Egypte: Manifestations de masse contre Morsi et affrontements avec la police au Caire

Les protestations de mardi 4 décembre contre les pouvoirs dictatoriaux assumés par le président égyptien Mohamed Morsi ainsi que contre les efforts qu’il a entrepris pour faire adopter à toute vitesse une nouvelle constitution ont abouti à une marche massive sur le palais présidentiel.

Les manifestants ont passé outre les barrières de fils de fer barbelés devant le palais présidentiel et la police a répliqué en tirant des gaz lacrymogènes. Morsi a quitté le palais au milieu des affrontements entre manifestants et des centaines de policiers.

La marche est partie de plusieurs mosquées et a convergé vers le palais d’Itihadiya à Héliopolis. « La liberté ou la mort, » scandaient les manifestants. D’autres scandaient, « Mohamed Morsi ! Illégitime ! Frères musulmans ! Illégitimes ! » D’autres encore hurlaient, « A bas les fils de chiens. Nous sommes le pouvoir et nous sommes le peuple, » et « Le peuple veut la chute du régime. »

Un grand nombre de participants s’est aussi rassemblé sur la Place Tahrir et une importante manifestation a eu lieu dans la deuxième ville d’Egypte à Alexandrie.

Les protestations précédentes avaient mobilisé le 27 et le 30 novembre plus de 200.000 personnes sur la Place Tahrir. De plus, des milliers de travailleurs de la société de filatures et de tissage Misr Spinning and Weaving Company située dans la ville de Mahalla al-Kubra ont protesté ensemble la semaine passée avec les gens du quartier dans une manifestation qui a compté quelque 5.000 personnes et qui s’est terminée en bataille rangée avec des partisans des Frères musulmans.

Les Frères ont réagi par une mobilisation nationale le 1er décembre, suivie le 2 décembre par le siège de la Cour suprême constitutionnelle. Cet organisme, dominé par des loyalistes de l’ère Moubarak, était censé proclamer illégitime l’assemblée constitutionnelle qui avait adopté le projet de charte pro-islamiste et dissoudre le conseil de la Chura, chambre haute du parlement. Les juges ont réagi en se mettant en grève.

Par le décret du 22 novembre, Morsi a placé ses décisions en dehors de toute supervision judiciaire et interdit à tout organisme judiciaire de dissoudre l’organisme dominé par les Islamistes et qui avait élaboré et approuvé la nouvelle constitution.

Lundi, des dissensions se sont faits jour au sein de la magistrature lorsque des juges de haut rang du Conseil supérieur de la magistrature ont dit vouloir exercer un contrôle judiciaire sur le référendum. Ceci allait à l’encontre des appels au boycott lancés par un millier de juges, membres du Club des Juges d’Egypte, qui s’étaient déclarés dimanche en faveur d’un boycott du référendum. Al Zind, du Club des Juges, a répondu aux affirmations selon lesquelles la déclaration du Conseil suprême de la magistrature était la preuve de l’acceptation de la décision de Morsi, en soulignant le fait que 90 pour cent des juges avaient refusé d’y prendre part « mais il y a aussi des juges chez les Frères musulmans. »

Les médias égyptiens et du monde ont aussi fait état d’une réunion de la commission électorale dimanche, également conduite par de hauts magistrats, comme étant une percée significative pour Morsi. Cependant, Yousseri Abdel-Karim, ancien porte-parole de la commission électorale a dit qu'il fallait que la réunion se tienne pour des raisons juridiques et que cela ne signifiait pas que les juges superviseraient le référendum. « Les juges ne reculent pas et nous ne craignons rien, et nous ne changerons pas notre point de vue, » a-t-il dit.

Des protestations ont aussi été organisées et qui impliquaient le refus d’au moins 12 grands journaux indépendants et quatre chaînes de télévision de publier ou d’assurer des transmissions mardi et/ou aujourd’hui. L’article 48 du projet de constitution garantit la liberté de la presse, mais ajoute la restriction qu’« il pourrait y avoir une exception en temps de guerre ou de mobilisation nationale. »

La manifestation s’est aussi propagée aux médias contrôlés par l’Etat et le personnel de l’édition Internet d’al-Ahram a défilé lundi sur le syndicat des journalistes dans le centre du Caire. Dimanche, la présentatrice de la télévision publique, Hala Fahmy, portait un linceul blanc en animant une émission sur les affaires courantes, elle fut interdite d’antenne. Elle a dit aux spectateurs, « Nous devons dire la vérité, quel qu'en soit le prix. »

Malgré l’ampleur de l’opposition populaire, Morsi a été enhardi par des calculs selon lesquels ses adversaires libéraux et séculiers ne veulent pas risquer une escalade du conflit qui pourrait échapper à leur contrôle et menacer les intérêts de l’ensemble de la bourgeoisie égyptienne. L’éruption d’un mouvement insurrectionnel de la classe ouvrière du type de celui qui avait provoqué la chute d’Hosni Moubarak en 2011 est une abomination pour les deux camps du terrible conflit de factions qui a éclaté au sein des cercles dirigeants.

