France: Le score néo-fasciste élevé secoue la course à la présidentielle

Le score élevé de la candidate néo-fasciste Marine Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle de dimanche a secoué la campagne qui se poursuit jusqu'au second tour de l'élection qui se tiendra le 6 mai entre le candidat du Parti socialiste (PS) François Hollande et le président sortant Nicolas Sarkozy.

Le Pen a obtenu 17,9 pour cent des voix et est arrivée en troisième position derrière Hollande (28,6 pour cent) et Sarkozy (27,2 pour cent.) Elle a battu le candidat du Front de Gauche Jean-Luc Mélenchon qui n'a obtenu que 11,1 pour cent des voix, après avoir fait le voeu de reléguer Le Pen à la quatrième place.

Le score de Le Pen souligne les dangers que représente le vide politique à gauche, qui permet à l'extrême-droite de capitaliser sur la colère sociale répandue concernant la politique d'austérité du PS comme de l'UMP (Union pour un mouvement populaire) de Sarkozy. Tandis que les forces de la « gauche » petite-bourgeoise, tels le Parti communiste, le Nouveau Parti anticapitaliste et Lutte ouvrière, travaillent à canaliser l'opposition derrière le PS et la bureaucratie syndicale, le Front national (FN) de Le Pen a les mains libres pour se présenter comme le parti de l'anti-austérité et de l'anti-establishment, d'en appeler à la haine populaire de l'Union européenne et des banquiers que l'UE représente, et de combiner un faux populisme avec un racisme anti-immigration et un nationalisme fanatique.

La campagne du Front de Gauche de Mélenchon, alliance entre son Parti de Gauche et le Parti communiste français (PCF), a peu rassemblé hormis les 10 pour cent, plus ou moins, de la population qui a l'habitude de voter pour le PCF stalinien et les partis de « gauche » comme le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA.) Il est clair que, malgré la rhétorique de gauche de Mélenchon, le Front de Gauche a servi de stratagème pour la campagne du PS.

Sarkozy et Hollande ont tous deux fait référence au résultat de Le Pen hier dans leur discours de campagne. Sarkozy a lancé un appel clair et net aux sentiments protectionnistes et anti-immigrants.

Il a dit, «La frontière sert à protéger. Si nous regardons le monde tel qu'il est : les pays qui réussissent, c'est ceux qui respectent la nation et leur identité nationale. Aux Etats-Unis, il suffit de voir le nombre de drapeaux américains pour comprendre qu'ici, on aime son pays. Et les Français, comme tous les peuples du monde, ont besoin d'être protégés. »

Il a repris sa menace d'avant la campagne de retirer la France du traité de Schengen si l'Union européenne n'adoptait pas des mesures anti-immigration plus dures. « Si l'Europe ne fait pas d'effort pour protéger ses frontières, »a-t-il déclaré, «la France le fera unilatéralement. »

Hollande a, de son côté, promis un «nouvel acte de décentralisation. » Comme il a promis de réduire de 115 milliards d'euros (152 milliards de dollars) le déficit budgétaire, cela ne peut que signifier des coupes claires dans les services publics, ce qui retombera sur les collectivités territoriales déjà sous-financées et qui croulent sous le travail.

Hollande a encore une fois remercié Mélenchon et Eva Joly, candidate d'Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) « qui ont annoncé, sans baragouiner, le soutien à ma candidature. » Mélenchon, Joly et Philippe Poutou candidat du NPA ont donné la consigne de voter pour Hollande, soit explicitement soit en appelant à voter « contre Sarkozy, » sans poser aucune condition sur Hollande. Le Front de Gauche, EELV et le NPA ont tous donné un chèque en blanc au PS pour qu'il applique sa politique droitière.

Hollande a ensuite essayé de faire porter l'entière responsabilité de la montée du vote d'extrême-droite sur Sarkozy. Il a dit, «Le responsable de la montée de l'extrême droite, c'est celui qui a utilisé parfois les mots de l'extrême droite. Le responsable de la montée de l'extrême droite, c'est celui qui a fracturé depuis cinq ans un certain nombre de droits fondamentaux. »

Tandis qu'il ne fait aucun doute que Sarkozy a fait appel au sentiment néo-fasciste, la tentative de Hollande de faire porter à Sarkozy la responsabilité du succès électoral de Le Pen est absurde et malhonnête. Le soutien grandissant pour le FN reflète la profonde crise sociale en France et la politique réactionnaire de l'ensemble de l'élite politique, PS compris.

Le score de Le Pen a été particulièrement élevé dans le nord-est du pays et le long de la côte méditerranéenne où le chômage est parmi le plus élevé de France. Dans ces régions, la candidate fasciste a régulièrement obtenu plus de 20 pour cent des voix dans les circonscriptions électorales et dans bien des cas est arrivé en deuxième place.

