La junte égyptienne installe l’islamiste Morsi comme potiche à la présidence

La commission suprême de l’élection présidentielle d’Egypte a proclamé dimanche Mohamed Morsi, le candidat des Frères musulmans (FM), vainqueur du dernier tour de l’élection présidentielle qui s’est tenu il y a une semaine dans le contexte d'un coup d’Etat militaire perpétré par le Conseil suprême des Forces armées (CSFA).

L’annonce a été faite après un délai de trois jours durant lequel des dizaines de milliers de gens, pour la plupart des partisans des FM, ont envahi la Place Tahrir au Caire pour dénoncer la prise de pouvoirs dictatoriaux par l'armée et la menace que le CSFA falsifie les résultats électoraux et remette la présidence à son candidat favori, l’ancien commandant en chef des Forces aériennes, Ahmed Chafiq, dernier premier ministre du dictateur déchu Hosni Moubarak.

TahrirLa place Tahrir au début du mois [Photo: Gigi Ibrahim]

Des milliers s’étaient rassemblés sur la place dimanche pour attendre l’annonce alors que des troupes étaient en état d'alerte, prêtes à réprimer l'éruption de colère attendue dans le cas d’une décision en faveur de Chafiq.

La semaine passée, la junte avait menacé de frapper d’une « main de fer » les manifestant, stationnant des troupes et des véhicules blindés devant les bureaux de la commission électorale, le bâtiment vide du parlement et d’autres bureaux publics au Caire. Dans le même temps, d’intenses négociations en coulisse étaient engagées entre le CSFA et les Frères musulmans au sujet d’un accord visant à conférer à Morsi la présidence, en grande partie impuissante, en échange de l’acceptation par les Islamistes de la prise de pouvoirs dictatoriaux par l’armée.

Mohamed ElBaradei, ancien directeur général de l’Agence internationale à l’énergie atomique était manifestement impliqué dans la conclusion de l’accord. Suite à des reportages selon lesquels il était en négociation avec les FM au sujet d’un éventuel poste ministériel, il a rencontré samedi soir le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, le chef du CSFA.

C’était un secret de polichinelle que l’annonce de la commission électorale serait déterminée par l’issue de ces pourparlers, et pas par les résultats du vote du dernier tour des élections présidentielles.

Finalement, la commission a déclaré que Morsi avait gagné les élections avec 51,7 pour cent des voix contre 48,3 pour cent pour Chafiq, soit une différence de quelque 900.000 voix. Elle a précisé que la participation au deuxième tour avait été de 51,6 pour cent, contre le chiffre même plus faible de 46 pour cent au premier tour des élections.

L’abstention de masse est le reflet du manque d’enthousiasme au sein de la classe ouvrière pour les deux candidats – Chafiq, un vestige du régime détesté de Moubarak, et Morsi, le porte-parole d’un parti islamiste droitier pro-capitaliste représentant les intérêts de sections de la bourgeoisie et des couches plus riches de la classe moyenne.

Peu après l’annonce faite par la commission électorale, Tantaoui a félicité Morsi, qui devrait prendre ses fonctions le 1er juillet. Il le fera dans une situation où les généraux ont dissout le parlement et l’assemblée constituante, décrété de fait la loi martiale, et se sont arrogé les pleins pouvoirs sur les questions législatives et budgétaires, les agences de sécurité et militaire, et la formation de l’assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution.

Ce simulacre de démocratie, résultat d’un accord entre des factions rivales de l’élite dirigeante qui a exclu l’opinion et les intérêts de la grande masse des Egyptiens, a été immédiatement salué par Washington et les autres puissances impérialistes en tant que fait marquant de la « transition démocratique » qui est supposée être mise en place sous le régime autoritaire des généraux du CSFA.

La Maison Blanche d’Obama a félicité Morsi et le peuple égyptien pour « cette étape importante franchie dans la transition vers la démocratie. » Dans le même temps, elle a mis en garde le président nouvellement élu de ne pas défier la réalité politique dominée par l’impérialisme américain dans la région, dont le traité de paix crucial signé en 1979 entre l’Egypte et Israël. « Nous pensons qu’il est essentiel que le gouvernement égyptien continue de remplir le rôle de pilier de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans la région, » a déclaré la Maison Blanche.

Le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, a dit, « Le peuple d’Egypte a élu un nouveau président. Je le félicite lui et eux pour le résultat et le processus pacifique. »

Cette tentative de masquer la réalité d’une dictature militaire et de permettre aux généraux de préparer une répression massive contre un nouveau mouvement de la classe ouvrière est soutenu par l’ensemble de l’establishment politique en Egypte, allant des Islamistes « modérés » aux libéraux en passant par diverses organisations pseudo-gauches de la classe moyenne. Ces dernières se sont carrément rangées derrière Morsi et les Frères musulmans.

