Le parti allemand Die Linke rencontre l’opposition syrienne

Le 9 octobre, la Fondation Rosa Luxemburg – groupe de réflexion du parti allemand La Gauche (Die Linke) – et la Société allemande de la Paix ont organisé une rencontre à Berlin sous le titre : « Une autre Syrie est possible ! » Parmi ceux qui ont participé au débat se trouvait le porte-parole des Affaires étrangères pour le parti, Wolfgang Gehrcke. Michel Kilo et Samir Eïta représentaient l’opposition syrienne – tous deux sont membres du Forum démocratique syrien (FDS).

L’événement a pleinement confirmé l’analyse du WSWS selon laquelle Die Linke est en train d’oeuvrer, dans l’actuelle offensive impérialiste contre la Syrie, comme un complément du ministère allemand des Affaires étrangères. En accord avec le gouvernement Merkel, Die Linke appelle à un changement de régime en Syrie et développe des liens étroits avec l’opposition syrienne.

Dans le discours qu’il a prononcé devant l’assemblée, Gehrcke a expliqué qu’il soutenait en principe la politique étrangère allemande en Syrie. Il a déclaré : « Le gouvernement fédéral a agi de manière plus prudente que celle que je redoutais. L’Allemagne ne pousse pas à une intervention militaire. » Il a ensuite ajouté qu’il avait personnellement félicité le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, pour sa politique à l’égard de la Syrie.

Au début de ses remarques, Gehrcke a affirmé qu’il était difficile d’obtenir des informations sur ce qui se passait vraiment en Syrie. Pour pouvoir se faire une image relativement exacte de la situation, il a dit devoir compter sur diverses sources : « Je me fie aux comptes rendus d’amis dans l’opposition syrienne, aux informations fournies par le gouvernement fédéral, aux services secrets allemands et à des sources russes. »

En d’autres termes, Gehrcke et Die Linke maintiennent un contact étroit avec le gouvernement allemand et les services de renseignement et échangent des informations avec eux. Le parti est en train de jouer un rôle important dans les efforts entrepris par la bourgeoisie allemande pour mettre en place un régime de l’après-Assad capable de garantir les intérêts stratégiques et économiques allemands en Syrie et dans la région. A cette fin, il existe une division bien définie du travail.

Le gouvernement Merkel collabore étroitement avec ces éléments de l’opposition syrienne qui sont soutenus par les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne et la Turquie ainsi que les monarchies du Golfe et qui ont été armés dans le but de renverser le régime de Bachar al-Assad.

Dans le cadre du soi-disant projet intitulé « Le Jour d’après », des rencontres sont régulièrement organisées à Berlin sous les auspices de la Fondation Sciences et Politique (Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité, Stiftung Wissenschaft und Politik, SWP), impliquant des représentants de haut niveau du Conseil national syrien (CNS), de l’Armée syrienne libre (ASL), des Comités locaux de coordination (LCC) et des Frères musulmans syriens.

Die Linke entretient des liens avec les sections de l’opposition anti-Assad qui ne sont pas directement impliquées dans le projet « Le Jour d’Après » et qui, en termes de politique étrangère, sont plus proches de la Russie et font aussi du travail à l’intérieur de la Syrie. Ceci permet à l’Etat allemand de cultiver des liens avec des groupes avec lesquels il ne veut pas être associé publiquement – par respect pour ses alliés occidentaux.

Dans son allocution prononcée le 9 octobre, Gehrcke a critiqué le gouvernement pour avoir rappelé son ambassadeur de Damas, bloquant de ce fait les voies diplomatiques en Syrie. Die Linke considère que son rôle est de rectifier ce genre « d’erreur ». En raison de son passé stalinien d’après-guerre, le parti dispose de bien plus de liens qu’aucun autre parti en Allemagne avec des éléments de l’opposition de « gauche » et séculaire en Syrie, en plus de sections du régime Assad même. Ceci fait de Die Linke un atout important pour le gouvernement allemand qui a donc multiplié ses possibilités d’exercer une influence politique sur un régime d’après-Assad et de renforcer les intérêts allemands en concurrence avec les autres puissances.

