Le WSWS annonce une couverture en temps réel des élections présidentielles françaises

Le World Socialist Web Site fera des reportages depuis la France durant les deux prochaines semaines précédant le premier tour des élections présidentielles françaises.

Après quatre années de la plus grande crise économique de l'Europe d'après-guerre, ces élections marquent un tournant pour la France et tout le continent. Sous le fardeau de l'augmentation du coût de la vie et d'un chômage élevé, les électeurs de la classe ouvrière sentent un écart immense entre les déclarations convenues des candidats et la réalité sociale qui s'impose aux masses.

Dans ce pays des plus politisés, il y a un manque d'enthousiasme palpable envers les deux candidats principaux, le président en titre, Nicolas Sarkozy, et le candidat du Parti socialiste (PS) François Hollande. Sarkozy a un passif profondément impopulaire de guerres au Moyen-Orient et de coupes sociales. Il a mené ces coupes en France même, et, par son rôle de premier plan dans l'Union européenne, dans des pays comme la Grèce et l'Espagne qui ont été dévastés par les politiques d'austérité de l'UE.

Pour sa part, l'impersonnel Hollande incarne le caractère hypocrite du PS, dont le candidat à la présidentielle de 2002, Lionel Jospin, avait déclaré dans une phrase restée célèbre que son programme n'était « pas socialiste. »

Décrire Hollande comme un intermédiaire transparent du capital financier français serait lui faire un compliment. Au New York Times qui lui demandait récemment si les riches devaient avoir peur de lui, il a répondu : « De nos jours, il n'y a plus de communistes en France. La gauche a libéralisé l'économie et ouvert les marchés à la finance et à la privatisation. Il n'y a rien à craindre. »

Cherchant à tirer parti de la colère populaire contre le duopole Sarkozy-PS, la candidate néo-fasciste Marine Le Pen lance des appels racistes anti-immigrés et surtout anti-musulmans - des sentiments que les grands partis bourgeois ont encouragés pour légitimer leurs guerres à l'étranger et les politiques autoritaires à l'intérieur.

Injectant une note de démagogie sociale dans la campagne, Jean-Luc Mélenchon du Front de gauche a bénéficié d'une large couverture médiatique et a organisé plusieurs marches de protestation, dont celle du 18 mars pour « prendre la Bastille. » Ex-étudiant radical devenu ministre PS, Mélenchon se drape de bleu-blanc-rouge pour dénoncer les banquiers et pour promettre de lutter pour augmenter les salaires et obtenir de meilleures conditions sociales.

De telles promesses ne valent rien, venant de gens qui, comme Mélenchon, déclarent leur admiration pour un président aussi retors que le fut François Mitterrand. Ce dernier avait entamé sa carrière politique sous le régime fasciste de Vichy, puis s'était réinventé comme social-démocrate dans les années 1950, tout en signant des condamnations à mort contre des Algériens qui combattaient l'impérialisme français durant la guerre d'indépendance. À l'aide d'une coterie de forces petites-bourgeoises « de gauche », il s'est servi du PS dans les années 1970 pour arriver au pouvoir et pour mener des attaques contre la classe ouvrière dans les années 1980.

Alors que la France est balayée par la tempête politique qui engouffre toute la planète, cependant elle est toujours marquée dans sa culture populaire par l'esprit et le vocabulaire de la révolution. Comme le notait récemment avec irritation le magazine The Economist, la France est l'un des pays les plus hostiles au capitalisme libéral, que 31 pour cent des Français seulement considèrent comme le meilleur système social.

Comme le faisait remarquer Friedrich Engels, collaborateur de Karl Marx, « La France est le pays où les luttes de classes ont été menées chaque fois, plus que partout ailleurs, jusqu'à la décision complète, et où, par conséquent, les formes politiques changeantes, à l'intérieur desquelles elles se meuvent et dans lesquelles se résument leurs résultats, prennent les contours les plus nets [...] Marx non seulement étudiait avec une prédilection spéciale l'histoire du passé français, mais encore suivait dans tous ses détails l'histoire courante, rassemblait les matériaux destinés à être utilisés plus tard, et ne fut, par conséquent, jamais surpris par les événements. »

L'histoire moderne de la France est issue de l'expérience colossale de la révolution de 1789-1815, la révolution bourgeoise classique qui a fait tomber la monarchie, a aboli les privilèges de la noblesse et a appelé à la liberté, à l'égalité, et à la fraternité. Ses choix politiques ont été déterminés par la contradiction entre les idéaux proclamés par la révolution et la société capitaliste exploitrice qu'elle a fini par produire. Par deux fois, lors de la révolution de 1848 et de la Commune de Paris en 1871, la classe dirigeante a répondu aux soulèvements populaires en massacrant des travailleurs révolutionnaires.

