Le sommet de l’UE déclenche une ruée sur les banques chypriotes

Il aura fallu attendre samedi matin pour que le sommet européen convienne d’un prêt très réduit de 10 milliards d’euros (13 milliards de dollars) pour renflouer les banques de Chypre, cinquième pays de la zone euro après la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne à demander de l’aide.

En l’espace de quelques heures, la décision de prélever une taxe sur les dépôts bancaires à Chypre en vue de payer le plan le sauvetage a résulté en une ruée bancaire pour des retraits de fonds aux distributeurs automatiques des banques.

L’objectif de l’UE est de lever 6 milliards d’euros en instaurant une taxe unique de 10 pour cent sur les épargnes dépassant 100.000 euros et de 6,75 pour cent sur les petits dépôts. Les principaux détenteurs d’obligation des banques et les investisseurs dans la dette souveraine chypriote ne seront pas affectés.

Le magazine américain Forbes a critiqué avec virulence le « groupe de responsables de l’UE mené par l’Allemagne » pour avoir pris « la décision probablement la plus inexplicable et irresponsable dans le domaine de la surveillance bancaire dans les pays avancés depuis les années 1930. » Un autre chroniqueur de Forbes a intitulé son commentaire, « Bienvenue à la nouvelle Grande dépression. » Le magazine Business Insider a pointé du doigt les « rapports multiples indiquant que l’Allemagne a dit à Chypre : Confisquez l’argent des dépôts bancaires ou quittez la zone euro. C’est une dynamique politique terrible et, en plus de l’Italie, cela aggrave une mauvaise situation générale. »

Ce sommet était le premier à s'être tenu après les élections en Italie qui ont enregistré un vote « non » contre la politique d’austérité imposée par le gouvernement de technocrates de Mario Monti et de l’Union européenne (UE).

Avec l’Italie qui n'a toujours pas de gouvernement viable, Monti a, en qualité de dirigeant intérimaire, demandé aux dirigeants de l’UE de dévier un peu du cap de l’austérité s'ils ne voulaient pas connaître le même sort que lui. Dans une lettre adressée au sommet, il a déclaré que les résultats de l’élection témoignaient que le « soutien de l’opinion publique pour les réformes, et pire, pour l’Union européenne, avait drastiquement baissé » et que cela participait d’une « tendance qui est également visible dans bien d’autres pays de par l’UE. »

Le premier ministre luxembourgeois et ancien président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a averti dès le début du sommet, « Je suis très inquiet au sujet des futurs développements économiques. Je n’exclurai pas que nous courons le risque de voir une révolution sociale, une rébellion sociale. »

Le président français, François Hollande, dont l’application de strictes mesures budgétaires a entraîné une chute sans précédent dans les sondages, a appelé à la clémence pour la France après que le ministre des Finances, Pierre Moscovici, a prévenu que les actions de l’UE risquaient de provoquer une « perte de confiance sociale et politique » dans toute l’Europe.

L’Allemagne a pris la tête de l’opposition à tout changement avec le président de la Banque centrale allemande, Jens Weidmann, prévenant que « les pays en déficit doivent agir. Ils doivent corriger leurs faiblesses structurelles. Ils doivent devenir plus compétitifs et ils doivent accroître leurs exportations. »

Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a été tout aussi catégorique pour dire qu’il ne doit pas y avoir de changement de cap. Jeudi, dans deux discours distincts prononcés devant 27 dirigeants de l’UE et 17 membres de la zone euro, il a abordé le besoin de diminuer davantage encore leur coût du travail et d’augmenter la productivité. La chancelière allemande, Angela Merkel, a déclaré que les propos « très intéressants »de Draghi ont clairement montré que ce sont « les niveaux de productivité et les salaires d'un certain nombre de pays qui étaient responsables aujourd’hui du haut niveau de chômage. »

Le Fonds monétaire International (FMI) est intervenu pour dire avec insistance que ce qui est requis, ce n’est pas moins d’austérité pour la classe ouvrière mais plus d’argent pour les banquiers. Le deuxième jour du sommet, il a publié un rapport de 69 pages avertissant que des centaines de milliards d’euros de prêts toxiques restaient inscrits dans les bilans des banques européennes et que d'autres mesures étaient indispensables pour consolider le secteur financier du continent.

Le rapport du FMI, mandaté par l’UE, a constaté que la priorité devait être donnée à « la mise à l'abri conjointement des banques et des Etats souverains. »

Finalement, la France a obtenu ce qui a été signalé être une concession pour elle-même et l’Italie. La déclaration finale du sommet reconnaît « les possibilités offertes par le cadre fiscal existant de l’UE pour équilibrer les besoins en investissement productifs publics à l’aide d’objectifs de discipline fiscale » au sein du Pacte de Stabilité et de Croissance. La déclaration a toutefois ajouté que toute manœuvre de ce genre doit être approuvée par la Commission européenne et les Etats membres.

