Les heurts entre les armées turque et syrienne sur la frontière entre les deux pays

Les combats entre la Turquie et la Syrie le long de leur frontière commune et qui en étaient à leur cinquième jour consécutif le lundi 8 octobre font craindre qu’une guerre ne soit déclenchée qui s’étendrait à tout le Moyen-Orient.

Dimanche 7 octobre un obus apparemment perdu a atterri sur la ville frontalière turque de Akçakale près d’une usine appartenant à l’Office turc des céréales. Il n’y eut pas de blessés et le bâtiment lui-même ne subit que des dégâts peu importants. L’armée turque répondit par des tirs d’artillerie en direction de la Syrie.

Les Etats-Unis soutiennent le gouvernement turc et les forces d’opposition syriennes. Cela fait partie de sa guerre de procuration en cours et qui a pour objectif le renversement du président syrien Bashar al-Assad. Ces derniers bombardements se produisent alors que l’opposition syrienne, généreusement fournie et soutenue par la Turquie, intensifie les attaques contre l’armée syrienne le long de la frontière turque. Samedi 6 octobre, les forces “rebelles” ont capturé le village de Jisr al-Shughur après y avoir attaqué un poste militaire syrien.

L’échange d’artillerie du samedi 6 octobre entre les armées syriennes et turques se produisit après que deux obus de mortiers syriens aient atterri près du village turc de Guveççi. La Turquie répliqua en bombardant des positions de l’armée syrienne. Personne ne fut blessé du coté turc cependant.

Guveççi se trouve à une quinzaine de kilomètres environ de Darkoush en Syrie, où des forces d’opposition syriennes ont attaqué des positions de l’armée et où les deux camps ont échangé des tirs de mortiers. Au moins sept blessés parmi les forces d’opposition syriennes ont été emmenés en Turquie pour y être soignés.

Les échanges d’artillerie entre les deux armées ont commencé mercredi 3 octobre lorsque des tirs de mortiers en provenance de Syrie ont tué cinq civils turcs à Akçakale. L’armée turque y avait répondu en lançant des attaques aériennes contre un camp de l’armée syrienne près de la ville de Tal Abyad, une attaque dont on a rapporté qu’elle avait tué trois soldats syriens.

Le gouvernement russe, un allié du régime syrien, dit qu’il avait reçu des assurances de Damas que les tirs de mortiers syriens avait atterri au delà de la frontière par accident. La chaîne de télévision turque NTV a rapporté que la Syrie avait ordonné à ses chasseurs aériens et à son artillerie de ne pas se trouver à moins de six kilomètres de la frontière turque.

Le Premier Ministre turc, Recep Tayyip Erdogan a rejeté les assurances de la Russie cependant. Un responsable turc a dit que le tir de mortier ayant déclenché les hostilités était à une « autre échelle » que dans les cas précédents où des tirs venus de Syrie avaient atterri en Turquie.

Les gouvernements turcs et américains ont réagi en menaçant de façon provocante la Syrie d’une guerre. Cela vient après que les Etats-Unis aient cherché en vain à obtenir la permission du Conseil de sécurité des Nations unies pour commencer des opérations militaires comme une zone d’exclusion de vol dans le but d’appuyer les forces d’opposition syriennes contre le gouvernement syrien.

Le week-end dernier, le secrétaire américain à la défense, Leon Panetta a indiqué que les combats entre la Syrie et la Turquie pouvait mener à une « escalade », menaçant implicitement la Syrie d’un assaut de grande envergure de la part de la Turquie. Puisque la Turquie est membre de l’OTAN, elle pourrait aussi tenter d’invoquer les clauses du traité qui forcerait les autres membres de l’Alliance atlantique en Europe et en Amérique du Nord, à s’engager à ses cotés dans une guerre contre la Syrie.

Dans un discours prononcé lors d’un sommet militaire au Paraguay, Panetta dit: « Reste à voir si ce conflit commence à s’étendre aux pays limitrophes comme la Turquie. Mais il est évident que le fait qu’il y ait à présent des échanges de tirs entre ces deux pays soulève des inquiétudes plus grandes encore quant à l’élargissement possible de ce conflit. »

Panetta a aussi menacé le principal allié régional de la Syrie, l’Iran, alors même que des sanctions débilitantes visant son industrie pétrolière causent une inflation des prix et des mouvements de protestation en Iran. Si l’Iran ne dissipait pas les inquiétudes des Etats-Unis à propos de son programme nucléaire, dit il en forme d’avertissement, « ne vous y trompez pas, la communauté internationale continuera en imposant des sanctions supplémentaires »

Panetta fit ces commentaires deux jours après seulement que le gouvernement AKP (Parti justice et développement) en Turquie ait passé une loi donnant à Erdogan le pouvoir d’envoyer des soldats dans des « pays étrangers ». L’armée de l’air et la marine turques furent à la suite de cela mises en alerte maximum.