Dans un papier rédigé pour le Financial Times, Mohamed El-Baradei, coordinateur du Front de salut national de l’opposition insiste pour que Morsi révoque son décret, abandonne le projet de référendum et accepte qu’une assemblée constituante plus représentative élabore une constitution démocratique. Mais, El-Baradei a ajouté un avertissement : « S’ils [les Frères musulmans] persistent, ils risquent une éruption de violence et un chaos qui détruiront le tissu de la société égyptienne. »

Le Front de salut national a été créé par El-Baradei aux côtés du dirigeant du parti nassérien La Dignité (Al Karama) et candidat présidentiel Hamdeen Sabbahi et de l’ancien inconditionnel du régime Moubarak, Amr Moussa.

Emad Gad, dirigeant du Parti social-démocrate, a parlé de projets pour une « coalition permanente » des groupes d’opposition, mais a ajouté, « J’ai peur d’une confrontation. Je ne veux pas employer le terme de guerre civile. »

La déclaration officielle de l’opposition lors des défilés d’hier souligne que son objectif se borne à envoyer « un message au président Mohammed Morsi pour qu’il veuille écouter l’opposition nationale qui tient à atteindre les objectifs de la révolution. »

Les Islamistes se fondent finalement sur le soutien tacite des Etats-Unis et des autres puissances impérialistes qui considèrent les Frères comme un allié régional vital en Tunisie, en Libye, en Syrie et ailleurs, ainsi qu’en Egypte où ils comptent préserver leurs investissements substantiels à l’encontre de toute menace venue d’en bas. A cette fin, ils veulent tous que la constitution de Morsi, avec ses mesures de sauvegarde du régime militaire et autorisant la répression, soit adoptée, quelles que soient leurs préoccupations de pure forme concernant la loi de la charia, les droits de la femme, la séparation des pouvoirs et autres.

Alors même que la Cour suprême était encerclée de manifestants dimanche, le premier ministre Hisham Qandeel a annoncé que sa politique visait à améliorer « le milieu des affaires au cours de la période à venir et à respecter tous les accords internationaux conclus dans tous les domaines… et donc de faire de l’Egypte une destination idéale pour les investissements étrangers directs. »

Il s’est adressé par vidéo à la Chambre de commerce nationale des Etats-arabes unis, en insistant pour dire que le commerce avec les Etats-Unis « sera prochainement crucial pour tous les pays du monde. » Il s’est réjoui que les échanges commerciaux entre l’Egypte et les Etats-Unis aient atteint 8,2 milliards de dollars en 2011 et que les investissements américains en Egypte se soient élevés à 14,5 milliards de dollars.

La bourse du Caire s’est inscrite en hausse à la nouvelle que le référendum aurait lieu en dépit de ce que Mohamed Radwan, de la maison de courtage Pharos Securities, décrit comme « tout le tapage et toutes les manifestations qui pourraient se produire jusque-là. »

Quant à l’organe de la bourgeoisie politiquement libérale britannique, le Guardian, il a demandé que les partis d’opposition agissent conformément aux exigences essentielles pour que l’Egypte recouvre une stabilité politique de façon à ce que les troubles sociaux puissent être apaisés et les profits rétablis.

Il a appelé les adversaires « séculiers, libéraux et chrétiens » de Morsi à reconnaître que malgré toutes ses fautes, le projet de constitution est « une synthèse » qui ne méritait pas des « débrayages et des mois de paralysie. » Le commentaire poursuit en disant : « Les deux camps ont oublié ce qui s’est passé il y a 22 mois lorsque les Egyptiens ont mis de côté leurs identités sectaires en arrivant sur la Place Tahrir et en brandissant au lieu de cela le drapeau national. Au nom de ce drapeau, ceux qui prétendent être des démocrates doivent redécouvrir l’art du compromis oublié de longue date. »

Le compromis n’est pas ce qui motive les centaines de milliers de travailleurs qui sont descendus dans les rues du Caire hier. Et il motive moins encore Morsi et ses partisans. Ce qui est requis de toute urgence c’est une direction politique socialiste qui articule les intérêts indépendants des travailleurs et des jeunes plutôt que ceux des factions rivales de la classe capitaliste, qui toutes cherchent à exploiter les travailleurs en dissimulant leurs propres objectifs derrière un discours démocratique et nationaliste.

(Article original paru le 5 décembre 2012)

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