Le syndicat tunisien UGTT appelle à une grève nationale de 24 heures

Le 13 décembre, le syndicat tunisien l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a appelé à une grève nationale d'une journée dans le contexte de protestations grandissantes de la classe ouvrière contre le gouvernement provisoire du parti islamiste Ennahda de Tunisie et d’affrontements avec des gros bras islamistes survenus mardi 4 décembre.

L’UGTT a appelé à la grève pour protester contre une attaque du siège central de l’UGTT à Tunis par des nervis des Ligues de protection de la révolution qui ont blessé dix personnes. Le secrétaire général de l’UGTT, Hassine Abbassi, a aussi exigé qu’Ennahda présente des excuses officielles au peuple tunisien pour les attaques perpétrées contre ses locaux.

Le président d’Ennahda, Rachel Ghannouchi, a répliqué à l’appel à la grève de l’UGTT en demandant que soient effectuées des fouilles dans tous les locaux du parti et du syndicat « pour en évacuer les milices et les armes. »

L’appel à la grève lancé par l’UGTT pour garder la mainmise sur la colère populaire est survenu cinq jours après des protestations de masse contre la pauvreté et qui avaient éclaté mardi 27 décembre, se concentrant dans la ville ouvrière de Siliana. Elles avaient été brutalement attaquées par la police. Environ 300 manifestants avaient été blessés par les tirs de chevrotine de la police.

L’UGTT, un appui de longue date de la dictature de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali, qui a été évincé l’année dernière au milieu de luttes révolutionnaires de la classe ouvrière, a appelé à une grève dans une tentative d’empêcher que ces luttes ne dégénèrent en une lutte révolutionnaire contre le gouvernement et contre le capitalisme. Son appel à des grèves d’une journée le 6 décembre et le 13 décembre ne faisaient référence qu' aux attaques perpétrées contre les locaux de l’UGTT et ne mentionnaient pas les événements survenus à Siliana.

Les grèves locales d’une journée organisées dans quatre villes combatives étaient clairement sensées servir de soupape pour désamorcer la situation. Elles se sont déroulées à Sfax, la capitale économique du pays ; Gafsa, le centre de la production de phosphate ; et Sidi Bouzid et Kasserine, les centres initiaux où la révolution avait éclaté l’année dernière. Le jour même, la grève a été massivement soutenue dans les quatre régions. Pratiquement tous les établissements du secteur public et privé étaient fermés et des dizaines de milliers de travailleurs ont manifesté.

Parmi les slogans il y avait ceux-ci : « Balles de chevrotine, les Tunisien n’ont jamais peur, » « Démission, oh gouvernement d’intelligence avec l’étranger », « Gouvernement de colonisation, vous avez vendu la Tunisie ».

L’appel limité à la grève du jeudi 6 décembre et la date de la grève nationale ont été choisis pour ralentir le rythme des protestations et pour empêcher qu’elles ne se transforment en une rébellion incontrôlée de l’ensemble de la classe ouvrière.

A cette fin, l’UGTT a suspendu « provisoirement » les grèves de 24 heures dans la région de Siliana le dimanche 2 décembre alors que de par la Tunisie les travailleurs commençaient à manifester en solidarité avec Siliana. Des centaines d’habitants de Siliana, auxquels s’étaient joints des travailleurs de Sidi Bouzid, ont fait un sit-in au local de l’UGTT au moment où le patron de l’UGTT Ahmed Cheffai a annoncé la fin de la grève, dans l'attente de la mise en application d’un accord conjoint entre le gouvernement et le syndicat. Tunisie.tn a rapporté que, « les manifestants ont qualifié les négociations entre les deux parties de ‘marchandage politique’ accusant la partie syndicale d’avoir cédé face au gouvernement. »

Ce faisant l’UGTT est en train d’agir pour l’ensemble de la bourgeoisie tunisienne qui craint une reprise des luttes révolutionnaires. Vendredi, le président tunisien Moncef Marzouki a déclaré : « Nous n’avons pas une seule Siliana. J’ai peur que cela se reproduise dans plusieurs régions et que cela menace l’avenir de la révolution. »

Le dirigeant salafiste ultra-réactionnaire Béchir Ben Hassen a déclaré que la grève était un «péché », affirmant vouloir organiser des marches fortes de millions de personnes pour « protéger la révolution. » Se référant à l’intensification des manifestations de masse en Egypte contre le président islamiste Mohamed Morsi, il a jouté, « C’est une erreur de copier les Egyptiens avant de voir où ce qu’ils font va les mener. »

L’UGTT revendique 500.000 membres, ses locaux se répartissent sur tout le pays et le syndicat prétend être le représentant de la classe ouvrière tunisienne. Toutefois, durant les 22 ans du règne corrompu de Ben Ali, et qui a maintenu la masse des travailleurs et des paysans dans une pauvreté abjecte, l’UGTT a prospéré et soutenu de manière constante les campagnes présidentielles de Ben Ali lors des élections truquées en Tunisie. L’UGTT n’a jamais appelé à une grève nationale mais a servi à maintenir Ben Ali au pouvoir en n’appelant qu’à une grève de deux heures alors que le dictateur était sur le point de fuir le 14 janvier 2011.

Se faisant passer pour les défenseurs de la classe ouvrière, l’UGTT et l’ensemble de la « gauche » petite bourgeoise tunisienne ont mis en avant des conceptions politiques visant à bloquer une lutte révolutionnaire de la classe ouvrière ayant pour but la prise de pouvoir de la classe ouvrière et la lutte internationale pour le socialisme. Il ne fait nullement mention des luttes croissantes de la classe ouvrière en Egypte où la classe ouvrière se bat contre la tentative du président islamiste Mohamed Morsi d’établir une dictature.

Il soutient qu’Ennahda, parti pro-impérialiste et islamiste, peut être poussé à défendre les droits démocratiques et à promouvoir les intérêts sociaux de la classe ouvrière. Abbassi a été en permanence engagé dans des négociations avec le gouvernement tunisien alors que les protestations s’amplifiaient au sujet des aspirations sociales et démocratiques non satisfaites de la classe ouvrière.

La principale préoccupation de l’UGTT est de préserver l’unité de tous les partis politiques tunisiens. Il avait convoqué un Congrès de dialogue national à la mi-octobre auquel avaient participé tous les principaux partis politiques tunisiens à l’exception d’Ennahda qui l’avait boycotté. L’UGTT continue de réclamer un « dialogue national. »

Son principal allié politique qui lui sert de caution de « gauche » est le Parti des Travailleurs (PT, anciennement le Parti communiste des ouvriers de Tunisie, PCOT) maoïste dirigé par Hamma Hammami.

Lorsque le président Marzouki a appelé à un gouvernement restreint de technocrates, suite à la crise politique provoquée par l’indignation face à la brutalité de la police à Siliana, le PT a immédiatement accueilli la nouvelle favorablement.

Lundi dernier, dans un communiqué, Hamma Mammami a réclamé la constitution d’un « gouvernement de crise, restreint, formé de compétences nationales et oeuvrant selon un programme d’action clair ». Il a souligné la disposition du Front populaire – une coalition de partis nationalistes bourgeois et pro-capitaliste, qu’il dirige – à y participer « une fois un programme d’action convenu. »

En cela, le PT ressemble au Parti de Gauche petit bourgeois en France, à Die Linke en Allemagne et à SYRIZA en Grèce, qui tous sont en quête d’une responsabilité gouvernementale afin d'empêcher une révolution sociale et de maintenir le régime capitaliste.

(Article original paru le 10 décembre 2012)

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