Premier Congrès national du PES (Australie)

Résolution 5 : Le coup d’État de 2010 et la crise de la bourgeoisie

Voici la cinquième de sept résolutions adoptées à l’unanimité lors du premier congrès national du Parti de l’égalité socialiste (Australie) qui s’est tenu du 6 au 9 avril 2012 à Sydney.

1. Le présent congrès souligne l’importance de la crise sans précédent qui secoue le gouvernement travailliste et le système parlementaire depuis les deux dernières années. Cette crise est l’expression politique en Australie de l’impact de l’aggravation de la crise du capitalisme mondial et du programme réactionnaire de guerre et de contre-révolution sociale dicté par les élites dirigeantes.

2. Le départ soudain du premier ministre Kevin Rudd dans la nuit du 23 au 24 juin 2010 est survenu à la suite d’un coup d’État orchestré par une faction à l’intérieur du Parti travailliste réunissant une poignée d’éminences grises. Ce geste a été motivé à la fois par les profonds changements géostratégiques de l’administration Obama faisant de la région Asie-Pacifique son « pivot » contre la Chine, et par l’insistance du capital financier international d’abandonner toute politique d’investissements pour susciter la relance économique en faveur de l’adoption de plans d’austérité.

3. L’éviction de Rudd a des parallèles avec le « coup d’État de Canberra » qui a vu le départ de Gough Whitlam et de son gouvernement travailliste en 1975. Ce coup d’État était survenu dans la dernière période d’aggravation d’une crise économique et politique – l’essoufflement du boom d’après-guerre, la défaite de l’impérialisme américain au Vietnam et une série de soulèvements révolutionnaires de 1968 à 1975. Son importance a été révélée dans les événements qui ont suivi. Le départ de Whitlam a été le début d’un processus qui a abouti à la fondation d’une nouvelle direction au sein du Parti travailliste. Avec les gouvernements Hawke-Keating de 1983 à 1996, les travaillistes ont abandonné leur programme réformiste national pour mettre en œuvre un programme de libre marché aligné sur les politiques imposées par Reagan aux États-Unis et Thatcher en Grande-Bretagne, « restructurant » du coup le capitalisme australien en effectuant en collaboration avec les syndicats un assaut sans précédent contre la classe ouvrière.

4. La crise politique actuelle qui a suivi le départ de Rudd et comprenant sa récente démission du poste de ministre des Affaires étrangères alors qu’il était à Washington, son échec à se présenter comme dirigeant travailliste, et le fiasco entourant la nomination de Bob Carr comme son remplaçant, souligne le fait que la crise actuelle est encore plus profonde que celle de 1975. Cette crise n’est pas le produit d’affrontements de personnalités ou de styles de leadership, comme le prétend l’establishment politique et médiatique, mais découle bien des problèmes économiques et politiques fondamentaux auxquels est confrontée la classe dirigeante australienne dans cette nouvelle période de crise capitaliste mondiale.

5. Les conflits en politique étrangère sont un facteur clé. Le capitalisme australien fait face à un dilemme historique entre sa lourde dépendance économique envers la Chine et l’Asie dans son ensemble d’une part, et sa dépendance stratégique envers les États-Unis de l’autre. Tout en restant un franc partisan de l’alliance américano-australienne, Kevin Rudd a tenté d’améliorer les tensions géopolitiques devenant de plus en plus acérées entre Washington et Beijing en agissant en quelque sorte comme un modérateur, mais il a omis de consulter Washington d’abord. Ce faisant, il s’est attiré les foudres de puissants intérêts de l’establishment politique et militaire américain. Le soutien servile de Gillard à la politique du « pivot » de l’administration Obama n’a toutefois pas réussi à résoudre le problème. Les conflits qui sévissent au sein du Parti travailliste, et au sein de l’establishment politique, financier et social australien à l’endroit de ce dilemme sont un reflet de celui qui déchire les élites dirigeantes des pays de la région Asie-Pacifique et d’ailleurs dans le monde.

