Les mineurs d’Afrique du Sud et la crainte d’une «contagion»

La fusillade policière de lundi qui a blessé quatre mineurs d’or sud-africains est survenue exactement trois semaines après le massacre du 16 août de 34 mineurs grévistes de la mine de platine de Marikana du groupe Lonmin.

Tout comme à Marikana, la lutte à la mine Modder East, Gold One International Ltd, est une grève sauvage lancée contre le syndicat des mineurs National Union of Mineworkers (NUM). Le NUM, le plus grand syndicat d’Afrique du Sud et un pilier du gouvernement de l’African National Congress, a défendu le massacre de Marikana en exigeant l’emprisonnement des mineurs combatifs. 

La propagation des luttes des mineurs a provoqué une inquiétude croissante parmi les investisseurs des sociétés minières, au sein de l’élite de l’ANC en Afrique du Sud et de ses partenaires au sein de la bureaucratie du NUM. Ces craintes ont été exprimées dans l’avertissement lancé par Gary van Staden, du cabinet de conseil NKC Independent Economists : «Je pense qu’il y a de bonnes chances de contagion. Il y a de très bonnes chances de voir une propagation des grèves sauvages dans les mines.»

La classe dirigeante craint une «contagion» parce quatre ans après que le krach de Wall Street en 2008 ait signalé l’éclatement d’une crise économique mondiale dévastatrice, la situation à laquelle font face les travailleurs en Afrique du Sud est universelle. Dans un pays après l’autre, la classe ouvrière doit lutter contre un establishment politique qui est totalement hostile à ses droits sociaux et qui contrôle les partis et les syndicats qui sont censés représenter les travailleurs.

Des luttes de classe explosives ont ébranlé les prétentions érodées depuis longtemps du régime ANC de lutter pour la libération du peuple. Les stratégistes de la classe dirigeante se demandent à présent avec appréhension jusqu’où les grèves et les protestations vont aller sur fond d’un mécontentement qui gronde au sein de la classe ouvrière.

En Afrique du Sud, dix-huit ans après la fin de l’apartheid juridique – qui est survenu après des décennies de luttes et de sacrifices des travailleurs et des opprimés – les intérêts des mêmes sociétés multinationales et sud-africaines qui ont été bénéficiaires sous le régime de la minorité blanche restent intacts. Ils sont actuellement défendus par l’ANC et le NUM qui parlent au nom d’une couche de responsables noirs corrompus et de complices capitalistes qui sont les uniques bénéficiaires de l’ère postapartheid de la «promotion économique des Noirs» («black economic empowerment»). Pour la masse des travailleurs sud-africains, y compris les mineurs dont le travail épuisant et dangereux ne leur rapporte que 300 dollars par mois, les conditions de vie sont tout aussi mauvaises ou pires que sous le régime de la minorité blanche.

Katiso Mosebetsane – un jeune de 22 ans qui était venu à Marikana pour retrouver le corps de son père, un mineur tué lors du massacre du 16 août – a résumé le sentiment des masses de travailleurs : «Vous avez l’employeur, le gouvernement, la police et même le syndicat qui collaborent tous ensemble. Ils sont censés s’occuper de vous, mais ils sont contre les gens – ça, c’est l’apartheid», a-t-il dit au journal The Independent.

L’éruption de la lutte de classe dans les mines d’Afrique du Sud est survenue au milieu d’une vague de luttes qui a lieu dans chaque continent : les travailleurs chez Chrysler aux États-Unis, le personnel de cabine chez Lufthansa en Europe, les travailleurs chez Hyundai en Asie, les travailleurs du secteur public au Brésil. Ces luttes adoptent de plus en plus la forme d’une rébellion ouverte contre les syndicats existants. Dans la mesure où elles demeurent sous le contrôle de ces organisations, elles sont isolées, étouffées et défaites.

Partout l’on voit, aux dires du jeune travailleur sud-africain, «l’employeur, le gouvernement, la police et même le syndicat collaborer» pour imposer ce qui correspond à une contrerévolution à l’encontre de la classe ouvrière. Telle est la réponse des classes dirigeantes capitalistes à la crise.

En expliquant le rôle joué par le NUM en Afrique du Sud, de nombreuses personnes ont fait référence à l’évolution de Cyril Ramaphosa, qui avait dirigé le syndicat dans les années 1980, qui était devenu secrétaire général de l’ANC au début des années 1990 et qui d’ici la fin de la décennie avait rejoint le secteur privé, en connaissant une ascension phénoménale pour devenir l’un des hommes les plus riches d’Afrique du Sud avec une fortune privée s’élevant à quelque 230 millions de dollars. Il siège au directoire de Lonmin dont la répression des mineurs de platine a conduit à la grève et au massacre du mois dernier.

Une fois de plus, même si l’histoire de l’Afrique du Sud lui confère une forme particulière, ce phénomène n’est nullement unique. Aux États-Unis, le syndicat United Auto Workers (UAW) possède 55 pour cent des parts de Chrysler et un responsable de l’UAW siège au conseil d’administration de l’entreprise. Comme dans le cas des mineurs d’Afrique du Sud, les travailleurs de l’automobile, tels ceux de l’usine de fabrication de moteurs Chrysler de Dundee au Michigan qui ont rejeté l’accord local négocié par le syndicat UAW, font face à cette soi-disant «organisation des travailleurs» comme un adversaire et l’instrument direct de l’entreprise.

Tout comme le NUM sud-africain a des intérêts matériels pour sauvegarder les conditions oppressives qui génèrent les profits pour les entreprises minières, l’UAW bénéficie directement de l’imposition de salaires à deux niveaux, du travail par plages de douze heures et d’un contrat de travail prévoyant 9 dollars de l’heure dans les usines automobiles. Il ne s’agit pas en premier lieu de corruption ou de trahison de la part de tel ou tel responsable syndical, mais de la transformation de ces bureaucraties en entités d’affaires dédiées à faire maintenir l’ordre au sein de la classe ouvrière.

En Afrique du Sud, ceci a donné le spectacle du NUM – une organisation prétendant représenter les travailleurs – aidant la police à organiser leur massacre. Un durcissement des luttes de classe en Europe ou en Amérique produira une réaction identique.

En Afrique du Sud, tout comme aux États-Unis et ailleurs, la classe ouvrière doit rompre avec ces organisations et construire une nouvelle direction révolutionnaire visant la prise de pouvoir et la poursuite d’une politique socialiste, en transformant les mines, les banques et les grandes entreprises en services publics démocratiquement contrôlés par les travailleurs.

Ce mouvement doit être armé d’une stratégie internationaliste consciente pour unifier la classe ouvrière dans chaque pays autour d’une lutte commune contre le capitalisme et pour le socialisme.

(Article original paru le 5 septembre 2012)

Loading