Les étudiants du Québec cherchent à élargir la grève mais les dirigeants de la CLASSE capitulent devant l’opposition des centrales syndicales

Des dizaines de milliers d’étudiants en gréves et leurs partisans ont défilé dimanche dans le centre-ville de Montréal dans une manifestation organisée par la CLASSE, l’association étudiante qui est le fer de lance de la grève de cinq mois contre le plan d’augmenter drastiquement les frais de scolarité du gouvernement mené par le Parti libéral du Québec.

Des milliers d’étudiants grévistes et leurs partisans ont défilé dimanche dans le centre ville de Montréal

La manifestation animée qui a eu lieu en pleine chaleur durant la période traditionnelle des vacances d’été, a témoigné de la détermination des étudiants de lutter pour que l’éducation soit un droit social poussé par la colère populaire profonde contre le gouvernement libéral de Charest.

Mais, la direction de la CLASSE n’a présenté aucune perspective viable pour poursuivre la lutte dans des conditions où la grève a conduit les étudiants dans un conflit frontal non seulement contre le gouvernement libéral de Jean Charest mais contre l’ensemble de la classe dirigeante canadienne, ses tribunaux et sa police.

La direction de la CLASSE prétend soutenir une « grève sociale » - un mouvement de protestation plus vaste impliquant des grèves limitées. Cependant, face à une opposition farouche des syndicats, elle a pour ainsi dire abandonné son appel à tout élargissement de la grève. Les participants à la manifestation de dimanche ont été accueillis par le slogan de protestation standard de la CLASSE, « Crions plus fort pour que personne ne nous ignore. »

Sa tentative d’exercer une pression sur le gouvernement pour qu’il révoque l’augmentation des frais de scolarité a visiblement échoué, la CLASSE est de plus en plus en train de s’adapter à une campagne menée par les centrales syndicales pour détourner la grève des étudiants et le mouvement d’opposition plus général qui s’est développé suite à la draconienne loi 78 des libéraux derrière une campagne pour élire le Parti québécois (PQ), un parti de la grande entreprise. Ces dernières semaines, les porte-parole de la CLASSE ont à plusieurs reprises signalé qu’ils considéreraient la défaite des libéraux de Charest infligée par le PQ – un parti qui, lorsqu’il a été au pouvoir, a effectué les plus grandes coupes dans les dépenses sociales de l’histoire du Québec – comme un résultat positif pour les étudiants et la population laborieuse.

Dans son allocution à la fin de la manifestation de dimanche qui a abouti devant le bureau de Charest à Montréal, le porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, a déclaré : « Nous sommes des centaines de milliers à rêver d’un Québec meilleur. Nous sommes des centaines de milliers déterminés à en finir avec Jean Charest, avec les libéraux, avec le néolibéralisme. Nous sommes des centaines de milliers à vouloir redonner le pays à son peuple. »

Comme ce fut le cas lors des manifestations du 22 juin à Montréal et à Québec, les orateurs de la CLASSE n’ont pas appeler à leur « grève sociale ». Ils n’ont pas non plus clairement appelé à ce que la grève des étudiants continue après la fin à la mi-août de la « suspension » de trois mois du semestre d’hiver imposée par le gouvernement.

Les orateurs de la CLASSE ont promis de soutenir les étudiants au cas où ils décident de défier la loi 78 et d’organiser des piquets de grève dans les universités et les cégeps (collèges préuniversitaires et techniques) paralysés par la grève. Ils n’ont toutefois émis aucune recommandation sur ce que les étudiants doivent faire lorsque le gouvernement tente de faire redémarrer le semestre d’hiver.

Ceci va dans le sens d’une décision que la CLASSE a prise lors de son congrès du 14 juillet d’être plus « démocratique » pour « laisser le soin aux étudiants », organisés au sein de leurs associations syndicales étudiantes, d’initier les prochaines étapes de la lutte.

Entre-temps, les syndicats ont déclaré qu’ils respecteront la loi 78. Ce qui les rend carrément complices de la répression de la grève par l’Etat, vu que la loi 78 les contraint à assister le gouvernement en obligeant les enseignants et d’autres employés de l’université et du CEGEP à briser la grève.

Quant au gouvernement, c’est un secret de polichinelle qu’il utilise la longue suspension du semestre pour planifier une mobilisation policière sans précédent.

De nombreux travailleurs ont participé à la manifestation de dimanche, mais ils l’ont fait à titre individuel. Mis à part un autocar plein de membres du syndicat des métallos de Toronto, aucune délégation syndicale n’était présente.

La manifestation de dimanche a été la cinquième protestation de masse consécutive des étudiants à s’être tenue le 22 du mois. Le 22 mai, à peine quatre jours après l’adoption de la loi 78, jusqu’à 250.000 personnes avaient manifesté dans ce qui fut l’une des plus vastes manifestations de l’histoire du Québec.

Alors même que les syndicats isolent la lutte des étudiants en promettant d’appliquer la loi 78, la direction de la CLASSE continue de les promouvoir comme des alliés des étudiants et des représentants légitimes de la classe ouvrière.