6. Le coup d’État de juin 2010 a été le point culminant d’une crise croissante, excitée par de puissantes sections des médias et de l’élite financière et corporatiste se montrant de plus en plus hostiles à la politique économique du gouvernement travailliste. Rudd a été le politicien le plus étroitement associé aux mesures de relance introduites au lendemain de l’effondrement de Lehman Brothers en septembre 2008. Il a même été nommé « Australien de l’année » en janvier par l’Australian, le journal de Murdoch. Mais dès mai, son gouvernement a été fustigé tous les jours à la une des journaux, pour son « gaspillage » dans les projets de relance. C’est ce même mois où Rudd a annoncé son projet de taxe minière, rédigé par le Trésor australien et visant à transférer une partie des super profits des compagnies minières aux secteurs de l’industrie touchés par l’impact du boom minier sur la monnaie australienne et la disponibilité de main-d’œuvre qualifiée. En réaction, les trois grandes compagnies minières transnationales, BHP Billiton, Xstrata et Rio Tinto, ont lancé une campagne de publicité antigouvernementale sans précédent de plusieurs millions de dollars. L’objectif de cette campagne a été révélé au lendemain du coup d’État, lorsque le directeur général de Rio Tinto, Tom Albanese, a lancé comme mise en garde que tout autre gouvernement envisageant des mesures similaires devrait considérer « le risque de l’approche australienne » et « réfléchir » sur ce que cela impliquerait.

7. C’est dans ce climat de crise croissante et d’hystérie que le premier ministre élu a été démis de ses fonctions, dans le dos du caucus parlementaire du Parti travailliste et de ses membres, ainsi que de la population dans son ensemble. Soulignant les facteurs politiques et économiques impliqués, les premiers gestes de Gillard en tant que première ministre ont été d’affirmer le soutien inconditionnel de son gouvernement à l’alliance avec les États-Unis et l’administration Obama; puis elle a capitulé devant les exigences des géants miniers, invitant leurs représentants à venir aider pour « revoir » le projet de loi sur l’impôt; et enfin, elle a fait du dégagement d’un excédent budgétaire la pierre angulaire du programme de son gouvernement, en passant par d’importantes réductions dans les dépenses publiques et dans les services essentiels tels que la santé, l’aide sociale et l’éducation. Parallèlement, elle s’est engagée à mettre en œuvre une « refonte fondamentale de l’économie australienne aussi profonde et ambitieuse que les réformes des gouvernements Hawke-Keating ». En 18 mois, elle a signé un accord militaire sans précédent avec Obama. Les communications rendues publiques par WikiLeaks ont révélé que l’ambassadeur américain d’alors, Robert McCallum, avait identifié Gillard comme « la meilleure candidate pour prendre la place de Rudd » dès juin 2008. En juin 2009, un an avant le coup d’État, une autre communication de l’ambassade américaine était intitulée « Gillard en passe de devenir la prochaine première ministre australienne ».

8. L’aggravation de la crise politique est marquée avant tout par le déclin et la désintégration de l’ensemble du système parlementaire. Les méthodes antidémocratiques et extraparlementaires utilisées pour chasser Rudd ont entouré Gillard d’une puanteur politique qui ne s’est jamais dissipée. Les élections d’août 2010 se sont apparentées à une farce, aucun des vrais problèmes auxquels est confrontée la population n’ayant été relevé, et encore moins discuté. Plutôt que de confier un mandat au gouvernement Gillard, ces élections ont abouti au premier parlement d’impasse en soixante-dix ans et à la formation d’un gouvernement travailliste minoritaire instable, reposant sur le soutien des Verts et des indépendants.

9. La crise du système parlementaire trouve l’une de ses manifestations les plus claires dans la putréfaction du Parti travailliste qui, historiquement, a toujours fonctionné comme son pilier principal. Au cours du siècle passé et même plus encore, la classe dirigeante a dépendu du Parti travailliste pour affronter les tempêtes politiques de la Première Guerre mondiale, de la Grande Dépression, de la Seconde Guerre mondiale et de l’essoufflement du boom d’après-guerre dans les années 1970. Maintenant, au milieu du plus grand effondrement du capitalisme depuis les années 1930, son instrument politique clé est une coquille vide, dénuée de tout soutien social important, les sondages d’opinion montrant que sa popularité a plongé à des niveaux historiques les plus bas.

10. L’effondrement du Parti travailliste n’est pas une aberration temporaire : elle est bien enracinée dans des processus historiques irréversibles. Rejetant son programme national réformiste sous l’effet de la mondialisation de la production, le Parti travailliste est devenu dans les années 1980-1990 le principal instrument politique pour imposer les diktats du capital sur la classe ouvrière, au nom de la « compétitivité internationale ». Commencé sous les gouvernements Hawke-Keating, ce processus a abouti à l’effondrement du soutien de la classe ouvrière envers le Parti travailliste lors des élections de 1996. Le Parti n’a été réélu qu’en 2007 sur la base qu’il représentait un « moindre mal » par rapport au gouvernement conservateur Howard, largement vilipendé après 11 années au pouvoir. Mais maintenant la tendance sous-jacente a repris ses droits.

