur les conditions de vie et les droits démocratiques ne peut être repoussé par une simple protestation, aussi militante soit-elle, autour de la seule question des frais de scolarité.

« Ce qui est requis c'est la mobilisation indépendante des travailleurs, en opposition aux syndicats pro-capitalistes, dans une contre-offensive contre les coupes budgétaires, la destruction des emplois et la réduction des salaires. Une telle mobilisation doit s'inscrire dans le cadre d'une lutte politique unifiée des travailleurs francophones, anglophones et immigrés du Canada pour l'établissement d'un gouvernement ouvrier. Un tel gouvernement utilisera les vastes ressources créées par le labeur collectif des travailleurs pour satisfaire les besoins sociaux de tous, et non les profits individuels d'une minorité. »

(Article original paru le 23 mai 2012)

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