Le manifeste impérialiste « Pour l’Europe » de Daniel Cohn-Bendit

Daniel Cohn-Bendit et Guy Verhofstadt ont rédigé conjointement un manifeste intitulé « Pour l’Europe », qui plaide en faveur d’une Union européenne forte et d’une Europe fédérale avec un gouvernement central puissant. Le manifeste doit être distribué sous forme de livre en plusieurs langues.

Né en 1945, Daniel Cohn-Bendit est président du groupe des Verts au Parlement européen et a été l’une des figures les plus importantes de la révolte étudiante de Mai 1968 en France. Verhofstadt, pour sa part est né en 1953 et a été premier ministre belge de 1999 à 2008. Il dirige actuellement le groupe libéral au Parlement européen, qui comprend le Parti libéral-démocrate (FDP) allemand défenseur du libre marché.

L’élément le plus remarquable de ce manifeste n’est pas tant son plaidoyer en faveur d’une Europe fédérale avec un fort pouvoir exécutif; ces notions sont monnaie courante dans les milieux bourgeois depuis la naissance du projet européen. Ce qui frappe, c’est la façon dont Cohn-Bendit et Verhofstadt ne tentent aucunement de lier cette demande à des appels à la paix et à la prospérité. Bien au contraire, ils affirment sans ambages que l’Europe doit être une superpuissance impérialiste. Selon eux, austérité et militarisme sont le prix à payer pour atteindre cet objectif.

Dès la première page, Cohn-Bendit et Verhofstadt justifient leur engagement envers une Union européenne forte en déclarant : « Nous devons défendre plus énergiquement nos intérêts économiques et politiques face aux grandes puissances de l’envergure de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de la Russie ou des États-Unis. »

C’est le thème qui est repris à travers le manifeste entier. Dans un autre passage on peut ainsi lire : « Dans moins de 25 ans, aucun pays européen ne comptera parmi les puissances déterminant les affaires du monde ». Une « Europe forte et unie », cependant, serait, aujourd’hui et demain, « le continent le plus riche et le puissant au monde, plus riche que l’Amérique, plus puissant que tous les nouveaux empires réunis. »

Les auteurs du manifeste ne soufflent pas un mot sur le sort des millions de Grecs, de Portugais, d’Irlandais et d’Espagnols, dont les moyens de subsistance sont actuellement détruits au nom de la défense de l’euro et de l’UE. Ils considèrent les diktats d’austérité de l’UE comme indispensables « pour assurer notre place dans le monde – peu importe le prix à payer ».

« Une monnaie ne peut être maintenue sans solidarité et discipline », écrivent-ils, tout en appelant à des pouvoirs dictatoriaux pour la Commission européenne : « Nous avons besoin… [d’]institutions communes qui ont le pouvoir de définir la politique économique, budgétaire et fiscale pour la zone euro dans son ensemble. Des institutions qui disposent des outils pour vraiment appliquer la mise en œuvre des règles du jeu, sans entraves des États membres ».

Cohn-Bendit et Verhofstadt considèrent également les interventions militaires comme essentielles pour assurer « notre position dans le monde ». Ce n’est pas seulement apparent dans leur revendication d’une armée européenne commune, mais aussi dans leurs éloges pour la nouvelle doctrine de l’ONU qu’est la « responsabilité de protéger ». « Cela marque le début d’une ère nouvelle, l’extension de la souveraineté du droit international et des droits de l’homme bien au-delà des États-nations », écrivent-ils.

Le concept de la « responsabilité de protéger » sert de justification aux États-Unis et à ses alliés pour attaquer militairement des États souverains et imposer des changements de régime dans leurs propres intérêts. La guerre contre la Libye a été justifiée avec ce motif, et le même concept est maintenant utilisé pour préparer une intervention directe contre la Syrie. Cohn-Bendit et Verhofstadt sont tous deux partisans de telles interventions. Ils justifient les violences impérialistes par la nécessité de faire rayonner les « droits de l’homme, la liberté et la démocratie ». Leurs propos rappellent fortement la « mission civilisatrice » de l’impérialisme britannique, argument utilisé pour justifier l’assujettissement brutal de l’Inde et de l’Afrique.