Le mouvement ouvrier français a été nourri d'un riche héritage et d'une culture révolutionnaires, avec de grands orateurs comme Jean Jaurès et une conscience artistique nourrie par les peintres réalistes comme Courbet et des romanciers comme Zola, dont le chef-d'ouvre, Germinal, raconte une grève de mineurs. Le radicalisme de la classe ouvrière s'est cependant heurté aux éléments conservateurs des classes moyennes françaises, la paysannerie et la petite bourgeoisie. La bourgeoisie, qui avait mobilisé les campagnes pour écraser la Commune, a continuellement agité ces couches sociales contre la classe ouvrière, créant des divisions politiques au sein du mouvement ouvrier sur le débat entre révolution et réforme.

Dans le creuset de la Première Guerre mondiale, la rupture entre ces deux tendances a évolué jusqu'à voir l'émergence d'un Parti communiste français (PCF) aligné sur l'Internationale communiste dirigée par Vladimir Lénine et Léon Trotsky. La tragédie de la classe ouvrière française a été que le puissant Parti communiste français, influencé par des sentiments nationalistes, a pris parti pour la théorie du « socialisme dans un seul pays » de Staline, contre Trotsky. Pendant que le Kremlin se servait du PCF comme d'un outil dans ses arrangements entre grandes puissances avec l'impérialisme, le PCF a abandonné la lutte pour la révolution, qui incomba au mouvement trotskyste, et a diffusé des illusions sur la viabilité d'une stratégie consistant à faire pression sur la république pour obtenir des réformes.

Le PCF a pendant longtemps glorifié la grève générale de 1936, et les concessions du Front populaire accordées pour en obtenir la fin, comme un exemple de ce qui pouvait s'obtenir par ce genre de luttes. En réalité, l'effroi causé dans la bourgeoisie par ces concessions l'a poussée vers le fascisme. Elle a capitulé et collaboré avec les nazis en 1940 - une politique à laquelle le Parti communiste ne s'est pas opposé au début, suivant la ligne de l'accord entre le Kremlin et Hitler scellé par le Pacte Staline-Hitler de 1939.

Le capitalisme français s'est reconstruit après la Seconde Guerre mondiale en s'appuyant sur l'aide économique américaine et sur la suppression des luttes ouvrières par les staliniens au moment de la Libération. Son fondement politique pourri était le mensonge, utilisé par les bourgeois comme par les staliniens, selon lequel toute la France avait résisté aux Nazis, et que la République serait en mesure d'empêcher la résurgence des « aristocraties économiques et financières » de l'avant-guerre. En fait, la France devait être rapidement engagée dans des guerres impérialistes impopulaires et dans une tentative avortée d'écraser les mouvements d'indépendance en Indochine et en Algérie.

Les tensions de classe profondes qui sous-tendaient le boom économique d'après-guerre ont éclaté lors de la grève générale de mai-juin 1968. Un mouvement qui avait commencé avec des protestations étudiantes a été transformé par l'intervention explosive de la classe ouvrière. Dix millions d'ouvriers ont fait grève et des drapeaux rouges flottaient sur les usines dans toute la France. Dans ces conditions, la bourgeoisie a créé un nouveau parti, le PS, qui a servi de véhicule électoral à Mitterrand, soutenu par des partis « de gauche » petit-bourgeois s'affirmant trotskystes - la Ligue communiste révolutionnaire, l'Organisation communiste internationale, et Lutte ouvrière.

Mitterrand, qui est arrivé au pouvoir en 1981 avec un programme réformiste, a joué un rôle clef dans la démoralisation de l'opposition ouvrière, jetant cyniquement son programme à la poubelle pour prendre une série de mesures d'austérité à partir de 1983. Néanmoins, tout au long des années 1990 et 2000, la bourgeoisie française a été confrontée à une opposition continue, à des grèves et à des manifestations massives de la classe ouvrière. La bourgeoisie s'est révélée incapable de mener des attaques sociales suffisamment profondes pour rétablir sa compétitivité face à ses rivaux internationaux.

Cette situation a créé les bases nécessaires à l'éclatement de luttes révolutionnaires explosives. L'économie française, comme les économies des autres pays européens et des États-Unis, a été transformée, et les conditions de travail et sociales ont été réduites drastiquement. Comme l'ont bien montré des coupes sociales répétées, l'effondrement de l'Union soviétique a éliminé la raison de toute réforme sociale pour la classe dirigeante, tout en brisant l'emprise des vieux partis sur la classe ouvrière. Dans le contexte d'une crise économique mondiale explosive, les loyautés politiques des travailleurs évoluent constamment.

Sur la base de cette histoire, le WSWS examinera les politiques des divers candidats, les conditions sociales en France, ainsi que les conceptions et les problèmes des différentes couches de la population. Nous répondrons à la question posée par Léon Trotsky dans ses écrits sur le Front populaire : Où va la France ?

(Article original paru le 9 avril 2012)

 

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