Cette loi déclencha des protestations de masses à Istanbul. Des protestations anti-guerre eurent également lieu dans la région frontalière proche de la Syrie.

Les heurts frontaliers soulignent le fait que la rébellion soutenue par les Etats-Unis s’est développée en guerre régionale par procuration qui risque d’impliquer tout le Moyen-Orient, voire le monde.

L’Iran qui a signé un traité de sécurité avec la Syrie pourrait être rejoint pas les gouvernements russes ou chinois, dans une lutte contre une invasion américaine de la Syrie. Les Etats-Unis, pour leur part, compteraient sur le soutien des pays de l’OTAN y compris la Turquie, autant que sur celui des Etats du Golfe Persique tels que l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui ont armé et financé l’opposition syrienne soutenue par les Etats-Unis.

La rhétorique belligérante des gouvernements américains et turcs menace ainsi de déclencher une conflagration militaire dont les dimensions n’ont pas été vues depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Wahington rend une confrontation d’autant plus vraisemblable qu’il étrangle économiquement l’Iran à l’aide de sanctions aux conséquences désastreuses, imposées principalement par les Etats-Unis et les puissances européennes. La valeur du rial iranien est tombée de 40 pour cent vis-à-vis du dollar la semaine dernière tandis que les prix des denrées de base ont augmenté de 80 pour cent sur un an. Les principales victimes du quasi effondrement économique de l’Iran ont été les masses travailleuses. (Voir : La guerre économique des Etats-Unis contre l’Iran)

Washington cherche à intensifier le dommage économique causé en Iran en l’isolant de ses derniers clients. Présentement, l’Inde effectue des paiements en dollars pour du pétrole via la Halkbank en Turquie, mais une proposition de nouvelles sanctions américaines pourrait y mettre un terme, dans des conditions où l’Inde achète 45 pour cent de ses importations de pétrole iraniennes dans sa propre monnaie, la roupie. Les importations de pétrole de l’Inde dépendrait alors d’une dispense des sanctions contre l’Iran, accordée par les Etats-Unis et qui pour l’instant ne dure pas plus de 180 jours.

L’Union européenne considère elle aussi une interdiction d’importer du gaz naturel d’Iran.

Le potentiel existant pour un conflit entre Israël et l’Iran a encore été mis en lumière très récemment lorsque Israël abattit un petit drone non armé au dessus du désert du Néguev, le 7 octobre. Le drone avait traversé la bande de Gaza et survolé le sud d’Israël, selon toute apparence en provenance de la Mer Méditerranée. Il fut abattu à quelques dizaines de kilomètres du réacteur nucléaire de Dimona, source présumée de l’arsenal nucléaire israélien.

Le gouvernement israélien n’a pas fait de commentaire officiel sur qui était selon lui responsable du vol de ce drone. Il a cependant fait entrer des chasseurs aériens dans l’espace aérien libanais après avoir abattu le drone, ce qui indique qu’il agissait sur la base d’informations parues dans la presse israélienne et selon lesquelles le drone aurait pu être lancé par l’organisation du Hisbollah au Liban, un allié de l’Iran. Durant l’invasion du Liban par Israël en 2006, le Hisbollah avait lancé un drone chargé d’explosifs dans l’espace aérien israélien.

En septembre, le leader du Hisbollah, Hassan Nasrallah, a dit que son parti pourrait bombarder le réacteur de Dimona.

L’Iran a révélé ses premiers drones armés en 2010 et a depuis continué de développer cette technologie. Il aurait aussi bénéficié d’ingénierie inversée appliquée à des drones américains capturés alors qu’ils survolaient l’espace aérien iranien.

Au début du mois d’octobre, l’Iran avait annoncé le lancement d’un nouveau drone avec un rayon d’action de 2000 kilomètres et armé de missiles. Selon des informations américaines, les drones iraniens ont déjà pratiqué des essais de bombardement pouvant être effectués contre des villes comme Dimona ou Haïfa.

(Article original publié le 8 octobre 2012)

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