Indépendamment de certains stéréotypes concernant une « solution pacifique et diplomatique du conflit », la rencontre à Berlin montre clairement que la politique de Die Linke n’a rien à voir avec des efforts déployés pour arriver à une paix authentique ou pour poursuivre une politique anti-impérialiste. L’ensemble de sa politique à l’égard de la Syrie vise à formuler une stratégie qui convienne le mieux à la défense des intérêts allemands en Syrie et dans la région.

C’est dans ce contexte que l’on doit analyser la critique formulée par Gehrcke à l’égard du projet gouvernemental « Le Jour d’Après ». Gehrcke décrit le projet comme étant une erreur du fait qu'il est « trop sélectif » et trop centré sur un renversement brutal du régime d'Assad. Ceci a contribué à renforcer Assad au lieu de l’affaiblir, a-t-il dit. Le régime Assad touche à sa fin mais une solution ne pourrait être trouvée qu’en Syrie même.

Gehrcke et Die Linke objectent aussi au fait que le gouvernement allemand n’a pas inclus d’autres forces de l’opposition syrienne – telles le Comité de coordination national pour le changement démocratique (NCC) ou le Forum démocratique syrien (FDS) – dans ses projets pour un nouveau régime. Du point de vue de Die Linke, le fait de restreindre la coopération allemande aux groupes d’opposition entretenant les liens les plus étroits avec les Etats-Unis sape non seulement les efforts entrepris pour le renversement d’Assad mais nuit aussi à la possibilité de l’impérialisme allemand de gagner de l’influence dans une Syrie post-Assad.

Le Forum démocratique syrien, qui a invité Die Linke à participer à sa récente réunion, est une organisation qui se compose principalement de forces séculaires censées être gauchistes. Il a des liens avec la Russie et il prône de collaborer avec une partie du régime après la chute d’Assad.

Tout comme Die Linke, le FDS critique de temps à autre le rôle que jouent dans le conflit syrien les Etats-Unis, les Frères musulmans et les Etats du Golfe mais, conformément à son programme, il vise à « unifier tout le spectre de l’opposition syrienne dans le but de renverser le régime. » Dans une déclaration de politique générale adoptée le 17 avril au Caire, le FDS a aussi exprimé son soutien à l’Armée libre syrienne qui est financée et armée par les Etats-Unis et leurs alliés régionaux. Lors de la réunion qui s’est tenue à Berlin, les représentants du FDS, Eïta et Kilo, ont une fois de plus justifié leur lutte armée contre Assad.

Eïta a dit que « les armes sont indispensables même si elles ont des effets secondaires. » Il a aussi appelé à l’unité de toutes les sections de l’opposition pour renverser Assad. Certaines parties du régime, a-t-il poursuivi, auraient la possibilité de jouer un rôle même après la chute d’Assad en Syrie. Eïta, qui est le rédacteur en chef de l'édition arabe du Monde diplomatique, avait lui-même été un conseiller du régime Assad pendant dix ans avant de basculer dans l’opposition.

Kilo, dirigeant du FDS et membre de longue date de l’opposition syrienne, a réitéré la propagande des médias bourgeois en faveur d’une « intervention humanitaire » en Syrie. Il a affirmé que ce qui se passait en Syrie n’était pas une guerre civile mais une « guerre menée par un régime violent contre son peuple. » Tout comme les autres orateurs à la tribune, il a défini les affrontements qui ont lieu actuellement comme étant une « révolution », déclarant que le régime de Bachar al-Assad était dépourvu de toute légitimité et a appelé à le renverser.

En réalité, les grandes puissances impérialistes et leurs alliés régionaux dans cette région stratégique importante mènent depuis des mois une guerre civile dont l’objectif est de remplacer l’actuel régime syrien par un gouvernement fantoche pro-occidental. A cette fin, elles sont en train d’attiser les tensions religieuses et ethniques, en armant et en finançant des rebelles et en faisant entrer clandestinement des combattants islamiques dans le pays.

Les préparatifs en vue d’une intervention militaire directe vont bon train. La veille de la rencontre de Die Linke à Berlin, il avait été annoncé que le Pentagone avait déployé 150 forces secrètes spéciales en Jordanie. La CIA a établi une nouvelle base en Turquie qui coordonne la livraison d’armes fournies aux rebelles par la Turquie et les monarchies du Golfe. Depuis un certain nombre de jours déjà, l’armée turque a rassemblé des troupes et du matériel lourd le long de la frontière syrienne en intensifiant ses provocations.

(Article original paru le 19 octobre 2012)

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