Les Etats-Unis attribuent la responsabilité de l’attaque contre la Libye aux forces liées à al Qaïda et qu’ils ont précédemment soutenues

Les responsables américains qui enquêtent sur l’attaque du 11 septembre contre le consulat américain à Benghazi estiment actuellement qu’il aurait pu être perpétré par des forces liées à al Qaïda et que Washington soutenaient durant la guerre menée l’année dernière par l’OTAN pour renverser le colonel libyen Mouammar Kadhafi.

Ils ont identifié Abou Soufian Ibrahim Ahmed Hamouda ben Qumu comme une figure potentielle se cachant derrière l’attaque qui a tué quatre Américains, dont l’ambassadeur américain en Libye, J. Christopher Stevens.

Ben Qumu est un membre influent de la brigade Ansar al-Chariah à Benghazi qui a été désigné comme responsable de l’attaque. Il serait aussi un membre du Groupe islamique combattant libyen (Libyan Islamic Fighting Group, LIFG) lié à al Qaïda et il dirigerait la brigade Darnah – un groupe armé originaire de sa ville natale de Darnah située au Nord-Est de la Libye et qui avait combattu l’année dernière aux côtés de l’OTAN dans la guerre pour un changement de régime.

L’éditorialiste du Washington Post, David Ignatius, a rapporté que les services de renseignement américains sont aussi en train d’enquêter pour savoir si le membre du LIFG, Abdul Wahab al-Qaed al-Libi, pourrait avoir encouragé l’attaque. Il est le frère d’Abou Yahya al-Libi, un planificateur de haut niveau des opérations d’al Qaïda et un membre du LIFG tué le 4 juin dernier lors d’un raid mené par un drone américain à Mir Ali au Pakistan.

Jusqu’au 11 septembre, la direction d’al Qaïda n’a cependant pas officiellement reconnu la mort d’al-Libi. A cette date, le dirigeant d’al Qaïda, Ayman al-Zarahiri, a diffusé une vidéo confirmant qu’al-Lidi avait été tué lors d’une frappe de drone américain.

« L’idée qu'il s'agisse d'une revanche pour la mort d’Abou Yahya, peut prêter à discussion, » a confié au Post un responsable du renseignement américain.

Ces événements mettent à nu l’hypocrisie de la « guerre contre le terrorisme » de Washington et de ses prétentions de lutter pour la démocratie en Libye. Il s’agit de fictions bien pratiques derrière lesquelles les Etats-Unis et leurs alliés ont pu défendre leurs intérêts impérialistes – la saisie des 120 milliards de dollars du fonds pétrolier libyen, la prise de parts plus importantes de l’industrie pétrolière libyenne et l’imposition d’un régime fantoche à Tripoli – en alliance avec les mandataires locaux réactionnaires. Parmi ces mandataires figuraient les forces d’al Qaïda, alors même que les Etats-Unis continuaient de les massacrer dans d’autres parties du monde.

Cette politique cynique vient toutefois d’avoir un effet inverse et dont les conséquences ont été mortelles pour des agents américains.

Des articles concernant l’attaque montrent que les responsables du Département d’Etat américain ont sous-estimé la menace à laquelle ils étaient confrontés à Benghazi. Il y avait eu plusieurs avertissements : le 6 juin un attentat à la bombe contre le consulat à Benghazi, le 11 juin une attaque au lance-grenade contre un convoi transportant l’ambassadeur britannique en Libye et un avertissement donné le 27 août par le Département d’Etat soulignant le risque d’attentat à la voiture piégée et d’assassinat à Tripoli et à Benghazi.

Et pourtant, Stevens a refusé de prendre des mesures de sécurité en faisant appel aux Marines, qui d’habitude effectuent ce genre de travail, pour assurer la garde des installations diplomatiques américaines en Libye. Les milices libyennes locales ont aidé les forces de sécurité du Département d’Etat à assurer la sécurité du consulat à Benghazi et les Marines n'ont jamais été impliqués dans les combats.

Selon le Wall Street Journal, Stevens avait pris cette décision pour « montrer sa confiance dans les nouveaux dirigeants de la Libye ». Le journal a écrit : « Les responsables ont dit que M. Stevens avait personnellement déconseillé de poster des Marines devant l’ambassade à Tripoli, apparemment pour éviter une présence américaine militarisée. »

Un autre responsable, Randa Fahmy Hudome, a ajouté : « C’est ce qui se passe lorsque vous vous fiez à un gouvernement qui ne contrôle pas l’ensemble du pays… [Benghazi] était inondé d’armes se trouvant entre les mains de diverses brigades et qui toutes se combattent les unes les autres. Ce n’était pas un secret. »

Néanmoins, l’attaque contre le consulat de Benghazi qui a commencé à 21 heures, heure locale le 11 septembre, aurait pris les diplomates américains au dépourvu. Stevens et le responsable du Département d’Etat Sean Smith, ont succombé après avoir inhalé des fumées toxiques alors qu’ils tentaient de se réfugier dans une salle sécurisée qui s’était remplie de fumée après que les assaillants eurent mis le feu au consulat. Une fois que les rescapés eurent rejoint une maison sécurisée secrète où ils ont rencontré d’autres personnels américains à Benghazi et une équipe du Département d’Etat de la sécurité arrivée par avion de Tripoli, la maison sécurisée a essuyé elle aussi des tirs de mortiers, nourris et précis.