Vendredi dernier, après deux jours de réunion avec des dissidents islamistes libéraux des FM, des nasséristes séculiers et les représentants du Mouvement de la Jeunesse du 6 avril, Morsi a tenu une conférence de presse lors de laquelle il a annoncé la formation d’un front national. Il a promis de nommer un premier ministre n'appartenant pas aux FM et d'attribuer d’autres postes ministériels à des représentants de « forces nationales » non islamistes.

Dimanche, après l’annonce de la commission électorale, les Socialistes révolutionnaires (SR) ont publié un communiqué déclarant que l’élection de Morsi était « une victoire révolutionnaire significative. » Depuis que le mouvement révolutionnaire centré sur la classe ouvrière a renversé la dictature de Moubarak soutenue par les Etats-Unis en février 2011, les SR cherchent à donner de la crédibilité à l’affirmation que l’armée préside une « transition démocratique. » Parallèlement, ils ont collaboré avec les Frères musulmans pour bloquer l’émergence d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière pour renverser la junte et la remplacer par un Etat ouvrier luttant pour le socialisme.

Dans leur communiqué de dimanche, les SR ont réitéré leur soutien à la « transition démocratique » non existante, malgré la prise de pouvoirs dictatoriaux par l’armée. Ils ont dit, en parlant de la mise en place de Morsi : « Une fois de plus les masses ont montré qu’elles étaient encore capables de modifier les projets de l’armée contre-révolutionnaire, et la légitimité révolutionnaire est encore capable d’extraire des avantages et des lois révolutionnaires. »

Ceci est la continuation du rôle contre-révolutionnaire joué par les SR et d’autres organisations pseudo-gauches, tel le Parti de l’Alliance populaire socialiste (PAPS), le Parti socialiste égyptien et le Parti communiste d’Egypte, la plupart desquels ont signé une promesse de soutenir la constitution égyptienne de 1971 et d’approuver le rôle joué par l’armée dans la vie politique égyptienne, quelques jours à peine avant que le CSFA ne dissolve le parlement et l’assemblée constitutionnelle en proclamant la loi martiale.

La fonction primordiale de Morsi sera de collaborer avec l’armée dans le déchaînement de la violence contre un nouveau mouvement de la classe ouvrière. Toutes les factions de l’establishment bourgeois, y compris son flanc de « gauche » au sein des SR et de groupes identiques, redoutent qu'un nouveau mouvement de la classe ouvrière renverse l’Etat égyptien et ouvre l’ensemble de la région à la révolution de la classe ouvrière.

Tard dimanche soir, lors d’un discours télévisé et retransmis nationalement, Morsi s’est engagé à prêter serment devant les députés siégeant au parlement et non devant la Cour constitutionnelle suprême comme l’avaient statué les généraux du CSFA. Cette décision, une des exigences figurant dans le communiqué des SR, était une tentative de fournir une feuille de vigne en guise de défiance d'une abjecte déclaration de subordination à l’armée égyptienne et à l’impérialisme américain.

Déclarant que « l’unité nationale » est « le seul moyen pour sortir l’Egypte de cette crise difficile, » le président élu, éduqué aux Etats-Unis, a exprimé sa gratitude et son admiration pour l’armée, la police, les juges et les autres responsables gouvernementaux pour leur travail « au nom de la nation. » Il a dit, « Je dois leur rendre hommage parce qu’ils ont un rôle à jouer à l’avenir. »

Puis, s’inclinant devant les Etats-Unis et Israël, il a dit « nous respecterons tous les accords nationaux et internationaux. »

La politique pro-capitaliste et pro-impérialiste des Frères musulmans a pu se voir lors d’une interview amicale avec le chef de l’organisation, l’homme d’affaires multimillionnaire, Khairat el-Shater, publiée samedi par le Wall Street Journal. En disant clairement qu’il préconisait des réformes économiques de libre marché, Shater a dit, « Notre vision économique est proche d’un capitalisme modifié. »

Il a poursuivi en déclarant que la priorité des Frères musulmans était un « partenariat stratégique » étroit avec les Etats-Unis.

Une clé du rôle fondamental que les Frères musulmans cherchent à jouer en prenant pied dans l’appareil d’Etat, est fournie par l’article 53b du décret constitutionnel publié par le CSFA qui s’arroge des pouvoirs dictatoriaux. L’article stipule : « Si le pays est confronté à des troubles internes nécessitant l’intervention des forces armées, le président est habilité à publier une décision pour commanditer les forces armées — avec l’approbation du CSFA — à assurer la sécurité et à défendre les biens publics. »

Voir aussi:

La junte égyptienne fomente un coup d’Etat contre le parlement

[18 juin 2012]

Les élections présidentielles égyptiennes démasquent l’ex-gauche bourgeoise

[16 juin 2012]

Egyptian Revolutionary Socialists’ reaction to army coup: Complacency and tacit support (en anglais uniquement)

[16 juin 2012]

 

(Article original paru le 25 juin 2012)

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