L’Allemagne a eu gain de cause non seulement parce qu’elle est l' économie la plus forte d’Europe mais parce que ses exigences reprennent le plus fidèlement celles des principales institutions financières et des spéculateurs mondiaux.

Une fois de plus, comme ce fut le cas lors de nombreux sommets qui se sont tenus depuis le début de la crise financière il y a cinq ans, les dirigeants européens, sous la pression de l'élite financière, ont abandonné ou mis de côté les appels à la « croissance. » La subordination de l’UE aux banques a été résumée par le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy qui a nié que l’encouragement à l’emploi et à la croissance étaient une tâche revenant aux gouvernements. « La croissance et la création d’emplois ne sont pas des choses que les gouvernements peuvent acheter ou faire venir, » a-t-il dit en conclusion.

« Nous sommes tous pleinement conscients de ce débat, de la frustration grandissante et même du désespoir des gens, » a-t-il dit aux médias. « Nous savons aussi qu’il n’y a pas de réponses simples. Le seul moyen de sortir de la crise est de continuer à traiter ses causes profondes. »

Le sommet a dûment promis d’introduire des dispositifs pour étayer le système bancaire du continent. Un paragraphe assez long inséré dans le communiqué final du sommet fixe un calendrier de mesures pour garantir la recapitalisation des banques et pour créer un filet de sécurité pour les créanciers.

En revanche, la seule mesure concrète prise par le sommet sur l’emploi, pour débloquer quelque 6 milliards d’euros faisant partie de l’Initiative pour l’emploi des jeunes de l’UE, est une goutte d’eau dans l’océan et qui s’élève à environ 100 euros pour chaque jeune chômeur de l’UE.

Même avant le début du sommet, d’importantes voix s’étaient élevées dans les médias internationaux pour mettre en garde contre le risque d’une catastrophe imminente s'il n'y avait pas de changement de cap. Peter Speigel du Financial Times s’est demandé « Que se passe-t-il si un électorat décide de voter contre des dirigeants dont il n’accepte pas la politique économique – pour s'apercevoir que les nouveaux dirigeants sont contraints d’appliquer exactement la même politique ? » Il a qualifié ceci de « recette pour une explosion sociale. »

Avec des millions de gens qui ont déjà protesté ou voté contre les mesures d’austérité en Grèce, au Portugal, en Espagne et maintenant en Italie, le sommet de l’UE rapproche un peu plus encore la possibilité d’une explosion sociale qui embraserait le continent.

Le sommet a aussi vu se creuser les divisions au sujet de questions essentielles de politique étrangère. Sur la Syrie, Hollande a suivi le premier ministre britannique, David Cameron, en sollicitant l’abandon de l’interdiction de l’UE sur un armement direct de l’opposition. Hollande et Cameron ont reçu le soutien sans équivoque de Washington. La porte-parole du département d’Etat américain, Victoria Nuland, a déclaré, « Nous soutiendrions certainement les types d’appui à l’opposition syrienne, évoqués publiquement par le Royaume Uni et la France... Nous les encourageons à poursuivre cette conversation. »

Une majorité de pays de l'UE, une fois de plus dirigés par l’Allemagne, ont rejeté les appels de Hollande. « Le simple fait qu'il y en ait deux qui ont changé d’avis ne suffit pas à faire que 25 autres suivent complètement le même chemin, » a déclaré Merkel.

L’Allemagne a souligné le danger de donner des armes aux fondamentalistes islamiques et de déclencher une guerre régionale plus large. Le chef du service fédéral de renseignement (Bundesnachrichtendienst, BND) allemand, Gerhard Schindler, a parlé de nouveau samedi d’un clivage au sein de l’opposition syrienne et de la présence de dizaines de milliers de militants, dont le Front al-Nusra.

Tout en soutenant la déstabilisation du régime du président syrien de Bachar al-Assad, l’Allemagne est déterminée à impliquer la Russie dans des négociations concernant un éventuel gouvernement de transition composé de gens de l'opposition préalablement approuvés et de membres du régime baasiste.

L’alliance entre Berlin et Moscou a été prouvée dans des pourparlers distincts centrés sur la relation stratégique de l’Europe avec la Russie, à la suite de quoi Merkel a souligné la signification des approvisionnements énergétiques russes vers l’Europe en déclarant, « Nous considérons la Russie comme un partenaire stratégique. »

(Article original paru le 18 mars 2013)

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