11. La classe dirigeante vit une profonde frustration quant au rythme de la restructuration économique sous le gouvernement Gillard. Les élites financières et entrepreneuriales ont peur, non seulement pour leurs perspectives économiques immédiates, mais aussi des conséquences à long terme de la crise de la dette européenne et des tendances mondiales de récession qui produisent déjà un ralentissement en Chine. À l’apogée du boom minier, des sections clés des médias et des entreprises en Australie avaient attaqué le gouvernement de coalition Howard pour avoir laissé passer des opportunités d’imposer des réformes pro-marché, et salué l’élection de M. Rudd. Mais leurs espoirs ont vite fait place à l’insatisfaction et à l’hostilité. Maintenant, bien que Gillard continue de se présenter comme une première ministre dans la lignée de Hawke et de Keating, capable de mettre en œuvre une restructuration radicale du capitalisme australien, peu de membres de l’élite dirigeante la croient. Et ils sont encore moins nombreux à voir en Tony Abbott, ce populiste de droite leader de l’opposition, comme une alternative viable.

12. Et c’est là que réside la base de la crise croissante du régime bourgeois. La classe dirigeante ne pouvant plus compter sur le système des deux partis pour imposer ses politiques, elle se trouve donc contrainte de se tourner vers des méthodes d’autorité antidémocratiques et extraparlementaires. Comme Léon Trotsky l’a si bien expliqué : « Par analogie avec l’électricité, la démocratie peut être définie comme un système d’interrupteurs et de disjoncteurs servant de protection contre les surcharges de courant de la lutte nationale ou sociale... Sous l’effet des contradictions de classes et internationales trop fortement chargées, les interrupteurs de la démocratie grillent ou explosent. C’est essentiellement ce que le court-circuit de la dictature représente. »

13. Les organisations de la pseudo-gauche se sont efforcées assidûment de couvrir la signification historique du coup d’État, affirmant qu’il ne s’agissait que d’une simple « tempête dans un verre d’eau », sans enjeu d’importance. En tandem avec la campagne menée par les médias et l’establishment politique, elles cherchent à chloroformer la classe ouvrière et à l’empêcher de développer une réponse indépendante à l’aggravation de la crise.

14. Le gouvernement Gillard va affronter le déclenchement inévitable de luttes ouvrières de masse en escaladant son offensive contre les droits démocratiques. L’an dernier, il a réagi à la grève chez le transporteur aérien Qantas Airways en invoquant pour la première fois ses nouveaux pouvoirs dans le cadre de la législation Fair Work Australia (FWA), une loi sur le « travail équitable », pour arrêter une action collective, démontrant ainsi que toute lutte par les travailleurs pour défendre leurs intérêts les met en conflit direct avec l’État capitaliste même. Jusqu’à présent, le gouvernement travailliste a pu compter sur les syndicats et leurs défenseurs de la fausse « gauche » pour isoler et réprimer les luttes. Mais les conditions d’une rébellion contre les syndicats et le gouvernement travailliste arrivent rapidement à maturité, comme l’a révélé la détermination des infirmières de l’Ordre de Victoria à défier les ordonnances de la FWA, même sous la menace d’amendes et de peines d’emprisonnement.

15. La classe ouvrière est propulsée vers d’immenses batailles industrielles, sociales et politiques, dans des conditions où les mécanismes mis en place au cours des 120 dernières années pour contenir et réguler la lutte des classes sont dans un état de délabrement avancé. En dernière analyse, c’est là que réside toute l’importance du coup d’État de juin 2010. Dans cette nouvelle période, toute lutte importante va immédiatement soulever la question du pouvoir politique, ce qui pose des défis décisifs pour la classe ouvrière et pour le Parti de l’égalité socialiste. Le PES va intervenir à toutes les occasions pour gagner le soutien de la classe ouvrière au programme de l’internationalisme socialiste et développer un mouvement politique indépendant des travailleurs et des jeunes pour établir un gouvernement ouvrier basé sur des politiques socialistes.

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