Afin de donner une certaine crédibilité à leur appel pour une Union européenne plus forte, Cohn-Bendit et Verhofstadt agitent le spectre du nationalisme. Ils évoquent les deux guerres mondiales, qui ont amené leur lot de « persécution et de familles brisées, l’extinction des minorités, les pays en ruines et les villes rasées par les bombardements » et lancent cette mise en garde : « Tôt ou tard, le nationalisme conduit toujours à la même tragédie ».

Ce faisant, ils ignorent ainsi délibérément le fait que c’est la politique européenne qui a renforcé les tendances centrifuges en Europe. La destruction des moyens de subsistance de millions de travailleurs par les coupes sociales ordonnées par Bruxelles – avec le plein appui des sociaux-démocrates, des Verts et des syndicats – joue entre les mains des forces nationalistes de droite. Les groupes néo-fascistes sont également en mesure de capitaliser sur la politique des autorités européennes qui ont l’intention de mettre en place de nouvelles barrières contre les immigrés et d’intensifier les persécutions contre les réfugiés.

La soumission de l’Europe aux diktats des plus puissants intérêts financiers et économiques grâce à un renforcement de l’Union européenne et la montée du nationalisme sont les deux faces d’une même médaille. Bien souvent, les partisans de ces deux positions se retrouvent dans le même camp politique, comme c’est le cas en Allemagne, où la coalition au pouvoir unit les nationalistes véhéments aux partisans résolus de l’UE.

La véritable ligne de démarcation politique en Europe n’est pas entre les partisans de l’UE et les nationalistes mais entre les divisions sociales, avec d’un côté l’élite dirigeante qui amasse des fortunes immenses en conduisant le continent à la catastrophe et vers la guerre, et de l’autre la classe ouvrière qui fait l’objet d’attaques incessantes contre ses droits sociaux et démocratiques. Une rechute dans la dictature et la guerre en Europe ne peut être évitée que si les travailleurs s’unissent par delà les frontières, exproprient les élites dirigeantes et construisent l’Europe sur une base socialiste. Ce programme exige une lutte intransigeante contre l’UE et ses institutions.

Cohn-Bendit et Verhofstadt, deux féroces anticommunistes, luttent contre une telle perspective. Leur manifeste aligne le communisme avec le fascisme et le nazisme, incluant cette idéologie parmi les « ennemis de la liberté ».

Il n’est pas surprenant qu’un partisan libéral du libre marché comme Verhofstadt défende de telles opinions. Cohn-Bendit cependant conserve encore des relents rebelles de ses années d’étudiant où on l’appelait « Dany le Rouge ». En fait, son engagement du côté de l’impérialisme n’est pas nouveau. En 1999, lorsque son ami et compagnon de longue date Joschka Fischer – alors ministre des Affaires étrangères allemand – prônait la participation de l’armée allemande dans la guerre contre la Yougoslavie, Cohn-Bendit a été son défenseur le plus énergique pour surmonter l’opposition pacifiste à l’intérieur du Parti Vert.

Cohn-Bendit incarne les couches de la classe moyenne dont le principal objectif en 1968 était d’étendre leur propre potentiel de promotion individuelle et qui méprisaient la classe ouvrière. Sous l’influence de théories anti-marxistes, elles considéraient la classe ouvrière comme une masse arriérée, sous l’emprise de la consommation. Quand à leur grande surprise les travailleurs français sont intervenus en mai et ont paralysé le pays par une grève générale et des occupations d’usine, amenant du coup le gouvernement du général de Gaulle au bord de l’effondrement, elles ont réagi avec stupeur et se sont rapidement tournées vers la droite.

En passant par divers groupes anarchistes, maoïstes et pseudo-marxistes, elles ont commencé une « marche des institutions », ce qui leur a permit de faire carrière et d’obtenir des postes lucratifs. Nombreux sont les anciens anarchistes, maoïstes et autres « gauchistes » qui occupent maintenant des postes de premier plan dans les conseils d’administration de l’Union européenne, les gouvernements européens et les partis établis – fonctionnant comme des piliers de l’ordre dominant. Cohn-Bendit n’est que l’un d’entre eux, bien que certainement l’un des plus répugnants.

(Article original publié le 12 octobre 2012)

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