Dans le sud, elle est arrivée première dans le département du Gard, obtenant plus de 25 pour cent des voix. Le Gard fait partie de la région Languedoc-Roussillon où le taux de chômage de 12,9 pour cent l'an dernier était le plus élevé de France.

Dans la région Nord-Pas-de-Calais elle a obtenu plus d'un demi million de voix. Dans le département du Pas-de-Calais elle a fini deuxième après Hollande avec un score de 25 pour cent. Dans le Nord, elle est arrivée en troisième position avec 21 pour cent. Le Nord-Pas-de-Calais arrivait en deuxième position l'an dernier dans les statistiques du chômage à 12,8 pour cent.

Comme le sud-est méditerranéen, la région était un bastion des partis communiste et socialiste. La montée du FN avait commencé en 1983, date où le président François Mitterrand du Parti socialiste et son gouvernement PS-PCF avaient imposé des mesures d'austérité brutales à la classe ouvrière. Contrairement à ce que prétend François Hollande, c'est son propre parti et la « gauche » bourgeoise française qui ont préparé le terrain au populisme droitier du FN. Ce gouvernement avait réduit drastiquement les dépenses sociales et détruit une grande partie de l'industrie métallurgique, textile et charbonnière de la région. La dernière mine de charbon du Nord-Pas-de-Calais fut fermée en 1990.

Ce bilan de politique d'austérité par la « gauche » bourgeoise permet à Le Pen de se présenter en défenseur des petites gens. En mars, elle déclarait: «Contrairement à lui [Jean-Luc Mélenchon], je n'ai pas attendu 25 ans dans un siège de sénateur avant de m'intéresser à la classe ouvrière. De toute façon, l'électorat de Jean-Luc Mélenchon, ce n'est pas la classe ouvrière, mais un électorat de bobos [bourgeois bohèmes]. »

La montée du vote néo-fasciste reflète non seulement la crise sociale à laquelle est confrontée la population, mais aussi le virage à droite de l'ensemble de l'establishment politique. La promotion continuelle, par l'establishment politique, du racisme anti-musulman, sous la bannière de la « guerre contre le terrorisme » ou de la « laïcité » (interdiction de la burqa), a permis à Marine Le Pen de changer l'image du FN et de le présenter comme un parti pareil aux autres, lorsqu'elle a pris la direction du parti des mains de son père Jean-Marie Le Pen en janvier dernier.

Un sondage BVA du mois dernier révélait que 52 pour cent des Français considéraient que le FN était un « parti comme les autres. » Les sondeurs ont fait remarquer que cette réponse était particulièrement courante (63 pour cent) parmi les couches plus défavorisées de la population.

Le virage à droite le plus significatif a été celui pris par les partis de la « gauche » petite-bourgeoise, souvent sous prétexte de combattre les partis néo-fasciste. En 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen et le candidat conservateur Jacques Chirac étaient restés au second tour de l'élection présidentielle, le PS, le PCF et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR- précurseur du NPA) avaient fait campagne et appelé à voter pour Chirac contre Le Pen.

Ils s'étaient opposés à l'appel lancé par le Comité international de la Quatrième internationale (CIQI) d'un boycott actif de l'élection pour préparer une lutte politique indépendante, de la classe ouvrière, contre le gouvernement de Chirac.

Les décennies suivantes ont vu ces forces émerger comme soutiens cruciaux de la politique sociale réactionnaire, en France et dans toute l'Europe. Elles ont soutenu les négociations de la bureaucratie syndicale avec Chirac et Sarkozy sur les coupes dans les retraites et d'autres attaques sociales. Ces forces ont agi exactement comme les partis de la « gauche » petite-bourgeoise qui ont soutenu les syndicats qui négociaient des attaques contre la classe ouvrière dans des pays frappés par la crise, tels la Grèce, l'Espagne et l'Irlande. Elles n'ont pas non plus exprimé la moindre critique des protestations inoffensives appelées par les syndicats contre des mesures qu'elles contribuaient à mettre en place. Elles ont aussi soutenu la politique anti-musulmans de Sarkozy et les guerres de l'impérialisme français, contre la Libye l'année dernière et contre la Syrie cette année.

Ces forces de la « gauche » petite-bourgeoise soutiennent à présent Hollande qui prépare des attaques d'économie de marché contre la classe ouvrière et qui, en début d'année, de façon remarquable, a assuré aux banquiers londoniens qu'il n'était « pas dangereux. »

 

(Article original publié le 24 avril 2012)

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