La manifestation de dimanche s’est tenue sous le thème de « Dehors les néolibéraux ». De nombreux étudiants et leurs partisans l’ont apprécié vu qu’ils considèrent ceci comme un élargissement de la grève, en liant la lutte contre l’augmentation des frais scolarité à une opposition plus large contre la décision de l’élite dirigeante de démanteler les services publics au moyen de coupes dans les dépenses sociales, du principe utilisateur-payeur et de privatisations.

Mais, ce slogan a évidemment une double signification qui coïncide avec l’identification que les libéraux de Charest sont le principal ennemi des étudiants. Ce qui est encore plus important, c’est qu’il est lié à la conception réformiste en faillite que la domination de « l’idéologie néolibérale » n’est que le résultat de la cupidité – que la guerre de classe de ces dernières années résulte d’un mauvais choix politique et n’est pas la conséquence de l’échec du capitalisme ; et que c’est grâce à des protestations que la classe dirigeante peut être forcée à restaurer des concessions restreintes accordées aux travailleurs durant le boom de l’après Seconde Guerre mondiale.

Conformément à cette orientation des protestations, la CLASSE continue à confiner la lutte à l’intérieur des paramètres de Québec, en la qualifiant de lutte « nationaliste » des gens du Québec, plutôt qu’une partie de l’opposition grandissante menée par la classe ouvrière contre la décision du patronat et de ses représentants politiques de faire payer la classe ouvrière pour la crise capitaliste.

Seul un des trois orateurs de la CLASSE qui ont parlé à la foule au début de la manifestation a fait référence aux brutales mesures d’austérité qui sont imposées par le gouvernement conservateur canadien. Personne n’a parlé de l’opposition grandissante de la classe ouvrière en Grèce, en Espagne et partout dans le monde à l’encontre de la politique de guerre de classe de l’aristocratie financière ou encore fait mention de la plus grande crise du capitalisme depuis la Grande Dépression.

Il faut aussi souligner que les orateurs de la CLASSE n’ont pas non plus mentionné le PQ. Ce parti, précisément parce qu’il est soutenu par les syndicats et parce qu’il existe toujours des illusions dans la population qu’il serait un « moindre mal », à maintes reprises a pu imposer des attaques plus radicales contre la classe ouvrière que le Parti libéral.

La Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), les deux autres principales associations d’étudiants, aux côtés de leurs conseillers au sein de leur bureaucratie, présente depuis longtemps le PQ comme un allié des étudiants. Avant la manifestation de dimanche, les dirigeants de la FECQ et de la FEUQ ont tenu une conférence de presse pour publiciser qu’ils appelaient les étudiants à concentrer leurs efforts contre les libéraux dans 10 circonscriptions électorales que les libéraux avaient gagné avec une faible avance.

« Je pense que ce mouvement a réveillé beaucoup de monde au fait que nous pouvons contribuer au changement, » a dit la présidente de la FECQ, Elaine Laberge. « Avant, nous étions pris dans ce cercle vicieux où nous ne votions pas et donc nous n’étions pas représentés et, parce que nous ne nous sentions pas représentés, nous ne votions pas. »

Alors que certains des dirigeants de la FECQ et de la FEUQ s’étaient joints à la manifestation de dimanche, ils n’ont rien fait pour la faire progresser. La raison en est qu’ils sont déterminés à respecter la loi 78 au pied de la lettre. En signe de défiance, la CLASSE a refusé de se conformer à l’ordre de la police pour obtenir l’approbation préalable de l’itinéraire de la marche de Montréal et d’une manifestation parallèle dans la ville de Québec. La police avait tout d’abord déclaré les deux protestations « illégales » mais, compte tenu des milliers de manifestants, elle s’est abstenue de toute action.

Les partisans du Socialist Equality Party (Parti de l’Egalité socialiste, SEP) sont intervenus dans la manifestation de Montréal pour prévenir que la lutte courageuse et tenace des étudiants et qui dure depuis cinq mois est en péril et pour lutter pour la relance de la grève étudiante sur la base d’une perspective socialiste. Ils ont distribué plus 2.000 exemplaires d’une déclaration dans laquelle on pouvait lire : « Pour que la grève soit victorieuse, les étudiants doivent rendre explicite leur défi au programme de l’austérité. Ils doivent élargir leur champ d’action tant politiquement que géographiquement en faisant de leur grève le catalyseur d’une contre-offensive de la classe ouvrière au Québec et partout en Amérique du Nord en défense de tous les emplois, de tous les services publics et pour le développement d’un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière destiné à la prise du pouvoir à la tête de gouvernements ouvriers.

« Seule la classe ouvrière est en mesure de mettre fin à la mainmise des grosses entreprises sur la vie socioéconomique en réorganisant radicalement la vie économique pour que les besoins sociaux, et non plus le profit privé, en soient le principe directeur. »

Pour lire l’intégralité de la déclaration cliquer ici : Québec : La grève des étudiants à la croisée des chemins

(Article original paru le 24 juillet 2012)

Loading