Des articles de journaux ont suggéré que les assaillants avaient déjoué les responsables américains. Le New York Times a écrit, « Les assaillants s’étaient tenus à l’affût, en observant silencieusement les sauveteurs arrivant à grand renfort de convois et incluant huit civils du Département d’Etat qui venaient tout juste d’atterrir à l’aéroport de Benghazi. Cette deuxième attaque fut de plus courte durée que la première, mais elle fut plus complexe et plus sophistiquée. C’était une embuscade. »

Les assaillants n’auraient apparemment pas eu de pertes à déplorer mais deux gardes américains – les anciens membres des Navy Seals, Tyrone Woods et Glen Doherty – furent tués.

Si ben Qumu et al-Libi ont en effet aidé à organiser les attentats au moyen de forces se trouvant sous leur commandement, ce serait pour les Etats-Unis un cas de juste retour des choses. Après avoir trahi et re-trahi les forces d’al Qaïda en Libye et internationalement – en assassinant, en emprisonnant et en les torturant quand leurs services n’étaient pas requis dans diverses sales guerres – les Etats-Unis doivent à présent faire face aux conséquences de les avoir armés et de leur avoir cédé le pouvoir dans une grande partie de la Libye.

Abdelhakim Belhadj, qui serait le fondateur du LIFG, est devenu, depuis la chute de Tripoli en août aux mains des forces soutenues par l’OTAN, le dirigeant du Conseil militaire de Tripoli. Ses forces combattraient actuellement avec l’Armée syrienne libre, force soutenue par les Etats-Unis et qui combat le régime du président syrien Bachar al-Assad.

Belhadj a débuté sa carrière en combattant aux côté d’Oussama ben Laden avec les moudjahidin islamistes soutenus par la CIA lors de la guerre entre l’Union soviétique et l’Afghanistan durant les années 1980. De concert avec d’autres vétérans de cette guerre, il a créé durant les années 1990 le LIFG en lançant un soulèvement armé contre Kadhafi en 1995 et qui fut réprimé. Il réussit à s’échapper et contribua, avant les attentats du 11 septembre, à gérer des camps d’entraînement d’al Qaïda en Afghanistan après quoi il se rendit au Pakistan, en Irak et en Malaisie où il fut capturé en 2003 et restitué à une prison de la CIA en Thaïlande où il fut torturé.

En 2004, Belhadj fut remis au gouvernement libyen qui le libéra en 2010, lui et d’autres dirigeants du LIFG qui avaient promis de renoncer à la lutte armée. Un an plus tard, Washington s’adressait aux forces de Belhadj pour renverser Kadhafi. Certaines de ces forces ont été acheminées en Syrie pour participer à la guerre soutenue par les Etats-Unis pour tenter d’évincer le gouvernement de Bachar al-Assad.

Quant à Qumu, il s’échappa de prison en Libye pour se réfugier dans un camp dirigé au début des années 1990 par ben Laden en Afghanistan ; il fut capturé au Pakistan après les attentats du 11 septembre. Accusé d’être un membre du LIFG, il fut emprisonné pendant cinq ans à la prison de Guantánamo Bay. Là, des responsables américains ont cité des rapports du renseignement libyen disant qu’il était « connu comme l’un des commandants extrémistes des Arabes afghans » – c’est-à-dire un combattant étranger formé en Afghanistan – et comme un « homme dangereux n’ayant pas d’état d’âme à commettre des actes terroristes. »

En 2007, les Etats-Unis avaient restitué Qumu à la Libye qui l’avait ensuite libéré. Durant la guerre libyenne, le New York Times, dans un article du 24 avril intitulé « Un libyen, jadis un prisonnier est maintenant un allié en quelque sorte des Etats-Unis » lui avait rendu hommage le qualifiant de « personnage remarquable » dans l’effort de guerre américain.

Washington avait compté sur Qumu et des forces similaires alors même qu’ils étaient parfaitement au courant de son histoire personnelle. Le Times a commenté : « L’ancien ennemi et prisonnier des Etats-Unis est maintenant un allié en quelque sorte suite à une volte-face étonnante et résultant de la réorientation de la politique américaine plutôt que d'une mutation évidente de M. Qumu. »

A l’époque, les responsables américains qui avaient parlé au Times avaient minimisé les risques qui émanaient de leur alliance avec les combattants du LIFG : « Nous sommes bien plus préoccupés par une infiltration d’al Qaïda de l’extérieur que par des autochtones. La plupart d’entre eux ont un programme local et donc ne constituent pas tellement une menace pour l’Occident. »

(Article original paru le 22 septembre 2012)

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